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Strauss/Mariotte : les deux Salomé à Montpellier
Nul n'ignore la Salomé de Richard Strauss, mais l'on sait moins qu'il ne fut pas le seul à tirer un opéra de la vénéneuse pièce d'Oscar Wilde. Le Français Antoine Mariotte (1875-1944) a également signé une Salomé que l'Opéra de Montpellier met bientôt à l'affiche, parallèlement à celle de Strauss.
Le parcours d'Antoine Mariotte préfigure celui d'Albert Roussel. D'abord officier de marine, il délaisse cette première activité en 1897 pour se dédier entièrement à la musique. Disciple de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum, Mariotte devient professeur de piano au Conservatoire de Lyon en 1902. C'est à ce moment qu'il découvre la "Salomé" d'Oscar Wilde et, après avoir obtenu les autorisations nécessaires des ayants droit de l'écrivain anglais, se lance dans la rédaction de ce qui constituera son premier opéra (1).
Au même moment, Richard Strauss se laisse lui aussi envoûter par l'héroïne de Wilde et charge son éditeur Fürstner d'acquérir les droits de la pièce. Particulièrement compliquée, la succession Wilde donne lieu à un procès qui tourne à l'avantage des ayants droits du dramaturge qui avaient traités avec Fürstner. Ce dernier s'empresse de faire interdire l'exécution de l'opéra de Mariotte - celui de Strauss est créé à Dresde en 1905.
Grâce à une médiation de Romain Rolland, le compositeur français obtient finalement le droit de créer son ouvrage le 30 octobre 1908 à Lyon. Il est repris à Paris en 1910 à la Gaîté lyrique, tandis que la Salomé de Strauss est à l'affiche de l'Opéra.
L'exécution de la partition de Mariotte lors du dernier Festival de Montpellier a été l'occasion de remettre en lumière l'affaire Strauss/Mariotte que René Dumesnil abordait en 1930 dans "La Musique contemporaine en France". "Entre le tempérament de Richard Strauss et celui d'Antoine Mariotte, il y a bien des différences, écrivait-il, et les deux Salomé ont chacune ses mérites. J'ai dit ailleurs ceux que je trouvais à l'œuvre puissante de Strauss ; l'œuvre d'Antoine Mariotte est moins massive, moins développée orchestralement. Mais elle témoigne d'une science très solide de l'instrumentation ; l'invention mélodique, cependant abondante, a maintenu l'auteur dans une ligne un peu monotone et, sauf à la fin, après la décollation, quand Salomé caresse la tête de sa victime, on ne voit pas les jets de lumière que l'on attendait dans ce drame. Mais rien que pour ce finale, pour la prière de Nazaréens, la Salomé de Mariotte mérite une place de choix dans la musique dramatique contemporaine, et il est surprenant qu'un pareil ouvrage, et aussi achevé, ait pu être menacé d'anéantissement."
Un jugement certes nuancé, mais qui incite néanmoins à découvrir l'opéra de Mariotte. L'originalité de l'initiative de l'Opéra de Montpellier est de proposer en parallèle l'ouvrage de Strauss. Metteur en scène de ces deux Salomé, Carlos Wagner les situe dans un espace scénique commun, choix qui devrait contribuer à souligner les caractéristiques de chacun des opéras.
"Dans l'ensemble, remarque C. Wagner, la Salomé de Mariotte est un personnage plus doux, plus vulnérable qui finalement s'abandonne plus entièrement à la révélation de l'amour. Elle fait le choix de l'amour, tandis que la Salomé de Strauss ne tire aucune conséquence de cette révélation."
Avec Manuela Uhl (Strauss) et Kate Aldrich (Mariotte) dans le rôle titre et, dans les deux cas, sous la baguette de Friedemann Layer, c'est à une passionnante confrontation que l'Opéra de Montpellier convie les amoureux d'art lyrique. Espérons que le disque saura garder la trace de l'ouvrage de Mariotte…
Alain Cochard
(1) on doit également à Mariotte Le vieux roi (1911), Léontine sœur (1924), Gargantua (1924), Esther, princesse d'Israël (1925).
Salomé/Richard Strauss. Les 27 nov., 1er et 3 déc. Salomé/Antoine Mariotte. Les 29 nov. et 4 décembre. Programme détaillé
Photo : DR
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