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Strasbourg - Compte-rendu : Lucia, pour les oreilles uniquement
Que retiendra-t-on de la Lucia donnée à Strasbourg ? Certainement pas la scénographie de Johannes Schütz d’une laideur affligeante : trois murs qui ferment la scène ; percés chacun d’une porte, au milieu un grand miroir qui tourne lentement tantôt côté pile, tantôt côté face.
Autre gadget inutile, Alisa parcourrant la scène à vélo, pendant que Lucia se mire dans ce grand miroir, de qui se moque-t-on ?
Heureusement nos oreilles sont largement comblées, tout d’abord par une distribution qui fait honneur à l’école belcantiste dont Lucia et Norma constituent les exemples les plus frappants.
Le couple Tatiana Lisnic (Lucia) et Joseph Calleja (Edgardo) comblent tous nos espoirs.
Grand soprano lyrique, Madame Lisnic donne du corps à son personnage. Elle possède un médium solide doublé de somptueux graves qui plongent avec un grand naturel, ainsi qu’un aigu fruité lui permettant de restituer le vrai visage de Lucia, et tourne le dos aux poupées mécaniques que l’on nous a trop souvent servies. Ponctuée de splendides sons filés avec des vocalises parfaites, la scène de la folie nous transporte dans un univers magique,. L’emploi de l’harmonica de verre crée ce climat surnaturel où une voix venue de l’au-delà semble se mêler à celle de l’héroïne.
Joseph Calleja ressuscite le chant di grazia en mélangeant de suaves demi-teintes avec une magnifique voix mixte appuyée et, de plus, il réussit à domestiquer un vibrato intensif que ses premiers récitals laissaient transparaître. A l’écoute de cette voix au timbre ambré, aux aigus puissants mais jamais hurlés, on se prend à rêver aux époques où les Gigli, Bergonzi et le jeune Pavarotti, avaient fait leur ce rôle sublime.
George Petean incarne Enrico, son timbre de baryton clair, aux graves jamais forcés ainsi qu’aux aigus projeté avec brio (il double, dans la scène de la tour, le contre-la avec le ténor), donne un tout autre visage de ce frère impitoyable. Dans cette conception, c’est la peur de l’échafaud pour avoir soutenu le mauvais parti qui le pousse à forcer les sentiments de sa sœur, plutôt que la haine qui ronge les deux familles.
Giorgio Giuseppini est un Raimondo Bidebent de belle facture et son air avant la scène de la folie est chanté avec un grand respect de la ligne vocale.
Le reste de la distribution s’avère excellent avec l’Arturo de Florian Laconi, voix claire aux aigus tranchants.
Direction superbe et acérée de Giuliano Carella, qui réussit à donner des couleurs fauves à l’Orchestre Symphonique de Mulhouse et témoigne de surcroît d’un amour immodéré des chanteurs. Regardons avec nos oreilles !
Bernard Niedda
Strasbourg, le 20 mai 2007
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Photo : Alain Kaiser
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