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Trois questions à Nicholas Snowman
Directeur de l’Opéra National du Rhin, Nicholas Snowman entame sa sixième et dernière saison. Tandis que débute Un Bal masqué mis en scène par Philippe Arlaud (encore sept représentations jusqu’au 11 novembre, partagée entre Strasbourg et Mulhouse), la première nouvelle production de la saison 2008-2009, le patron de l’institution alsacienne – et de l’une des plus belles scènes lyriques françaises – répond aux questions de Concertclassic.
La saison qui débute est votre sixième et dernière à la tête l'Opéra national du Rhin. Quel bilan pouvez-vous tirer des cinq précédentes saisons, en ce qui concerne l'évolution du public (d'un point de vue tant quantitatif que sociologique) et celle du répertoire de la maison que vous dirigez pendant un an encore ?
Nicholas Snowman : Je suis arrivé dans une maison et dans une région très ouvertes, où la culture n’est pas un simple mot. Strasbourg, par exemple, est une ville universitaire de tout premier plan, et cela se sent. C’est ce qui m’a permis d’envisager dès ma première saison une programmation d’apparence difficile, que j’ai intitulée « Vendanges tardives » en raison de la présence majoritaire d’œuvres testamentaires sinon ultimes (Theodora de Haendel, Lulu de Berg ou encore Les Boréades de Rameau), avec également une création (The Tempest de Thomas Adès). Et, pour ne citer qu’un autre exemple, l’accueil que le public alsacien a réservé au premier opéra de Bruno Mantovani, L’Autre côté, a prouvé que je ne m’étais pas trompé. Je ne saurais passer sous silence le cycle Berlioz, un compositeur que j’apprécie tout particulièrement, et que j’espère avoir fait apprécier au public alsacien.
Je pense avoir réussi à varier au mieux la programmation, tant sur le plan du répertoire que sur celui, toujours délicat, des metteurs en scène. J’ai plaisir à citer ici David McVicar, qui aura fait pour nous quelques productions mémorables, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, un Così fan tutte de Mozart et des Wagner (nous en sommes au troisième volet de la Tétralogie) qui marquent assez unanimement les mémoires. J’espère qu’il restera dans les mémoires comme le nouveau Ponnelle de l’Opéra du Rhin, avec cette même fidélité à notre maison – et cette même excellence.
Klaus Michael Grüber aussi aura, je l’espère, marqué mes deux mandats, avec Parsifal et Boris Godounov. Quel regret que cet artiste unique soit parti si tôt… Et puis, permettez-moi de citer Mariame Clément, dans la toute nouvelle génération, qui aura elle aussi marqué notre scène. Côté chanteurs, je pense avoir réussi à insuffler une nouvelle jeunesse à la maison : nous avons en effet déniché de jeunes artistes qui connaissent déjà des succès fulgurants sur les plus grandes scènes mondiales, comme ce jeune Siegmund la saison dernière, Simon O’Neill. Il y a aussi quelques prises de rôles marquantes, comme Béatrice Uria-Monzon pour sa première Didon, Paul Groves pour son premier Werther dans quelques mois, sous la baguette de Plasson. Côté chefs, je pense à Plasson justement, que j’ai le plaisir d’avoir fait revenir en Alsace, mais aussi à Marc Albrecht, Ivor Bolton, Kirill Karabits ou encore Daniel Klajner.
Bref, toute cette effervescence, j’espère avoir su la créer dans le bon sens, c’est-à-dire à la fois pour insuffler une dynamique nouvelle vis-à-vis du public, mais aussi pour la maison elle-même. Tout cela ne saurait d’ailleurs se faire sans une politique à l’égard du jeune public, notre public de demain, à l’intention duquel nous avons réussi à développer des politiques très actives, en partenariat avec les écoles, les collèges et les lycées, mais aussi les quartiers que l’on dit difficiles, ou les milieux défavorisés. Nous avons aussi beaucoup travaillé au développement d’un secteur nouveau, qui manquait dans la maison : les partenariats, sponsors, mécènes et autres soutiens de toutes sortes. Avec mes collaboratrices, nous avons ainsi multiplié par 3 les apports financiers en la matière depuis mon arrivée. Vous n’êtes pas sans savoir ma fierté de diriger une maison reconnue par ses pairs pour la qualité de son travail. C’est un joyau unique que j’ai là à gérer, et je me devais d’éviter que cette qualité ne baisse par une certaine routine. Les lauriers, dans ce métier, ne durent que s’ils sont chaque fois mérités. Et je pense que l’Opéra national du Rhin n’a pas à rougir de la comparaison avec les plus grandes scènes européennes, même avec les capitales.
