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Une interview de Chantal Santon-Jeffery, soprano – Curiosité et éclectisme

Actualité aussi riche que variée pour Chantal Santon-Jeffery. Tandis qu’un bel album Charpentier-Purcell vient de sortir chez agOgique(1), la soprano est très présente à la scène. Après avoir participé au Christophe Colomb de Félicien David à l’Opéra Royal de Versailles en décembre, elle tient le rôle-titre d’Armida à Reims (16 janvier) puis à Massy (23 janvier) dans la production de l’ouvrage de Haydn que Mariame Clément a signée pour l’Arcal, avant de retrouver Hervé Niquet, un complice de longue date, à Metz (18 et 20 janvier) puis à Versailles (6, 7 et 8 février) dans un décoiffant Don Quichotte chez la Duchesse mis en scène par Gilles et Corinne Benizio.
 
Pourquoi avoir choisi d’associer Purcell et Charpentier dans le premier CD que vous réalisez pour agOgique ?
 
Chantal SANTON-JEFFERY : Avec Violaine Cochard, il y a deux ou trois ans, nous avions déjà imaginé un programme intitulé « De France et d’Angleterre » où l’on trouvait du Purcell et du Charpentier mais aussi du Lambert et du Dowland ; des pièces de caractère intimiste qui se mariaient extrêmement bien. J’ai pas mal hésité sur le choix du répertoire pour ce premier CD chez agOgique. Finalement, je suis restée fidèle à ce rapprochement entre les cultures française et anglaise. Réunir Purcell et Charpentier ? Ces deux auteurs m’ont toujours frappée, au-delà des questions de forme, par l’aspect poétique, intime, expressif qui les caractérise l’un et l’autre ; c’est pour cela que j’ai mis en regard ces songs et ces airs de cour. Cela s’est fait de façon d’autant plus naturelle que, ayant beaucoup vécu en Angleterre et étant mariée à un Anglais, je vis dans un contexte familial où j’oscille entre les deux langues. C’est un programme qui me ressemble.
 
Christophe Colomb de Félicien David en concert il y a peu, Armida de Haydn et Don Quichotte et la Duchesse de Boismortier bientôt, sans parler de votre participation à un assez récent enregistrement des Bayadères de Catel (2)… Les répertoires rares vous occupent beaucoup : est-ce le hasard des propositions qui vous sont faites ou le résultat d’un choix délibéré ?
 
C. S.-J. : Un peu les deux. La rencontre avec les frères Dratwicki (Benoît est directeur artistique du Centre de Musique baroque de Versailles, Alexandre est directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, ndr) a été importante et, bien avant ça, celle avec Hervé Niquet. C’est quelqu’un de très important dans ma carrière et un ami de longue date. Je suis entrée par la petite porte au Concert Spirituel et j’ai suivi le chemin d’Hervé qui lui aussi se tourne depuis quelques années vers des musiques françaises plus tardives. J’ai commencé par la musique française baroque et je suis naturellement allée vers des répertoires postérieurs. Ce n’est pas si différent que ça dans la recherche d’élocution, de ligne, de phrasé ; un lien se fait entre les époques.
Dans le répertoire du XIXe siècle mon ambition est de proposer non pas une vocalité « baroque » mais, bien que ce soit beaucoup plus difficile je trouve, la même clarté d’élocution que celle que l’on peut avoir dans la musique du XVIIIe siècle. J’ai a cœur de faire découvrir des répertoires, mais aussi de proposer quelque chose de nouveau. Pendant très longtemps ces répertoires français ont été bien plus joués à l’étranger – prenez par exemple Pénélope de Fauré. Je ne dis pas que les étrangers ne savent pas chanter le français – j’ai fait un concert l’an dernier avec Felicty Lott, elle démontre que l’on peut être étranger et défendre merveilleusement la langue française -, mais toute une nouvelle génération de chanteurs français aborde aujourd’hui ce répertoire et lui apporte beaucoup de fraîcheur. Je pense à des collègues tels que Julien Behr, qui était à mes côtés dans Christophe Colomb à Versailles il y a peu, Frédéric Antoun, Sabine Devieilhe ou Julie Fuchs.
 
