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Les Ballets de Monte-Carlo au Théâtre de la Ville – Retour en force – Compte-rendu

 
 
Accueil triomphal dans cette salle qui a vu défiler tout ce que la danse contemporaine peut offrir de plus farfelu ou provoquant, pour une des meilleures compagnies néoclassiques qui soit à ce jour, Les Ballets de Monte Carlo, et leur flamboyant directeur Jean-Christophe Maillot, en présence de sa bonne fée, la princesse Caroline de Monaco, venue soutenir sa compagnie chérie. De quoi réchauffer le cœur du tourangeau devenu, depuis son implantation sur le rocher monégasque, l’une des personnalités les plus marquantes du paysage chorégraphique contemporain, alors qu’en un temps lointain, il avait été accueilli ici par des huées.
 Le public a-t-il changé, a-t-il pris la mesure des tromperies scéniques dont on l’abreuvait souvent, loin des grandes extases pinabauschiennes qui firent vibrer la salle, est il heureux de voir enfin de la pure beauté ? Telle est l’heureuse leçon que l’on peut tirer de cette soirée astucieusement composée.

 

© Alice Blangero

 
Quand le train roule ... mais n'arrive pas
 
Car, si le décor n’existe pas, si les costumes sont soit des collants soit de vagues étoffes blanches flottantes, si la simplicité visuelle est de mise, l’opposition des œuvres en présences est d’une grande intelligence car elle montre comment avec des moyens identiques et un sens de la recherche qui s’éloigne du narratif, le mouvement peut aller en sens inverse : avec Autodance, de la très médiatisée Sharon Eyal, le titre est révélateur : 37 minutes de crampes pour les mollets des danseurs, qui presque constamment perchés sur leurs demi-pointes, se promènent d’un air pénétré, se touchant, ou se frôlant les uns les autres, sans que jamais le moindre axe ne se dégage. Sur fond sonore d’Ori Lichtik, une performance gestuelle, certes, une descente dans ce qui pourrait s’appeler de l’introspection si cela ne ressemblait tant à de la masturbation, voire au vide. On regarde, on admire, on ne parvient ni à la transe, comme dans le fameux Boléro , ni à la simple répétition rythmique qui parvient à libérer, mais à une  procession un peu morne de corps isolés, murés en eux-mêmes, qui se pavanent à l’infini. On peut fermer les yeux, les rouvrir, cela ne pose aucun problème, le train continue de rouler, inexorablement… Mais il n’arrive jamais. Et l’on n’est touché que par l’admirable tenue des danseurs, aux silhouettes comme sculptées.

 

© Alice Blangero 
 
 
Un vrai festin visuel, qui fait oublier le temps
 
Puis explose la pièce signée de Jean-Christophe Maillot, hommage à son père le plasticien Jean Maillot, Vers un pays sage, et tout à coup la scène n’a plus rien de sage…Ce ballet, l’un des chefs-d’œuvre du créateur, remonte à trente ans, et il passe l’épreuve du temps en s’enrichissant, ce qui est la marque des pièces maîtresses, rare dans le domaine du ballet, si volatil, si sensible aux changements d’humeur des époques. Peut-être parce que la troupe monégasque est splendide à ce jour, avec notamment des tenues de pointes d’une rare perfection. Et un enthousiasme révélateur de l’esprit positif et vigoureux que lui insuffle son directeur.
 Un vrai festin visuel, qui fait oublier le temps, et lance dans l’arène des corps rompus à toutes les performances, à toutes les vrilles, tous les tourbillons que peut engendrer la joie de virevolter pour s’inscrire dans l’espace et faire des étincelles, qui sont autant de quêtes de beauté, de joie, de lumière.

Liberté maîtrisée
 
Toutes les formes académiques, en une sorte de récit qui effleure de multiples styles, se catapultent ici, de sauts frénétiques en envolées aériennes, de pirouettes en portés qui font frémir. Un faux air balanchinien pour le chic, des chaloupés esquissés à la façon d’un Lifar, on retrouve même, accentuée par la musique, la trace d’un Robbins dans Glass pieces, bijou orfévré. Là c’est Fearful Symetries, de John Adams, qui porte les danseurs, et rien ne les arrête dans leur perpetuum mobile, parcours aussi fluide qu’électrique dans lequel s’enchâssent des figures d’une incroyable virtuosité, où pourtant la performance s’efface derrière le désir de liberté. Mais liberté maîtrisée au prix d’un formidable travail.
À la toute fin, s’inscrit délicatement sur le fond de scène l’image d’un tableau de Jean Maillot, tout en demi-teintes. L’heure est venue du repos, de la contemplation, de la paix intérieure, on l’espère. Le ballet, programmé par la troupe de l’Opéra de Vienne, alors dirigée par Manuel Legris, avait été montré au Chatelet en 2013. Il revient plus vif que jamais, riche de l’expérience positive que Maillot a su implanter à Monaco avec ses superbes danseurs, et procure un indicible bonheur. Que dire de plus ?
 
 
Jacqueline Thuilleux

 

 Théâtre de la Ville-Sarah Bernhard : prochaines représentations les 4 & 5 mars 2025 // www.theatredelaville-paris.com
 
Photo © Alice Blangero

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