Journal
Tristan et Isolde à l’Opéra Bastille – Orchestre magique – Compte-rendu
On allait à cette troisième reprise du Tristan de Sellars-Viola un rien craintif. Violeta Urmana Isolde, vraiment ? Dès ses premières phrases le doute était levé. Depuis des lustres sa voix n’avait plus affiché une telle cohérence entre les registres, une projection si nette malgré le vibrato du medium, et même pour Mild und leise l’allègement dont tant d’Isolde sont incapables. Mais son personnage est trop univoque, toujours plus sorcière qu’amante surtout pour ceux qui ont encore en mémoire le caractère si complexe – sans parler de la silhouette et du jeu expressif – qu’y mettait Waltraud Meier à jamais mariée à cette production quoi que l’on fasse.
En contraste complet la Brangaene si bien chantante de Janina Baechle affiche un personnage soumis, effacé, tout le contraire de la manipulatrice qu’y campait brillamment Yvonne Naef. En fait elle est terrorisée avant même d’avoir versé le philtre, et jusque dans ses appels inquiets au II que vient amoindrir un cri un peu trop Clytemnestre. Et Tristan ? Au I Robert Dean Smith phrase comme un dieu, avec dans la nature même de la voix et dans sa diction des souvenirs de Windgassen. Ce Tristan a du style à revendre et une sacrée culture. Son personnage apeuré et perdu, hanté par le souvenir maternel, est un rien trop marqué par le langage du corps cher à Sellars. Mais voila, la cage immense de Bastille l’épuise, et au III il marque et parle, vidé de sa substance, en voix de bois mais pourtant phrasant toujours. On admire, on est triste pour lui en même temps. Jochen Schmeckenbecher campe un Kurwenal tour à tour rugueux et tendre, vrai homme du peuple, et sans un gramme de vulgarité dans sa ballade du I, Franz-Josef Selig n’a plus la profondeur de timbre de jadis, son violoncelle s’est élimé, mais l’art reste toujours aussi clouant et le personnage compatissant voulu par Sellars – qui cette fois a rétabli le baiser sur la bouche de Tristan que la reprise avait supprimé - saisissant. Le Melot tranchant de Raimund Nolte, les quelques phrases du Steuermann de Piotr Kumon lancées avec aplomb du balcon, aussi formidables soient-ils s’effacent devant la grâce nostalgique du Seemann et du Berger de Pavol Breslik dont le Tamino vient de rayonner sur la Zauberflöte de Carsen.
Rien n’a changé chez Bill Viola que le Grand Palais célèbre en ce moment alors que le public de Bastille lui a décoché une virulente bordée, et on le trouve toujours plus inspiré dans l’illustration que dans la narration, sinon pour le conte des corps célestes où rayonne la grâce de John Hay. Quelque chose s’est raidi dans la grammaire de Sellars, on ne sait quoi d’appuyé s’y est glissé, le spectacle aurait-il vieilli déjà ?
photo © ronaldo
Mais en fait on écoutait d’abord car tout Tristan était dans l’orchestre magique de Philippe Jordan, animé d’un feu, d’une tension, allant à l’essentiel du discours wagnérien, ses musiciens se transcendant pour lui jusque dans les subtiles notes de harpe dont Wagner souligne la mort de Tristan. C’est grand compliment d’écrire qu’il renoue ici avec l’art de son père.
Jean-Charles Hoffelé
Wagner : Tristan und Isolde, 8 avril - Paris, Opéra Bastille ; prochaines représentations 12, 17, 21, 25, 29 avril (18h), 4 mai (14h) 2014
www.concertclassic.com/concert/tristan-et-isolde-de-wagner-1
Photo © Opéra national de Paris / Charles Duprat
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