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Une interview de Julien Beaudiment, flûtiste – « J’ai toujours eu le désir de ne pas faire comme les autres. »
Flûtiste supersoliste de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Julien Beaudiment vient de faire paraître deux enregistrements consacrés à des répertoires très différents (chez Orchid Classics). Dans le premier, il interprète le Concerto pour flûte et harpe KV 299 de Mozart (avec des cadences signées Heinz Holliger), aux côtés d’Anaïs Gaudemard et de la phalange lyonnaise, placée sous la direction de Philippe Bernold. Julien Beaudiment a choisi d’entourer ce fameux ouvrage de transcriptions d’airs de concert et d’un arrangement des Variations pour piano et violon sur « Hélas j’ai perdu mon amant » KV 340.
Dans le même temps, paraît « Badinerie » où, avec une autre harpiste de marque, Marie-Pierre Langlamet, Julien Beaudiment explore un répertoire très éclectique, de Poulenc à Bartók, en passant par Piazzolla, Bach ou Debussy.
On retrouvera Julien Beaudiment en concert, en compagnie de Célia Oneto Bensaid, le 31 janvier (16h30) à la Folle Journée de Nantes, dans un programme « Un Français à New York » réunissant des pages de Copland, Barber, Glass, Cage et Gershwin. Une pianiste avec laquelle il enregistrera un programme Ravel en avril prochain
Cela met une pression supplémentaire. Philippe Bernold est un immense flûtiste, qui m’a beaucoup inspiré et continue de m’inspirer. Et c’est un excellent chef d’orchestre. Il m’a précédé comme professeur au CNSMD de Lyon et à l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, où il a eu la chance de travailler sous la direction de John Eliot Gardiner. Il fait sonner l’orchestre de manière presque baroque, comme John Eliot l’aurait fait. Au début, jouer sous sa direction était impressionnant, mais au fil des prises, je suis me suis senti à l’aise. De plus, je connais bien Philippe, dont j’ai été l’assistant au CNSMD de Lyon, avant de partir pour Los Angeles.
« Dans la fosse, les chefs ont toujours l’impression que la flûte joue trop fort, ce qui n’est pas le cas dans le symphonique. »
Justement, vous avez été flûtiste solo de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles durant deux années, orchestre qui se consacre principalement au genre symphonique, et êtes dorénavant à l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon. En quoi le travail au sein de ces deux phalanges est-il différent ?
À l’époque où j’étais au Philharmonique de Los Angeles, on faisait tout de même un peu d’opéra. Nous avons donné l’intégrale de la trilogie Mozart-Da Ponte. Je précise aussi que j’avais déjà travaillé à l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avant de rejoindre l’Orchestre de Los Angeles. Donc, je connaissais le travail dans la fosse. C’est un grand choc, de passer de l’étroitesse de celle-ci à des lieux qui peuvent être gigantesques, tel le Walt Disney Hall, à Los Angeles. De plus, dans l’opéra, on répète pendant plusieurs jours, parfois une dizaine de jours, tandis qu’au sein d’un orchestre symphonique il y a beaucoup moins de répétitions. Deux jours en général. Le rythme est très différent. Et puis il faut s’habituer à l’acoustique. Dans la fosse, les chefs ont toujours l’impression que la flûte joue trop fort, ce qui n’est pas le cas dans le symphonique. La fosse est beaucoup plus intime, et puis il y a le plaisir d’entendre les chanteurs au-dessus de vous.
Philippe Bernold © Jean-Baptiste Millot
Durant vos années de formation, vous êtes passé par l’Angleterre ...
À l’époque – mes 18 ans – j’étais étudiant au CRR de Paris, conservatoire de région. J’ai toujours eu le désir de ne pas faire comme les autres. Or, à l’époque, tout le monde voulait rentrer au CNSMD de Paris. J’avais fait le concours d’entrée. J’étais quatrième, et sur une liste d’attente. Les trois premiers seulement sont rentrés. J’étais très déçu. Au même moment, je suis allé écouter une masterclass d’une flûtiste anglaise, qui jouait magnifiquement. Et dans le même temps, j’ai acheté un disque, une version de Lucia de Lamermoor avec le London Symphony orchestra. Dans cet opéra, il y a un célèbre solo de flûte, qui était interprété par un certain Paul Edmund-Davies. J’ai demandé à la flûtiste anglaise que je venais d’écouter, avec qui elle avait étudié. À la la Guildhall School of music and drama de Londres, avec Paul Edmund-Davies, m’a-t-elle répondu. Je lui ai confié que j’adorais la manière dont ils jouaient l’un comme l’autre. J’ai donc passé le concours pour entrer à la Guildhall School. Je l’ai réussi, y suis resté deux ans, puis ai intégré le CNSMD de Paris, dans la classe de Sophie Cherrier, qui venait de succéder à Alain Marion.
