Journal
Une interview de Fanny Reyre-Ménard, luthière, vice-présidente de la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale et pilote du projet PIC-PIV – La pratique musicale face au Covid-19
Les instruments de musique face au coronavirus : un sujet totalement vierge
« Dès le début de la crise sanitaire, le monde des instruments de musique (la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale et son pôle d’innovation de l'ITEMM) a compris qu’il manquait totalement de réponses sur les liens entre le virus et la pratique instrumentale. Notre chemin a très rapidement croisé celui du Syndicat Les Forces Musicales, qui regroupe des orchestres et des institutions lyriques. Il s’est posé les mêmes questions, d’une manière aussi pratique que nous. De part et d’autre, le constat était le même : absence complète d’information dans la littérature scientifique. Le sujet était totalement vierge ! »
Quelle méthode de travail ?
« Du côté de la Chambre syndicale, nous avons mis en place des groupes de travail, instrument par instrument, pour voir quels étaient les enjeux, les désinfectants que l’on pouvait utiliser selon les cas ; des choses extrêmement pratiques. Les orchestres ont regardé, eux, comment ils pouvaient protéger leur musiciens et s’étaient lancés dans la fabrication de parois en plexiglass – ce qui s’est finalement avéré être une mauvaise idée – et se demandaient comme valider ces choix.
Nos pas se sont croisés à ce moment-là parce que le secteur instrumental possède un énorme atout : nous avons pas mal d’entreprises (telle que Buffet Crampon, célèbre fabricant de clarinettes) qui ont des ingénieurs en Recherche et Développement, spécialistes des matériaux. Ces personnes ont joué un rôle essentiel dans la mise en route de notre travail. Ce n’est pas si simple d’accéder à la recherche scientifique et à la science quand il faut la construire ! Disposer d’ingénieurs dont le métier est de traduire des besoins pratiques en solutions concrètes nous a été particulièrement précieux pour trouver les réponses dont nous avions besoin.
Notre démarche n’est pas restée isolée et nous nous sommes mis en relation avec les autres programmes de recherche qui se développaient dans le monde, autour de question identiques à celles que nous nous posions ou relativement similaires, avec des méthodes identiques aux nôtres ou comparables. Il y a grosso modo une vingtaine de projets dans le monde ; nous avons échangé de façon approfondie avec un certain nombre d’entre eux : en Europe les équipes de Lund (Suède), de Munich, de Berlin (Charité/Technische et Hermann Rieschel Institut), de Bristol, qui est en lien avec les autres études anglaises ; aux Etats Unis avec les équipes de Colorado Boulder, du Minnesota, de California Davis, du Maryland. Sans compter les échanges plus informels avec les autres équipes partout dans le monde.
Nous avons aussi discuté avec des médecins et des épidémiologistes ; nous avons ausculté leurs protocoles pour les confronter constamment à nos résultats. S’agissant des instruments nous n’avons jamais eu de signaux d’alarme par rapport à ce que nous avions pu émettre et dire au fur et à mesure de l’avancée de nos travaux. Pour ce qui concerne les orchestres, les protocoles mis en en place se sont révélés parfaitement solides. La pratique orchestrale n’a engendré aucun cluster. »
Le cas particulier des chœurs
« Pour les chœurs la question était différente. En début d’épidémie il y a un an, on a commencé à avoir des clusters dans les chorales amateurs, ce partout dans le monde et sous des formes parfois dramatiques. Les chœurs professionnels en revanche n’ont pas été à l’origine de clusters, ce qui démontrait que les problèmes rencontrés par les chorales tenaient aux lieux où elles se réunissent et à la vie sociale qui les entoure. Le monde des chorales a, pour un nombre important d’ensembles, arrêté sa pratique ou adopté le port du masque – le réseau « A Cœur Joie », grand réseau de chorales amateurs en France, a préconisé très tôt la pratique avec masque. Forts de l’absence de cluster, les chœurs professionnels ont continué à pratiquer sans masque, avec des protocoles bien définis (distanciation, etc.) jusqu’en octobre. C’est le moment où l’on y a vu apparaître des clusters. Nous avons discuté avec les responsables de ces formations pour comprendre ce qui s’était passé, où ça pêchait. On a épluché les cas, avec des réponses parfois claires, parfois beaucoup plus incertaines. Une chose était sûre : il fallait faire évoluer les protocoles et conjuguer distanciation et port du masque. Ce n’est pas simple à accepter pour des professionnels, mais ils l’ont fait d’autant plus radicalement que ça découlait d’un constat collectif. Nous en avons profité pour constater, pour mesurer scientifiquement l’efficacité – considérable – du masque. Nous sommes en ce moment en train de lister les avantages et inconvénients selon les types de masque et il n’y pas d’unanimité sur les retours. Certains préfèrent les masques chirurgicaux à des modèles spécifiques – et nous étudions tout cela de près. »
