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Une interview de Benoît Dratwicki, directeur artistique de l’Haydneum – Au service du riche patrimoine hongrois

L’Haydneum fête sa première année d’existence. Nous avons demandé à son directeur artistique, Benoît Dratwicki, de nous en dire plus sur cette institution hongroise, à l'occasion d'une exécution en version de concert de L'isola disabitata de Haydn à l'Académie Franz Liszt de Budapest (1)
 
Comment est né l’Haydneum ?
 
Il s’agit en fait d’un projet que le chef György Vashegyi caresse depuis près d’un quart de siècle, mais dont l’idée n’avait alors pas retenu l’attention des autorités en Hongrie. Au fil des années, et à force de travailler en étroite collaboration avec diverses institutions étrangères, il est devenu plus persuadé que jamais du bien-fondé de sa démarche : un pays ayant un aussi riche patrimoine musical devait s’en emparer sur le plan scientifique, éditorial et artistique. Et cette fois, le gouvernement a accepté son projet, d’autant plus qu’il s’inscrivait dans le cadre de la mise en valeur du château d’Esterháza, en restauration depuis plusieurs années. 
C’est ainsi qu’est né, à l’automne 2021, une fondation entièrement financée par les fonds publics, un centre qui entend favoriser en Hongrie la pratique de la musique ancienne et l’exploration du patrimoine, mais aussi la formation des jeunes musiciens en leur proposant un cadre institutionnel, en mettant à disposition des instruments anciens, originaux ou copies… Bien sûr, la dotation pourra changer selon la générosité des gouvernements successifs, mais l’institution paraît désormais pérenne. Le Haydneum dispose de ses propres bureaux, dans un magnifique bâtiment situé sur la colline du château de Budapest, et emploie une douzaine de personnes.
 
Quel est le répertoire défendu ?
 
La fourchette chronologique est très large : 1630-1830, approximativement, car avant 1630, pratiquement rien n’a été conservé, et les premières pièces identifiées et intéressantes datent plutôt de 1680. A l’autre extrémité, l’époque de Liszt a déjà été bien défrichée, même si l’on pourrait envisager l’interprétation d’œuvres plus tardives sur instruments d’époque.
Après, restait à définir un patrimoine « hongrois », dans un monde où les musiciens voyageaient énormément. Ont ainsi été retenus deux grands corpus. D’une part, les compositeurs jugés hongrois car nés en Hongrie ou ayant principalement été actifs en Hongries. Le plus grand est évidemment Joseph Haydn, qui a longtemps travaillé pour le prince Esterhazy, à Eisenstadt et à Esterháza : tout ce qu’il a composé pour son mécène a été créé en sol hongrois, le royaume de Hongrie ayant déjà alors une identité bien distincte de celle de l’Autriche. Son frère Michael Haydn est un autre grand, auquel s’adjoignent des figures moins célèbres, comme Hummel, Kalkbrenner ou Werner. D’autre part, on considère que les collections musicales conservées en Hongrie font partie du patrimoine hongrois, entre autres tous les fonds de la bibliothèque nationale Széchényi, y compris la musique italienne, a fortiori s’il s’agit de versions spécialement adaptées. Cela vaut aussi pour toutes les grandes villes que la Hongrie a perdu suite au traité de Trianon en 1919 : rappelons par exemple que Bratislava fut longtemps la capitale du pays, où était couronné le roi de Hongrie. Il existe aussi des fonds musicaux « hongrois » en Roumanie, en Slovaquie ou en Autriche.
 
Le chef et violoniste Julien Chauvin © Franck Juery
 
Quelles sont les activités à destination du public ?
 
La saison de l’Haydneum se subdivise en trois grands moments : le festival d’automne, qui propose de l’opéra, de la musique symphonique, sacrée et de chambre, dans différents lieux de Budapest, vient de se terminer ; en juin 2023 aura lieu la deuxième édition du festival de musique sacrée, qu’accueille principalement l’église « universitaire » de Budapest ; en août 2023 devrait avoir lieu pour la première fois le festival d’été au château d’Esterháza, mais les travaux risquent d’être retardés par le contexte économique, alors que l’on devrait y fêter les 250 ans de la visite de l’impératrice Marie-Thérèse en 1773. Des concerts sont également présentés le reste de l’année. Et comme la Hongrie est un pays très centralisé, l’idée serait de faire tourner les concerts hors de la capitale.
 
Pour son deuxième festival d’automne, une expérience a été tentée pour respecter les effectifs d’époque. On a tendance aujourd’hui à interpréter toutes les symphonies de Haydn avec un orchestre de trente musiciens, ce qui ne correspond à aucune réalité. Celles qu’il composa pour le prince Esterházy ont été créées par une quinzaine d’instrumentistes ; à Paris, il en avait soixante-dix à sa disposition, et à Londres, entre quatre-vingts et cent, et parfois jusqu’à trois cents ! Nous avons donc voulu donner deux symphonies londoniennes en réunissant une quarantaine de musiciens français du Concert de la Loge et une quarantaine de musiciens hongrois, afin d’avoir la masse d’un orchestre moderne, mais les couleurs d’un orchestre d’instruments anciens. Cela a aussi permis de rapprocher deux écoles d’interprétation bien différentes : Julien Chauvin fait passer dans sa direction l’énergie de la danse, tout un théâtre du corps, alors que les Hongrois sont davantage dans la musique pure. En tout cas, l’expérience a été très probante, et en sortant du concert, plus personne ne pouvait imaginer cette musique autrement.
 
Quelles perspectives pour les années à venir ?
 
Nous avons signé une convention avec la bibliothèque nationale hongroise, pour numériser et recataloguer l’intégralité de ses fonds musicaux. Le Haydneum rémunère quatre employés recrutés pour cette tâche, qui pourrait déboucher sur des redécouvertes intéressantes, puisqu’on y a même retrouvé il y a quelques années des pages autographes de Mozart… On  sait par ailleurs quelle était la programmation à Esterháza, et il s’agit maintenant de faire le tri dans la masse des titres. Par exemple, Zémire et Azor de Grétry y fut donné en italien : il pourrait être intéressant de donner à entendre cette version. Il y avait aussi un théâtre de marionnettes au château, et on pourrait ressusciter tout un répertoire dans ce cadre, comme bien sûr le Philemon und Baucis composé en 1773 par Haydn pour marionnettes. Ce ne sont pas les possibilités qui manquent, il s’agit plutôt à présent d’opérer des choix, en se laissant guider par la curiosité...
 
 Propos recueillis par Laurent Bury le 28 octobre 2022
 

(1) www.concertclassic.com/article/lisola-disabitata-de-haydn-lacademie-franz-liszt-de-budapest-pourvu-que-lon-sen-donne-les

Site de l'Haydneum : haydneum.com/en/

Photo © Pascal Le Mée

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