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Trois Questions à Boris Blanco, Directeur général du Festival de la Chaise-Dieu – « La musique est un extraordinaire creuset pour les émotions les plus puissantes. »
Trois Questions à Boris Blanco, Directeur général du Festival de la Chaise-Dieu – « La musique est un extraordinaire creuset pour les émotions les plus puissantes. »
Qu’on ne vienne pas dire que le classique est une affaire de barbons ! Après Julien Caron, nommé à 26 ans en 2012, Boris Blanco (photo) n’avait pas 30 ans quand il lui succédait, en 2022, à la direction générale du Festival de La Chaise-Dieu, là-haut en Auvergne sur le plateau du parc naturel régional Livradois-Forez. Né dans le pays niçois au sein d’une famille de chanteurs lyriques, le jeune homme se rappelle avoir assisté enfant à un concert d’Anne-Sophie Mutter à Monaco – d’où il serait ressorti violoniste. Et, malgré ses responsabilités d’organisateur, l’est demeuré : « Effectivement, je fais moins de concerts, seulement ceux que j’ai vraiment très envie de faire, ce qui est un luxe qui ne me déplaît pas ! Je ne peux pas vivre sans jouer du violon, ouvrir la boîte, bouger les doigts… » Une relation très spéciale avec un Matteo Goffriller des années dix du XVIIIe siècle – dont il jouera discrètement à La Chaise-Dieu au côté de Pierre Fouchenneret – qui lui confère un statut assez rare : « Je pense vraiment que la musique classique doit appartenir aux musiciens. Comme directeur général de festival, il s’agit de donner au musicien les armes, les conditions et la mise en valeur nécessaires afin qu’il fasse de la musique et pas seulement le cantonner à la musique. Car c’est le musicien et le public qui font le festival, pas le directeur. »
Comment définiriez-vous les lignes de force du Festival de La Chaise-Dieu ?
Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est son côté généraliste. Nous sommes tout à la fois un festival de musique sacrée, de musique baroque, de musique symphonique, de musique française… Et je pense que le public vient chercher cette diversité, qui permet d’écouter les meilleurs interprètes de chaque domaine, et qui essaie d’embrasser toute l’histoire de la musique en deux semaines, ce qui est un peu notre promesse. Dans la continuité, mon projet s’appuie sur les grandes œuvres du répertoire, les jeunes musiciens et la création.
Pierre Fouchenneret © DR
Le festival a le rôle d’une grande institution culturelle en milieu rural. Il n’y a pas de formation symphonique, ni de scène nationale, ni de scène lyrique au Puy-en-Velay. Les orchestres les plus proches sont à Clermont et à Saint-Étienne, soit à une heure et demie. Après, c’est Lyon. Donc nous nous devons de proposer les symphonies de Beethoven, le Requiem de Mozart (1) ou la Titan de Mahler (2). En ce qui concerne les jeunes musiciens, nous avons mis en place « Génération Chaise-Dieu » l’année dernière : une quinzaine de jeunes musiciens en résidence, chapeautés par Pierre Fouchenneret au violon, Lise Berthaud à l’alto et Romain Descharmes au piano, qui donnent quinze concerts gratuits dans de toutes petites communes très rurales.
L’année dernière, on a réuni près de 2 500 personnes sur onze concerts, dans des villages de 100 ou 150 habitants. Il y a un désir profond de musique et d’art sur ce territoire, chez des personnes qui ne seraient pas venues directement et qui, tout d’un coup, ont la fierté de dire le festival de La Chaise-Dieu vient chez moi. Et donc, la création, avec l’idée de commander, disons tous les deux ans, une œuvre sacrée – au sens liturgique du terme, parce que pour moi toute musique est sacrée. Mais il n’est pas question de passer commande comme je commanderais une pizza ! Passer commande, c’est avoir une idée du compositeur, parce que je le connais et que j’aime sa musique, c’est s’engager à faire entrer l’œuvre au répertoire. Le « cahier des charges » impose la même nomenclature qu’une œuvre sacrée préexistante. Cette année, c’est le Requiem de Fauré, et Thomas Lacôte a eu la très bonne idée de faire un Répons du baptême, lequel, sauf erreur, n’a jamais été mis en musique.
Leonardo García Alarcón © Vincent Ardelet // Entouré d'une magnifique distribution et à la tête de Cappella Mediterranea et du Chœur de chambre de Namur, le chef argentin conduira les Vêpres de Monteverdi le 27 août.
Ceux qui vous connaissent savent combien vous placez la musique dite classique très haut dans l’échelle des réalisations humaines. Que nous apporte-t-elle selon vous ?
