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Ubu roi au Théâtre de l’Athénée – Tom et Jarry – Compte-rendu

Ubu roi s’est installé au répertoire aussi solidement que le père Ubu a conquis la Pologne. Cependant, si le texte d’Alfred Jarry est joué partout (et a même inspiré à Krzysztof Penderecki son opéra Ubu Rex, créé en 1991), on connaît moins la musique qui l’accompagnait initialement, et que le dramaturge avait demandée à Claude Terrasse (1867-1923). Oui, celui-là même auquel on doit tant d’opérettes loufoques que l’on n’en finit de redécouvrir, La Botte secrète ou Les Travaux d’Hercule – que proposera cette saison l’ensemble Musicatreize (1)… Mais la musique d’Ubu, qui la jouait encore ? Au temps où Jean-Christophe Averty mettait en image la pièce pour la télévision nationale, la partition de Terrasse était « arrangée » pour l’occasion, et l’on n’en gardait guère que le vague souvenir de la Chanson du décervelage.
 

Claude Terrasse – Musica, mai 1903 (p.127) © Coll. part.

Mais cette fois, la musicologie était sur le coup, et c’est un retour à la version, sinon originale, puisque Terrasse semble d’abord l’avoir composée pour piano en 1895, mais à la plus ancienne version orchestrée disponible que proposent Les Frivolités Parisiennes. Christophe Mirambeau, qui officie toujours pour ce genre de résurrection, raconte avoir retrouvé dans un fonds d’archives le matériel d’orchestre conçu par Claude Terrasse pour une unique représentation de 1908, la pièce étant reprise après la guerre par Lugné-Poe au Théâtre de l’Œuvre, le compositeur dirigeant dans la fosse. Et par souci de donner l’intégralité de cette musique de scène, il a été demandé à Jean-Yves Aizic d’orchestrer le seul morceau manquant, car connu dans la version pour piano mais coupé lors des représentations de 1922.
 

© Christophe Raynaud Delage

En écoutant ce que jouent les instrumentistes des Frivos présents en fond de scène, et qui interviennent régulièrement pour interpréter de brefs rôles parlés, on sent bien que Terrasse a voulu égaler l’absurdité de ce Macbeth burlesque, dans la mesure de ce qui était possible pour lui en 1895. On entend une musique composite, délibérément décousue, qui juxtapose des bribes de flonflons du bal et de fanfare militaire. On songe au Satie de Parade ou de Relâche, sans le côté obsédant de certaines répétitions ; on pense au Poulenc des Mariés de la Tour Eiffel et à sa délicieuse parodie de la musique de kiosque (« Discours du Général ») ; on penserait même presque à L’Histoire du soldat. Mais surtout, on se croit dans un dessin animé, et l’on ne serait pas surpris de voir Tom et Jerry se courir après.
 

© Christophe Raynaud Delage

Le spectacle est monté par Pascal Neyron, bien connu des habitués de l’Athénée pour son travail sur des opérettes comme Gosse de riche ou Le Testament de la tante Caroline. Il s’empare d’Ubu roi en laissant à ses comédiens la liberté d’enrichir constamment le texte d’ajouts murmurés dans une langue moins littéraro-ordurière que celle de Jarry. La scénographie de Camille Duchemin se compose d’une sorte de rideau de gros tuyaux noirs, qui s’écroulent bientôt pour former au sol d’énormes serpents ou colombins qui étouffent les personnages condamnés par Ubu, tandis que la mère Ubu glissée dans un tuyau argenté se déguise en Slinky au dernier acte. Les costumes oscillent entre aujourd’hui (ah, la doudoune et le marcel cradingue d’Ubu !) et le mythe délirant (la traîne interminable du tsar…). On rit beaucoup, et l’affaire est expédiée en à peine une heure trente. Les onze vaillants musiciens s’affairent autour de six acteurs qui se partagent tous les rôles, et qui méritent tous d’être nommés : Elisabeth de Ereño en Bougrelas, Emmanuel Laskar en capitaine Bordure, Nathalie Bigorre en reine/czarine, Jean-Louis Coulloc’h en roi/czar, et surtout, forcément, la mère Ubu de Sol Espeche et l’Ubu ruisselant de lâcheté de Paul Jeanson.
Le spectacle tient l'affiche à l'Athénée jusqu'au 20 octobre et sera repris pour deux dates à l'Opéra de Reims en novembre.
 
Laurent Bury
 

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(1) www.musicatreize.org/programmation/les-travaux-dhercule/

Alfred Jarry / Claude Terrasse : Ubu roi – Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 10 octobre ; prochaines représentations les 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19 et 20 octobre 2024 // https://www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/ubu-roi.htm
Reprise à l’Opéra de Reims les 23 et 24 novembre 2024 // https://operadereims.com/event/ubu-roi-24-25/
 
Photo © Christophe Raynaud Delage

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