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Strasbourg - Compte-rendu : Les Troyens, à écouter

Pourquoi refuser aux Troyens l’esthétique qu’ils appellent naturellement, un antique revu par Davis et son atelier ? Andreas Baesler a été chercher midi à quatorze heure bien inutilement en plongeant Troie dans le Verdun des redoutes et des tranchées : Cassandre sera une infirmière, le cheval un char, les grecs des fantassins anglais. Parallèle discordant, mise en regard aveugle.

Comme il n’en est plus à un anachronisme près, le metteur en scène aura confondu la durée temporelle de l’Enéide avec celle de l’Odyssée : lorsque Enée aborde à Carthage nous sommes transportés au début des seventies, et la fortune du royaume de Didon et celle de Fruidor se confondent comme le proclame le joli tournesol qui orne le drapeau national. A coté de ce voyage incontrôlé vers le futur, avec un air d’entrée de la reine transformé en speech, le petit télescopage qui mêle Elvis Presley (Iopas, on la sentait venir celle là, on espérait que le régisseur y aurait renoncé mais une fois encore on fut certain du pire) et les Claudettes convoquées pour le ballet mauresque est une broutille, un enfantillage, une plaisanterie. So chic d’être anachronique et décalé !

Bon, la part la plus inventive du travail de Baesler reste l’illustration dramatique de la chasse royale et de l’orage où Iopas tire les ficelles d’intrigues sexuelles qui semblent bien inutiles en regard du drame berliozien. La réussite de cette matinée fut donc musicale. Plasson a choisi de donner l’intégralité de la partition, et opté pour un orchestre réduit que Berlioz composa avec une économie de moyens pour un maximum d’effet. On n’a jamais été aussi près des équilibres sonores trouvés par Gardiner et son orchestre sur instruments d’époque. Tempos admirablement réfléchis et cadrés, laissant respirer les épisodes lyriques sans jamais perdre de vue l’urgence dramatique, dynamiques s’interdisant de couvrir les chanteurs, phrasées avec ceux-ci, un constant dialogue entre fosse et plateau fuyant le symphonisme dont tant de chefs ont abusé dans cette partition. Plasson ne dit jamais je mais toujours nous. Leçon admirable.

Un plateau francophone – même si Robert Chafin nous vient de Virginie (il semble conserver derrière une prononciation impeccable une pointe d’accent cajun) - parfaitement apparié. On aurait aimé intervertir les deux rôles féminins : donner Cassandre à Beatrice-Uria Monzon, dont l’instrument prends les dimensions d’un Falcon, et Didon à Sylvie Brunet, car la première réussissait mieux sa Didon furieuse que la souveraine sereine : dans le registre dramatique Uria-Monzon a trouvé son salut : en grande force son timbre s’unifie, sa voix se ganse et se corse, on la voit demain tenter une Kundry sans problème. Et Sylvie Brunet fut si magnétique en Cassandre malgré quelques aigus tirés, qu’on aurait voulu l’entendre dans la fureur de Didon mais aussi dans les rêves de la reine amoureuse Cette diction impérieuse qui s’est affirmée au point que le chant est tout entier envahi par l’impact dramatique du texte, Brunet la doit à Crespin bien sûr dont elle réédite le miracle par son interprétation urgente, violente, totale.

Avec ses moyens et sans les épargner, Chafin campe le meilleur Enée entendu en scène depuis Gregory Kunde. Le redoutable envoi d’entrée est maîtrisé avec prestance, les phrasés sont impeccablement coulés dans la musique de la langue, un travail cousu main épatant qui n’a pour limite que la voix elle même, assez monochrome et vite à sa trame. Chroèbe un peu en retrait mais très musical de Lionel Lhote, Panthée sonore et tranchant de Cyril Rovery, François Lys en Fantôme d’Hector et en Narbal, admirable de ligne, de chant noble, vrai basse profonde au sostenuto si musical, Ascagne petit et (trop ?) fruité de Valerie Gabail, Iopas un rien plan-plan d’Eric Laporte, peu aidé par le metteur en scène il est vrai.

Une mention spéciale et un à suivre au très séduisant Hylas de Sebastien Droy dont le ténor se dorera sûrement très vite mais qui déjà possède un instrument affermi et un sens de la ligne formidable. Quel bonheur que ce français compréhensible à chaque instant et partagé par tous les protagonistes. Sur titrages totalement superflus, c’est si rare qu’on ne résiste pas au plaisir de le noter. Ah oui, savez vous qui fut notre Anna en cette matinée strasbourgeoise ? Marie- Nicole Lemieux. Un frisson de plaisir et des sourires nous parcouraient dès qu’elle chantait. Qui a dit que les directeurs de théâtre ne savaient plus distribuer ?

Jean-Charles Hoffelé

Les Troyens de Berlioz, Opéra National du Rhin, Strasbourg, le 5 novembre, puis le 9 novembre et ensuite à Mulhouse, à la Filature, les 19 et 21 novembre.

Programme détaillé de l’Opéra National du Rhin

Photo : DR

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