Vous allez bientôt retrouver le rôle-titre d’Armida ; parlez-nous de cette partition méconnue de Haydn et de votre personnage …
 
C. S.-J. : Armida c’est d’abord pour moi une rencontre choc avec une partition que je n’avais jamais entendue auparavant. J’ai l’ai ouverte et j’ai été intriguée par l’écriture, par une vocalité très difficile – c’est je pense l’un des rôles les plus difficiles que j’aie jamais chanté. La musique est absolument magnifique, la plus grande faiblesse de l’ouvrage, ça n’a rien d’un secret, tient à son livret. Heureusement nous avons avec nous une metteuse en scène de génie, Mariame Clément, qui a complètement transformé le propos et l’a par là même défendu. Je laisse la surprise à ceux qui découvriront le spectacle d’ici à la fin de la tournée au mois de mars… C’est un grand bonheur aussi que de travailler avec un chef tel que Julien Chauvin. Le rôle d’Armida est une vraie expérience ! La vocalité folle de l’écriture induit l’état sur scène ; on rentre dans le personnage immédiatement, même si là encore le traitement de Mariame est très particulier. C’est à mon sens une très belle production.
 
Parallèlement à Armida, vous abordez les rôles d’Altisidore et de la Japonaise dans Don Quichottte et la Duchesse de Boismortier sous la direction d’Hervé Niquet et dans une mise en scène de Gilles et Corinne Benizio, autant dire que vous changez complètement d’univers… 
 
C. S.-J. : On est en effet là vraiment aux antipodes d’Armida, dans ce que j’appellerais de « l’opérette baroque ». Il s’agit d’épisodes du Don Quichotte de Cervantes qui ont été compilés par Favart. Don Quichotte traverse la propriété d’un duc et d’une duchesse et sa tendance à transformer la réalité est prétexte à toute une série de farces. Des dialogues ont été rajoutés ; c’est vraiment un spectacle comique, dans la veine du Roi Arthur que Gilles et Corinne Benizio, alias Shirley et Dino, ont précédemment monté avec Hervé Niquet. On s’amuse énormément durant le travail de préparation de ce spectacle et Gilles et Corinne sont extrêmement professionnels ; tout est réglé au millimètre près.
 
Propos recueillis par Alain Cochard, le 24 décembre 2014
 
(1) « L’Art orphique de Charpentier et Purcell » / 1 CD agOgique - AGO019
 
(2) Charles-Simon Catel : Les Bayadères (Chantal Santon, Philippe Do, André Heyboer, Mathias Vidal, dir. Didier Talpain)/ 2 CD Palazzetto Bru Zane / Opéra Français
 
Haydn : Armida
16 janvier 2015 – 20h30
Reims – Grand Théâtre
www.operadereims.com
 
23 janvier 2015 – 20h
Massy – Opéra Paris Sud
www.opera-massy.com
 
Autres dates de la tournée Arcal : www.arcal-lyrique.fr/html/saisons_detail.php?prod=125
 
 
Boismortier : Don Quichotte chez la Duchesse
18 et 20 janvier 2015 (15h le 18, 20h le 20)
Metz – Opéra Théâtre
http://opera.metzmetropole.fr
 
6 et 7 février (20h), 8 février (16h) 2015
Versailles – Opéra Royal
http://www.concertclassic.com/concert/boismortier-don-quichotte-chez-la-duchesse
 
Site de Shirley et Dino : http://www.achilletonic.com
 
Site de Chantal Santon-Jeffery : http://www.chantalsanton.com
 
Photo Chantal Santon (dans le rôle d’Armida) / production de Mariame Clément créée à Saint-Quentin en Yvelines en octobre 2014 © E. Bertolucci

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