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Tristan und Isolde au Teatro Real de Madrid – Splendeurs wagnériennes – Compte-rendu
Est-il raisonnable de s’enfermer pendant de longues heures dans un théâtre aussi confortable soit-il, quand au dehors les températures s’affolent et que règne dans toute la ville une douce sensation estivale ? Et bien la réponse est oui, car ce Tristan und Isolde (le premier d’une série de quatre), donné au Teatro Real de Madrid, a dépassé toutes nos attentes. Il est vrai qu’avec une distribution aussi prestigieuse (Schager, Brimberg, Gubanova et Selig, le tout dirigé par Bychkov) et une simple, mais suffisante, mise en espace, il y avait de quoi être rassuré. C’est pourtant avec une autre Isolde que le concert a eu lieu, Catherine Foster ayant été appelée en catastrophe pour se substituer à Ingela Brimberg, indisposée.
La cantatrice britannique bien connue des wagnériens, l’une des plus grandes titulaires actuelles, s’est glissée avec le plus grand naturel dans cet écrin musical réalisé par Semyon Bychkov, au plus fort de son art. Quelle magnifique démonstration de direction musicale le maestro, naturalisé américain, a-t-il donné : une douceur infinie, un lyrisme éperdu, une tension maintenue au fil de trois actes haletants dans le plus grand calme et la plus élémentaire des concentrations.
Totalement investi, le chef fait corps avec un orchestre qui lui donne tout et s’abandonne collectivement. L’osmose entre l’homme et chaque instrumentiste est ainsi totale, la fusion entre pensée et exécution traduite avec une intensité tout entière mise au service de la musique, qui palpite comme un même cœur et dont l’âme semble à tout moment se détacher pour mieux venir nous caresser. Nous nous souvenions d’une représentation parisienne de 2009 (reprise du spectacle de Sellars/Viola avec en solistes Waltraud Meier et Clifton Forbis), cette soirée d’avril 2023 restera à jamais gravée dans nos mémoires.
Eclatante, singulière, Catherine Foster incarne Isolde avec une évidence folle. Son physique à la Angela Landsbury, sa présence où se mêlent l’inquiétude et l’agitation, nous mettent d’emblée en relation avec une artiste qui ne fait qu’une avec son personnage. Sa voix flexible et résistante, plus soprano que soprano dramatique, à l’émission claire et charpentée, survole comme autrefois l’inoubliable Behrens la tessiture avec une indestructible ligne de chant et un registre aigu glorieusement déployé. Dès les premières notes on sait que cette Isolde ne faillira pas et que ce roc vocal saura se faire sensible, frémissant et d’une puissante féminité. Ainsi reste-t-on ébloui par la fureur de ses imprécations (au 1), se délecte-t-on de ses épanchements amoureux (duo avec Tristan au deuxième acte), et se laisse-t-on emporter par son immatériel Liebestod.
Comme sa collègue Andreas Schager n’a plus vingt-cinq ans, mais livre une nouvelle fois une performance de haute tenue vocale et dramatique, où s’expriment dans une même fulgurance la passion, la brûlure de l’attente et le désespoir. Curieusement ce n’est pas au troisième acte que la voix du ténor montre certaines limites, mais au second où la tessiture meurtrière et l’intensité des échanges entre les deux amants, l’obligent à puiser dans ses ressources et laissent entrevoir les stigmates de la fatigue, son instrument se montrant à plusieurs reprises métallique. Franz-Josef Selig (déjà présent en 2014 avec Schager dans la production de Sellars/Viola de passage à Madrid) est toujours avec René Pape l’un des plus exceptionnels Roi Marke de notre temps, dont le chant sobre et posé se fait douloureux à mesure que son récit progresse.
Thomas Johannes Mayer est un beau Kurwenal entouré de comprimari de qualité (Neal Cooper en Melot, Jorge Rodríguez en Pilote notamment) et d’un chœur maison superbe (préparé par Andrés Máspero). Et que dire d’Ekaterina Gubanova si ce n’est que son nom restera définitivement associé à celui de Brangäne, dont elle fait ressortir chaque détail avec un savoir évident et une voix au timbre prenant et généreux qui n’en finit pas de filer les Appels « Habet acht ! » ; un moment inoubliable que la direction inspirée de Bychkov se charge d’éterniser.
Une merveille.
François Lesueur
Wagner : Tristan und Isolde – Madrid, Teatro Real ; Prochaines représentations 3 et 6 mai 2023 / www.teatroreal.es/en
Photo © Javier del Real / Teatro Real
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