Journal
Une interview de Julien Chauvin, directeur musical du Concert de la Loge – Haydn, passionnément !
Le Concert de la Loge vient de sortir le quatrième volume des Symphonies parisiennes de Haydn, une galette occupée par une magnifique et électrisante Symphonie n°87 « L’Impatiente », par la rare Symphonie en ré mineur de Louis-Charles Ragué et des pages vocales de Sacchini, Gluck, Lemoyne, Vogel ou Grétry confiées à Sophie Karthaüser (1).
Après deux remarquables concerts à l’Auditorium du Louvre (2), bâtis autour de la Symphonie n° 84 en mi bémol majeur (3), dont l’un donnait à découvrir en première mondiale la Grande Symphonie de salon n°1 d’Anton Reicha (né comme Beethoven en 1770), le Concert de la Loge enchaîne avec ferveur et enthousiasme les projets les plus audacieux.
Sa musicalité évidente vient donc de s’illustrer au Louvre : l’esprit d’équipe, l’absence de chef, au sens traditionnel, mais aussi le charisme simple et spontané de son directeur musical et premier violon Julien Chauvin (photo) y sont pour beaucoup.
Outre une résidence à Metz, la 2ème édition du Festival « Osez Haydn » (Metz du 6 au 9 nov), un nouveau disque Beethoven-Reicha (sortie le 8 nov) et une tournée consacrée à ces deux musiciens début 2020, Le Concert de la Loge fait renaître, grâce à la précieuse collaboration du Palazzetto Bru Zane, l’opéra-féerie Cendrillon (1810) de Nicolas Isouard. (4)
Au commencement d’une saison pour le moins riche et dense, nous avons rencontré Julien Chauvin. Entretien avec un musicien amoureux d’Histoire et d’histoires : pour lui la musicologie et le vote du public ne sont incompatibles ; il transmet avec élégance et spontanéité sa passion, sans omettre l’indispensable plaisir et le partage.
Haydn : Symphonie n° 87 "L'Impatiente" -Vivace (ext.)
On trépignait d’impatience. L’Impatiente de Haydn est arrivée … D’où vient ce titre ?
Julien CHAUVIN : Trois des Symphonies parisiennes de Haydn (les nos 84, 86 et 87, ndlr) n’ont pas de titre. Un numéro à côté du terme « symphonie », avouez que ça ne fait pas rêver ! Or toute œuvre doit faire rêver. Quand on dit « la Poule », « L’Ours » ou « Les Adieux », ça évoque immédiatement quelque chose, même si ensuite chacun raconte sa propre histoire. Si je dis la majeur en plus, cela devient d’un ennui total et franchement périlleux pour la bonne réception de la musique.
Au XIXe siècle, c’était une pratique extrêmement courante ; les éditeurs, les musiciens donnaient des titres aux œuvres, ne serait-ce que pour pouvoir les promouvoir, les diffuser. Un titre est un véritable argument commercial à l’époque. Pourquoi ne pas le faire aujourd’hui ? On a joué cinq fois cette symphonie parisienne en concert. Cinq fois, nous avons sollicité le public, qui a joué le jeu. Après plus de deux cent cinquante propositions plus tard, nous avons discuté et tranché pour que la Symphonie n°87 de Haydn devienne « L’Impatiente ». C’est une œuvre qui ne touche pas terre. Ce titre s’impose comme une évidence tant la musique est survoltée.
Le Concert de la Loge © Franck Juery
L’actualité Haydn du Concert de la Loge ne s’arrête pas là. Le 8 novembre, en plein milieu du Festival « Osez Haydn », vous dirigez un concert « Deux Haydn sinon rien » à la Cité musicale-Metz, où votre ensemble entame sa deuxième année de résidence. « Osez Haydn » ? ...
J.C. : Tout génial qu’il est, Haydn n’a pas une image séduisante. Donc, on ne lâche rien (rires !). Notre résidence à Metz permet vraiment de réaliser un temps fort autour de Haydn tout en renforçant des liens avec les différents publics, le conservatoire, la vie locale. Nous organisons dans le cadre du Festival « Osez Haydn » deux expositions, l'une sur l'évolution des instruments au cours des siècles, l'autre constituée de trois modules itinérants. On y trouvera aussi une conférence d’Alexandre Dratwicki (directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane ndlr) qui fait partie de notre comité scientifique, notamment sur la réception à Paris des symphonies de Haydn. Nous osons par ailleurs un débat sous forme de battle Mozart / Haydn, peut-être même sur un ring... (rires !)
Et bien sûr des concerts : récital d’Alain Planès, concert symphonique et Stabat Mater avec une belle distribution (Florie Valiquette, Adèle Charvet, Reinoud Van Mechelen, Andreas Wolf) et le concours de l’ensemble Aedes.
L’idée de « Deux Haydn sinon rien » est née à Limoges l’an dernier. L’important pour moi est de faire jouer deux symphonies de Haydn dans deux esthétiques très différentes, d’une part l’orchestre permanent sur instruments modernes, de l'autre l’ensemble indépendant sur instruments d’époque.
Et ça marche ?