La première nouvelle production de la saison 2008-2009 est dédiée au Bal Masqué de Giuseppe Verdi. Quelles sont les raisons qui vous ont amené à choisir cette oeuvre et à en confier la mise en scène à Philippe Arlaud ?
N.S : Les raisons d’un choix d’ouvrage sont complexes. Il faut tenir compte d’une cohérence sur la saison entière, cohérence par rapport à la maison elle-même (travail des ateliers, des chœurs, disponibilité des orchestres et j’en passe !) et cohérence par rapport à l’offre pour le public. Le Bal masqué est une œuvre que j’aime tout particulièrement, et elle pouvait s’inscrire avec logique dans ma dernière saison, car on y trouve des pré-échos de Falstaff, la toute dernière production que je présenterai en juin et juillet prochains. De plus, cette œuvre n’a pas été donnée très souvent ici ces derniers temps. Je crois même qu’il faut remonter à plus d’un quart de siècle pour en retrouver une production sur nos planches. Certes, on ne monte une œuvre de cette difficulté que si l’on est sûr d’avoir des chanteurs capables de la porter – monter un grand Verdi pour un résultat médiocre n’aurait aucun sens. Or j’ai eu la chance de pouvoir réunir quelques-uns des meilleurs interprètes possibles de ces rôles-là ; c’est ce qui m’a décidé à monter ce Bal masqué, sans quoi j’aurais certainement choisi un autre titre. Quant à Philippe Arlaud, c’est un artiste que j’apprécie pour son imaginaire, pour son intelligence, pour sa force aussi. Et puis c’est toujours un plaisir pour moi que d’inviter des artistes qui ont déjà travaillé dans notre maison, et Philippe Arlaud a fait ici un Vaisseau fantôme et un Tristan mémorables.
Les Jeunes Voix Rhin se sont transformées il y a peu en Opéra Studio : à quelles évolutions répond ce changement de dénomination ?
N.S. : Des évolutions pratiques tout d’abord : la gestion de cette structure devait à mon sens (et le Ministère était de cet avis) dépendre directement de la direction de l’Opéra, cela tout d’abord dans un simple souci d’efficacité. Une direction déléguée donnait parfois l’impression aux jeunes artistes d’être isolés de la maison-mère, ce qui n’était pas bien ni pour eux, qui se sentaient parfois un peu exclus du fonctionnement de l’Opéra, ni pour l’image de la structure. Par ailleurs, il semblait nécessaire d’étendre sur deux saisons l’engagement de ces jeunes talents, afin de mieux les préparer aux réalités du métier sans risquer de brusquer inutilement les choses, et de casser leur enthousiasme. On sait la sensibilité des chanteurs, leur fragilité, surtout en début de carrière… Avec ces deux saisons, on a davantage le temps de peaufiner leur formation, de leur fournir ce dont ils ont besoin quand ils sortent des écoles ou des conservatoires, avant de les lancer sur les planches au beau milieu des artistes confirmés, dans les productions de l’Opéra. C’est aussi l’occasion de faire appel à de nouvelles équipes d’intervenants, avec des chanteurs internationaux pour des master-classes, ou des metteurs en scène de très haut niveau, qui ont conscience de leur rôle dans la formation de cette jeune génération. Pour ce qui est de la dénomination, elle participe d’une meilleure visibilité de la structure. En effet, que l’on soit un jeune chanteur australien, français ou canadien, on sait tous ce que le terme d’Opéra Studio veut dire. C’est un gain considérable, dont on mesure déjà le bénéfice ne serait-ce que dans les possibilités de tournées des spectacles montés pour eux.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 19 octobre 2008
Programme détaillé de l’Opéra du Rhin
Photo : Cyril Entzmann
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