« Mozart a compris très vite que la flûte se mariait magnifiquement avec la harpe, qu’elle était sa meilleure amie. »
Tout vous ramène à la vocalité, puisque vous ouvrez votre programme mozartien avec une transcription par Jean-Christophe Maltot et Sergio Menozzi de l’Air de concert « Vorrei spiegarvi, oh Dio ! KV 418 …
Je me suis demandé ce que j’avais envie de jouer, d’enregistrer, comment je pouvais trouver ma place dans l’univers de la flûte mozartienne. Or, j’ai toujours adoré cet air de concert, composé à Manheim, à une periode où Mozart était particulièrement créatif. Et cet air a été écrit par amour pour Aloysia Weber, la sœur de Constance, que le compositeur épousera finalement. Jean-Christophe Maltot, lui-même flûtiste, a su « flûtiser » cette pièce.
Le Concerto pour flûte et harpe de Mozart fait partie de ces tubes dont on ne se lasse jamais. A quoi est-ce dû selon vous ?
Déjà, Mozart a compris très vite que la flûte se mariait magnifiquement avec la harpe, qu’elle était sa meilleure amie. De plus, il y a un côté très maternel dans cette musique. Ce concerto est lié à un drame : Mozart arrive à Paris après Manheim, sa mère est tombée malade à Paris, avant d'y mourir. On pense que le compositeur a écrit le mouvement lent juste après ce décès.
Anaïs Gaudemard © Jean-Baptiste Millot
« Notre instrument est fragile… mais Mozart fait de cette fragilité une puissance. »
Vous êtes aux côtés d’Anaïs Gaudemard pour ce concerto ...
Oui, nous avons beaucoup joué ensemble… Elle a de surcroît étudié à Lyon, ce qui correspond à la tonalité du disque. Et c’est une magnifique artiste, et une grande amie.
Comment Mozart écrit il pour la flûte ?
Philippe Bernold dit – et je suis pleinement d’accord – que Mozart arrive à faire affleurer des choses très profondes avec le son de la flûte, et en même temps très transparentes. Notre instrument est fragile… mais Mozart fait de cette fragilité une puissance.
Il y a une légende selon laquelle il n’aimait pas la flûte, je pense que c’est un mythe. Dans une lettre il écrivait qu’il n’aimait pas « cette flûte », en évoquant un interprète particulier. Or, sans parler des concertos, il a écrit tellement de beaux traits de flûte que ce soit dans ses opéras ou ses concertos pour piano.
Comment se forme-t-on au travail de flûtiste solo d’un orchestre ?
Quand on est soliste, on est « chef de rayon », même auprès de collègues plus âgés. J’ai pu paraître prétentieux, en commençant à 22 ans, auprès de tels collègues. On se trompe parfois ; l’orchestre nous forme ... Avant d’intégrer l’orchestre, on travaille au départ des traits d’orchestre, tout seul, ce qui peut paraître stupide. On joue des traits d’orchestre sans orchestre …
© DR
« J’adore Rossini, ce qui est parfois mal vu ! »
Quel est le répertoire opératique que vous préférez interpréter ?
Je peux commencer en vous parlant du répertoire que je n’aime pas interpréter… à savoir Janáček. En revanche, après vingt-cinq années d’opéra, je reviens toujours aux mêmes auteurs. Je mets tout en haut Mozart, puis Tchaïkovski, Britten, le répertoire italien : Verdi, Puccini, Rossini ... J’adore Rossini, ce qui est parfois mal vu !
Marie-Pierre Langlamet © Stefan Höderath
Quand vous étiez à Los Angeles, vous avez connu des chefs exceptionnels ...
Oui. Esa-Pekka Salonen, par exemple. L’orchestre avait deux saisons, une saison d’hiver au Walt Disney Hall, et une d’été au Hollywood Bowl, qui peut accueillir 35000 spectateurs ! Quand on passait en saison d’été, on avait quatre ou cinq concerts par semaine, avec une répétition le matin, et un concert le soir. Je me souviens d’un concert dirigé par John Williams. Le public criait de joie à peine chaque morceau commencé. Chacun connaissait par cœur ses musiques de films. On avait eu une répétition le matin. Après trois heures de répétition, on avait travaillé très peu des morceaux prévus. John Williams nous a alors quittés en nous disant « à ce soir ! ». J’étais liquéfié parce que je n’avais jamais joué le reste du programme. Et à ce moment-là une collègue s’est tournée vers moi et m’a lancé : « Welcome ! ».
Parallèlement à votre enregistrement mozartien, paraît un programme intitulé « Badinerie » que vous interprétez avec Marie-Pierre Langlamet, harpiste solo de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Quelques mots sur votre duo ...
Nous jouons ensemble depuis très longtemps, et voulions enregistrer un disque qui sorte du répertoire habituel pour flûte et harpe. De plus, Marie-Pierre voulait absolument jouer une transcription de la Sonate pour flûte et piano de Francis Poulenc. C’est très difficile à jouer à la harpe. Et le premier mouvement va particulièrement bien à cet instrument. Ce disque est un voyage avec des étapes multiples allant de Bach à Rimski-Korsakov.
Propos recueillis par Frédéric Hutman, le 16 décembre 2025
Julien Beaudiment et Célia Oneto Bensaid
31 janvier 2025 – 16h30
Nantes – Espace CIC Ouest
www.follejournee.fr/fr/page/tous-les-concerts?date=2025-01-31&event=6749f4e399a8cb421f6e4a46
Photo © DR
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