Singulier parcours que celui du marseillais Raoul Moretti (1893-1954). Bon pianiste (on sait par quelques entrefilets dans la presse de l'époque qu’il joua Saint-François de Paule machant sur les flots de Liszt au cours d’un concert collectif en juin 1912 dans sa ville natale), Moretti délaissa rapidement le métier d’interprète pour privilégier la création, sur le mode le plus souriant. Il fit entendre ses premières chansons à Marseille avant de partir à la conquête de Paris, où son art de mélodiste conduisit Albert Willemetz et Pierre-Henri Cami à faire équipe avec lui pour une opérette bouffe moyennâgeuse inspirée par les bourgeois de Calais : En Chemyse. Daté de 1924, cet ouvrage ouvrait une série de succès qui se prolongea jusqu’à la fin des années 1930.

Parmi les plus marquants, Un Soir de Réveillon (livret de Marcel Gerbidon et Paul Armond ; lyrics de Jean Boyer et Albert Willemetz) fut créé au Bouffes-Parisiens le 17 décembre 1932, avec une éblouissante distribution comprenant Henri Garat, Meg Lemonnier, Dranem et Arletty. La réussite fut telle que le cinéma s’empara vite de l’ouvrage et qu’un film – signé Karl Anton – sortit dès l’automne 1933.

  Marie Oppert (Monique Lepage /Ninon), Flannan Obé (Honoré), Emmanuelle Goizé (Viviane) © Claire Besse

Histoire du jeune fille de bonne famille, Monique Lepage, qui passe la soirée de réveillon dans le demi-monde (sous le nom de Ninon et ... sous la surveillance, plus que vigilante, d’Honoré, son chauffeur) et y rencontre Gérard Cardoval, riche industriel débarqué de Roubaix, bien décidé à vivre en vrai parisien, Un Soir de Réveillon s’achève sur le mariage de Ninon/Monique et Gérard, après force rebondissements - dont une scène dans un restaurant japonais comprenant une hilarante parodie de kabuki.

Vrai délice, l'ouvrage de Moretti tient l’affiche jusqu’à la fin de l’année sur la scène de la Nouvelle Eve. Si vous aimez l’opérette, ne manquez surtout pas ce Soir de Réveillon accommodé par Les Brigands. La compagnie offre un spectacle tout de finesse et de drôlerie – Vladislav Galard signe la mise en scène, Robert Hatisi la scénographie et les costumes. Côté musique, un certain intimisme prévaut puisqu’un accordéoniste (Rodrigue Fernandes) et un guitariste (Rémi Oswald) – tous deux excellents et impliqués dans le spectacle – se voient confier la partie musicale.

Côté distribution, les chanteurs comédiens des Brigands font des étincelles : Romain Dayez en Cardoval beau gosse et grand séducteur, le formidable Flannan Obé pour un Honoré aussi irrésistible en chauffeur qu’en serveur ou en... Doge de Venise au moment du bal masqué, la jeune Marie Oppert, Monique/Ninon d’un charme piquant, Emmanuelle Goizé en Viviane on ne peut plus demi-mondaine, et enfin Gilles Bugeaud, à la fois M. Lepage, architecte en détresse financière, Carbonnier et Landier, un croquignolesque clerc de notaire.

Personnages fermement dessinés, mise en scène aussi simple qu’efficace, airs entêtants, dialogues pétillants comme un champagne : une savoureuse soirée vous attend ! Moroses s’abstenir, on l’aura compris.

Alain Cochard

R. Moretti : Un soir de Réveillon – Paris, La Nouvelle Eve (25 rue Pierre Fontaine, 75009), 13 novembre ; prochaines représentations les 27 novembre, 5, 12, 19 et 26 décembre 2017 (à 20h30, ouverture dès 19h30) /www.lanouvelleeveparis.com/invites/

Photo © Claire Besse