J.C. : Mais oui ! Surtout dans ces structures qui deviennent de plus en plus perméables. Encore une fois, l’intérêt de l’entreprise est de mettre en valeur tout le monde. Il faut le faire dans une optique claire de pédagogie pour les musiciens et le public : on montre de manière vivante l’évolution des factures instrumentales, les nouvelles habitudes d’écoute, l’histoire des effectifs de plus en plus larges. Quelle différence de son, de couleurs, de possibilités entre un hautbois à deux clés et un hautbois moderne ?
La condition pour que cela fonctionne bien et que tous y trouvent leur compte, c’est de ne pas céder sur l’exigence artistique, d’un côté comme de l’autre. Mais vous savez, quand on prend le risque d’un tempo plus sportif, que l’on donne quelques pistes d’allègement, que l’on raffine un peu le discours, cette musique trop vite jugée « facile » techniquement devient un extraordinaire laboratoire de recherche.
Julien Chauvin et les musiciens interprètes de la Grande Symphonie de salon n° 1 de Reicha © Franck Juery
2020, Année Beethoven. Le Concert de la Loge ose donc Reicha ! Pourquoi Reicha ?
J.C. : Pourquoi Beethoven (rires !). Anton Reicha est de la même année que Beethoven. Les deux compositeurs ont été très proches dans leur adolescence et pendant leurs études. Reicha est un grand compositeur, une grande figure à Paris au début du XIXe siècle (6), un pédagogue incroyable qui a fait beaucoup pour le Conservatoire (il y est devenu professeur de contrepoint et de fugue en 1818 ndlr).
Les années de célébration sont importantes si elles amènent quelque chose. Le Concert de la Loge a choisi le risque de la rareté plutôt que celui d’enfoncer des portes ouvertes. Beethoven a écrit un septuor méconnu et en tout cas absolument introuvable sur instruments anciens. Nous avons décidé de le graver et de le coupler avec une œuvre de Reicha retrouvée il y a très peu de temps à la BnF, cachée dans les cartons d’un vieux fonds d’éditeur.
En déchiffrant les manuscrits de trois Symphonies de salon de Reicha, notre choix s’est porté sur la Première Grande Symphonie de salon pour quintette à cordes, hautbois, clarinette, cor et basson. Une petite merveille inspirée de Beethoven, Haydn, Rossini, de l’opéra français… L’œuvre alterne certains moments dramatiques et d’autres complètement détonants comme le Final, très rossinien. Traits virtuoses au violon, bien exposés, couleurs cuivrées et boisées avec les vents… On est en ce début du XIXe siècle, en pleine période charnière dans l’évolution de la facture instrumentale. C’est une œuvre qui met admirablement en lumière tout cela.
J’ai plaisir à imaginer que le Septuor de Beethoven et la Grande Symphonie de Reicha que nous avons gravés ensemble, ont peut-être été mêlés dans une vie antérieure. Et pourquoi pas au Théâtre Olympique ...
Le Quatuor Cambini-Paris (de g. à dr. : Pierre-Eric Nimylowycz, Atsushi Sakaï, Karine Crocquenoy et Julien Chauvin) © Franck Juery
La musique est une affaire de goût mais aussi de plaisir. Faites-nous goûter votre chocolat Cambini.
J.C. : Philippe Maas, chocolatier messin – et violoncelliste amateur – issu d’une grande famille de chocolatiers a créé pour nous un chocolat. L’idée était de traduire avec des textures, des saveurs les quatre personnalités d’un quatuor, le Quatuor Cambini-Paris en l’occurrence. Le public a été invité lors de cette soirée à goûter le chocolat et à faire, en direct, une analogie avec la musique : est-ce craquant, mou ? Plutôt amer ? Equilibre ? Rondeur ? Goûts mêlés ? Le violoncelle a été représenté par une ganache de chocolat noir à l’huile de sésame japonais, pour l’alto, ce fut un praliné croquant, pour les violons une ganache au chocolat au lait avec zestes de citrons vert et jaune, enfin pour l’équilibre des quatre, un léger praliné croustillant. Au-delà de ce qui peut paraître anecdotique ou fantaisiste, quelque chose de nouveau se passe quand on amène en musique une personnalité, un artisan « hors cadre ». Il y a un regard nouveau, une écoute nouvelle – une dégustation inédite et vécue collectivement.
Propos recueillis par Gaëlle Le Dantec, le vendredi 4 octobre 2019
(1) Aparté AP210, dist.PIAS
(2) Les 9 et 10 octobre 2019 (celui du 9 avec la participation de Sophie Karthaüser)
(3) Ouvrage qui figurera sur le prochain volume des Parisiennes du Concert de la Loge
(4) Un ouvrage que Julien Chauvin dirigeait déjà, à la tête d’une autre formation, à l’Opéra de Saint-Etienne en mai dernier : www.concertclassic.com/article/cendrillon-de-nicolas-isouard-lopera-de-saint-etienne-charmeuse-resurrection-compte-rendu. Avec le Concert de la Loge, il le reprend à Caen (31 janvier 2020), Massy (25 & 26 avril 2020) et à Paris (Athénée, les 2, 3, 5, 6 & 7 juin 2020).
(5)www.citemusicale-metz.fr/agenda/temps-forts/osez-haydn
Site du Concert de la Loge : www.concertdelaloge.com
Photo © Franck Juery
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