Journal
Tristan et Isolde de Wagner à l'Opéra de Lyon - Spectacle total - Compte-rendu
Olivier Py, Peter Sellars (si on le débarrasse des scories de Bill Viola) Georges Lavaudant, Patrice Chéreau ont chacun proposé leurs lectures avant tout lyriques du Tristan und Isolde de Wagner, en insistant d’abord sur Tristan : le Troisième Acte selon Olivier Py, avec ses sortilèges venus de l’enfance, a marqué un tournant décisif dans l’appréhension de l’ouvrage.
Le spectacle réglé par l’équipe de La Fura dels Baus avait des le soir de la première suscité une admiration unanime. On y allait pourtant un peu à reculons, craignant d’y retrouver le grand livre d’image en 3D de leur Ring de Valencia. C’était sans compter sur l’art d’Alex Ollé. Des le lever de rideau on s’est laissé emporter par cette direction d’acteur inspirée, par cette nuit lyrique où la houle rend enfin palpable la présence de la mer, par ce ciel allumant ses étoiles où filent une comète à la course songeuse. Ce n’est plus seulement le récit archétypal que déroule Ollé, mais sa poésie première, où le destin des amants est façonné autant par le philtre que par la prééminence de la nature et du cosmos.
Cette omniprésence de la nature, avec son univers largement féminisé symbolisé par cette lune omniprésente, place Isolde au centre du drame, et ce d’autant plus qu’Ann Petersen lui donne un relief saisissant par le chant comme une poésie très active par son incarnation. A la fin du II, lorsqu’elle déclare qu’elle suivra Tristan dans son exil, Petersen donne à entendre clairement que c’est elle qui veut l’y conduire pour pérenniser leur amour. Non plus victime mais maître de son destin. Cela change tout.
Durant tout le I elle est moins sorcière que nombre de ses consœurs, plus rayonnante, déjà dans une forme d’amour dont l’objet se précise à mesure avec une évidente clarté. Dés lors la permutation des philtres n’est plus une erreur mais une évidence. A vrai dire son énergie vitale nous rappelle la plus belle Isolde qu’on ait jamais croisée, Catarina Ligendza, qui en deux mots de son chant pur et ardent renvoyait aux oubliettes les Isolde hurleuses et matrones alors en vogue, et annulait le bronze solide mais univoque de Birgit Nilsson.
Alex Ollé tire ce fil avec un art consommé : pas un geste superflu, une tension dans le jeu, une exactitude dans la caractérisation, une fluidité pour la gestion de l’espace dramatique et l’interaction physique et psychologique entre les caractères qui nous emmènent très loin dans l’admirable livret de Wagner, chef-d’œuvre fragile qui déduit de cette fragilité même son génie. Rarement une mise en scène nous aura autant fait écouter et comprendre le texte lors d’un spectacle d’opéra.
Admirable de bout en bout d’autant que le collectif de la Fura trouve d’emblée le temps wagnérien, où à l’envers d’une fausse tradition rien ne doit peser : fluide, tout est fluide, une heure dure une minute et dans cette heure une minute peut durer un siècle. Le théâtre de Wagner sert à dérégler les pendules.
Ce temps est évidemment celui de la musique, enfin replacée au premier plan du spectacle.
Un mot d’abord de l’orchestre. La fosse de l’Opéra de Lyon contient la formation exacte de Tristan, pas le mastodonte qu’imposent les salles modernes, mais un orchestre du cœur du romantisme avec beaucoup de soli, guère de doublures, des cordes ardentes et coloristes, des vents sans plomb, des bois diseurs . Kirill Petrenko ne marque jamais la mesure, sa direction suscite, tissant entre fosse un plateau un réseau mystérieux d’interactions, elle ouvre un espace sonore rayonnant, frémissant, qui envahit le théâtre d’une constante musique de chambre où les voix sont portées. Et à l’acte II, , lorsque le spectacle occupe tout l’espace vertical du cadre de scène, et que les cors bouchés de la chasse du Roi Marke se font entendre, jouant du foyer, le temps et l’espace se joignent enfin, portant la magie à son comble. On n’est plus spectateur, on est dans l’œuvre.
Les esprits chagrins auront regretté le « baryténor » de Clifton Forbis, mais un autre chanteur est-il aujourd’hui à ce point Tristan dés son premier geste ? Et devant les moyens encore stupéfiants qu’il déploie au III on doit rendre les armes. Admirable Brangaene selon Stella Grigorian, un rien trop suractive au I, mais magique au II, Kurvenal très dessiné de Jochen Schmeckenbecher, avec dans le timbre un ton peuple et noble à la fois qui fait penser à Hermann Prey, très beau Roi Mark de Christof Fischesser, plus baryton que basse, mais dont la grande scène du II est enfin de qu’elle doit être, une douleur et non un sermon.
Soirée bénie des Dieux, alors même qu’on vous en fait le récit, on y est encore, c’est dire ! Il parait que cela se nomme « spectacle total ».
Jean-Charles Hoffelé
Richard Wagner : Tristan und Isolde - Opéra de Lyon, le 10 juin, prochaines représentations les 13, 16, 19 et 22 juin 2011
www.opera-lyon.com
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Photo : Stofleth
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