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Stiffelio de Verdi à Strasbourg – La petite église dans la prairie – Compte-rendu
Même si ce n’est pas exactement la création française qu’on nous avait annoncée – il s’avère finalement que l’œuvre a été donnée pour une unique représentation à Reims en 1994 –, les représentations de Stiffelio programmées par l’Opéra du Rhin n’en relèvent pas moins de la rareté absolue en France. Il était grand temps qu’un théâtre français se décide à afficher ce titre qui, redécouvert au début des années 1960 et totalement ressuscité dans les années 1990 grâce à des manuscrits autographes retrouvés, appartient pleinement à la maturité de Verdi (l’ouvrage fut créé à Trieste le 16 novembre 1850).
© Klara Beck
Un livret aussi concis qu’efficace, un sujet audacieux qui avait suscité les foudres de la censure (le divorce d’un prêtre protestant), une musique qui lorgne déjà vers les années 1860, voilà qui aurait pourtant dû allécher les directeurs de maisons d’opéra et les metteurs en scène. A moins que, justement, Stiffelio ait été trop peu connu pour attirer le chaland et permettre les déferlements fantasmatiques. A Strasbourg, c’est Bruno Ravella qui signe une production tout à fait respectueuse des données de l’action. Faire des Ahasvériens – la secte imaginée par Emile Souvestre, l’auteur du roman dont est tiré le livret – un équivalent des Amish n’est pas une mauvaise idée, et favorise le dépouillement du décor et des costumes. On croit à cette communauté dont l’existence est régie par les commandements bibliques, avec cette église en bois brut au milieu de sa verte prairie, bâtiment dont l’envers évoque le cimetière du deuxième acte et qui finit par apparaître flottant au milieu des eaux, eau lustrale où se régénèreront les fidèles après avoir failli lapider la femme adultère.
Andrea Sanguineti © Klara Beck
Dans la fosse, Andrea Sanguineti dirige avec un soin amoureux une partition qui, redisons-le, appartient tout entière au très bon Verdi, et l’orchestre symphonique de Mulhouse y sonne glorieusement. Le chœur de l’Opéra national du Rhin se montre lui aussi à la hauteur de l’enjeu, en ce 10 octobre qui marque aussi l’anniversaire du compositeur natif de Busseto. Et par ailleurs, la distribution réunie laisse espérer un retour de Stiffelio sur les scènes, peut-être un peu négligé faute de ténors prêts à se mesurer au très exigeant rôle-titre : dans les années 1990, Plácido Domingo et José Carreras l’ont beaucoup chanté, mais on souhaite vivement que la prise de rôle de Jonathan Tetelman donne des idées aux directeurs et programmateurs. Malgré la précaution prise par Alain Perroux, qui signale avant le lever du rideau que le ténor américain est encore en train de se rétablir après avoir été souffrant cette semaine, voilà un Stiffelio qui semble posséder des ressources inépuisables de souffle et d’endurance, et qui ne le cède en rien, en matière de puissance scénique, au Daniel Day Lewis de There Will Be Blood, l’une des sources d’inspiration de cette production (l’église en bois en est tout droit sortie).
© Klara Beck
En termes de décibels, la Lina de Hrachuhí Bassénz affronte crânement le rôle de Lina, tout aussi lourd et surtout déchiré entre des esthétiques variées qui nécessitent des qualités presque contradictoires. Assez mal fagotée – le look Amish est plus seyant pour les messieurs que pour les dames –, la soprano arménienne impressionne par son engagement, même si l’on peut juger par trop couverte cette voix puissante dans le médium mais aux couleurs moins agréables dans l’aigu. Dario Solari complète idéalement le trio essentiel, solide baryton verdien bien qu’il lui arrive d’être couvert par l’orchestre. Ancien élève de l’Opéra Studio de l’OnR, Tristan Blanchet défend fort bien le personnage du séducteur, moins anecdotique qu’on pourrait le croire. Quant à Önay Köse, on s’étonne que l’extrême grave de sa tessiture ne soit pas plus sonore, tant il s’était révélé un Sparafucile mémorable à Nancy en juin dernier.
Laurent Bury
Verdi : Stiffelio – Strasbourg, Opéra, 10 octobre ; prochaines représentations les 12, 14, 16 & 19 octobre, puis les 7 et 9 novembre à Mulhouse (La Filature) / www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2021-2022/opera/stiffelio
Photo © Klara Beck
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