Instruments à vent : pas de danger particulier
« Certains résultats de nos travaux relèvent de la connaissance, il ne s’agit pas de préconisations, mais on peut toutefois affirmer certaines choses. Chacun se souvient du danger supposé des instruments à vent, dont on entendait souvent parler au début de la pandémie. Nous ne pouvions rien répondre à cela car nous ne savions pas. Notre travail de fourmi nous a permis d’acquérir une compréhension très fine de ce qui se passe quand le musicien souffle dans son instrument et ce qui en ressort à l’autre extrémité et, même si certains résultats demandent encore à être affinés, on peut déjà dire qu’il n’y a pas de danger particulier. Pas rapport à l’émission de la voix, le volume global d’aérosol est moins important et la sortie de l’instrument se fait de manière très ralentie. Ce volume réduit conjugué au manque d’énergie de l’aérosol fait qu’il se résorbe très vite dans le flux d’air ambiant. Etant donné que les instrumentistes à vent ne portent pas de masque, il importe toutefois qu’ils respectent les règles de distanciation, qui étaient au départ de 1 mètre et qui ont été portées à 2 mètres. Toujours dans le domaine des vents, les musiciens doivent être précautionneux vis à vis des dépôts fluides qui se produisent dans les instruments. »
Actualisation des connaissances et des recommandations
« Nos travaux, extrêmement pointus, ont permis de déterminer comment désinfecter chaque type d’instrument, selon une méthode que tout un chacun peut mettre en œuvre. Nous avons actualisé nos guides au fur et à mesure que nos connaissances devenaient plus pointues, nous avons appris comment désinfecter des choses que nous ne savions pas désinfecter. Par exemple, les anches des instruments à vent, que les professeurs testent parfois pour les élèves. Nous savons désormais avec quel produit désinfecter une anche en trois minutes, sans danger pour l’anche ou pour le musicien. Toutes ces découvertes sont de petites choses qui, rassemblées, constituent un ensemble très important. On nous oppose des manques de connaissances scientifiques pour ne pas redémarrer complètement la vie musicale. Elle continue d’exister, partiellement, qu'elle soit professionnelle ou dans les conservatoires. La pratique amateur est arrêtée et il est important qu’elle puisse, elle aussi, redémarrer. »
Accompagner la sortie de crise
« La partie actuelle de nos travaux se situe plutôt du côté de la PIV (pratique instrumentale et vocale), pour accompagner la sortie de crise. Nous nous penchons sur ce qui se passe dans la salle, avec le public. Après avoir étudié et bien compris les flux d’aérosols sur le plateau, la suite logique est de se préoccuper de la salle complète. Nous sommes aussi en train de réaliser un travail sur les salles de cours des conservatoires.
La connaissance acquise n’est pas exhaustive et elle va continuer à se construire mais nous avons d’ores et déjà en main un nombre certain d’éléments qui nous permettent de dire que la reprise des pratiques tout comme l’accueil du public au spectacle est possible si on respecte un certain nombre de garde-fous. La crise sanitaire ne va pas s’arrêter d’un seul coup.
Le défi est maintenant de réunir les éléments nécessaires pour bâtir des protocoles adaptés aux évolutions de la situation sanitaire : il s’agit de permettre la reprise alors que nous voyons que le risque épidémique va rester présent, qu’un certain nombre de personnes auront été vaccinés d’autres non, que l’acceptabilité des mesures par le public sera aussi un enjeu.
Mais il est bien évident que les décisions qui vont permettre la reprise de l’activité sont dans les mains des pouvoirs publics ; elles sont d’ordre politique. La France n’a pas fait le choix, comme l’Espagne, de laisser les lieux culturels ouverts avec toute la vigilance requise, on peut le déplorer mais c’est un état de fait et nous devons composer avec. Alors même que nous arrivons dans une phase d’achèvement de nos travaux, nous restons pleinement mobilisés pour accompagner la reprise de la vie musicale sous toutes ses formes en France, qui doit se faire le plus vite possible. »
Propos recueillis par Alain Cochard le 19 avril 2021
Plus d’infos
Webinaire consacré aux instruments à vent : www.csfi-musique.fr/webinaire
Guides des bonnes pratiques – Covid-19
www.csfi-musique.fr/covid-19/les-guides
itemm.fr/itemm/pole-dinnovation/transfert/recommandations-pour-la-desinfection-des-instruments-de-musique/
Présentation du Projet PIC - PIV sur le site des Forces Musicales : www.lesforcesmusicales.org/etudes-pic-piv/
Un webinaire sur la pratique vocale se déroulera le 27 avril 2021
Photo © DR
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