D’abord, qui découvre la musique – comme qui découvre la littérature – ne s’ennuie plus jamais dans sa vie, c’est le remède absolu ! Ensuite – Camus évoque cette idée dans son Discours de Suède –, la musique classique met à disposition de tous des émotions qu’on ne peut pas tous vivre, d’ailleurs il n’est pas toujours souhaitable que nous les vivions. Qui écoute la Symphonie “Leningrad” de Chostakovitch est à Leningrad en 1941… La musique est un extraordinaire et terrible creuset pour les émotions les plus puissantes. Elle permet d’échapper au monde, car il est toujours bon de pouvoir s’y soustraire, disait Shakespeare. Scientifiquement, il est prouvé que la musique fait travailler différemment les neurones, comme le sport ou l’arithmétique font travailler autrement certaines parties du cerveau. Alors oui, la musique classique demande un effort, elle oblige à rester sur son siège pour entendre ce dont on n’a pas l’habitude, pour ressentir des émotions qui parfois vous mettent mal à l’aise, parce que c’est trop grand, trop violent, trop intime, parce que ça vous fait penser à des choses auxquelles vous n’avez jamais pensé, auxquelles vous n’avez peut-être pas envie de penser… Mais elle n’exige rien d’autre qu’un effort intellectuel dont tout le monde est capable. Et puis, ça coûte beaucoup moins cher que la pop ou le foot… Il ne faut jamais hésiter à emmener des jeunes au concert, même “trop” jeunes : si, à un moment, il y a un cri dans la salle, ce n’est pas très grave, le mélomane et le musicien s’en remettront ! Il faut que les gamins viennent au concert, en jean et baskets, il faut emmener tout le monde au concert tout le temps !
Victor Julien-Laferrière © Jean-Baptiste Millot // Avec son Orchestre Consuelo, le jeune chef offrira les Symphonies nos 5, 6 & 8 de Beethoven les 25 et 26 août – retransmission en direct sur France Musique. Enregistrées l'an dernier à la Chaise-Dieu, les Symphonies nos 1, 2 & 4 seront disponibles chez B.Records le 6 septembre prochain.
À l’affiche de la 58e édition du Festival de La Chaise-Dieu, les “stars” sont légion : Sébastien Daucé, Vincent Dumestre, Renaud Capuçon, Leonardo García Alarcón etc. (3) Quels autres concerts le directeur aimerait-il mettre en avant ?
D’abord la création de Thomas Lacôte (4), parce qu’il n’y a pas beaucoup de festivals généralistes en France qui osent créer une œuvre de musique sacrée d’une trentaine de minutes en « prime time », c’est-à-dire sur la grande soirée du vendredi soir ! Après, la suite de l’intégrale des symphonies de Beethoven (5) par l’orchestre Consuelo dirigé par Victor Julien-Laferrière – dont on va sortir le CD du premier volet en avant-première au festival. Je sais que certains ont l’impression que c’est « mainstream », alors qu’il n’y a rien de plus exigeant que de se frotter à ce corpus immense. D’autant que des intégrales Beethoven par des orchestres et des chefs français, il n’y en a pas tant que ça… Enfin, Benjamin Grosvenor avec l’Orchestre de Lyon (6), parce que c’est un pianiste extraordinaire et qu’après Alexandre Kantorow l’année dernière, on est dans la lignée des très grands depuis Georges Cziffra, le fondateur du festival.
Gabriel Fauré brodant sa partition © Palazzetto Bru Zane - fonds Leduc
Je vais rajouter un quatrième coup de cœur personnel : la musique de chambre de Gabriel Fauré (7), en cette année du centenaire. Fauré, c’est le trait d’union entre Rameau et Messiaen. À son époque tellement influencée par Wagner, il est resté « so french ». Il y a chez lui quelque chose de charmant, sensuel, un peu comme chez Proust : les grands malheurs ne portent pas sur des événements très graves. J’adore autant la première période, le Fauré extrêmement séducteur, un peu cabotin, avec un sens de la mélodie profondément touchant, que la dernière, celle du “chercheur d’absolu” dans un labyrinthe d’où l’on ne ressort jamais vraiment. Schubert a dit des derniers Beethoven que c’était de la musique qui resterait contemporaine pour toujours… Pour moi, cela vaut pour le dernier Fauré : je ne suis pas sûr qu’elle se comprenne mieux avec le temps, elle demeure mystérieuse et c’est ce qui est beau.
Propos recueillis par Didier Lamare le 13 juin 2024.
58e Festival de musique de La Chaise-Dieu, du 21 au 31 août 2024 // www.chaise-dieu.com
Photo Boris Blanco © Bertrand Pichène – FLCD
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