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Une interview de Maria Marica, violoniste, 1er Prix du Concours Georges Enesco 2022 - « Je vise à un son libre »
Tout à fait. Non seulement la Roumanie a d'étroits liens avec la France, mais j'ai été l'élève de David Grimal, et je fais partie de l'orchestre Les Dissonances.
Vous êtes née à Cluj, ville d'où sont issus bien des musiciens. Comme êtes-vous venue à la musique ?
J'ai commencé le violon à l'âge de 7 ans. Ce qui peut paraître un peu tardif pour cet instrument. Mais je suis contente de ne pas avoir commencé plus tôt, car les débuts furent particulièrement difficiles. Mon père, violoncelliste, m'a poussée, et dit que je devais travailler chaque jour. Il était convenu que j'étudierais durant huit ans, et que je me donnerais à fond. Si au terme de ces huit années, cela ne fonctionnait pas, je pouvais renoncer. Dès lors, je ne me souviens plus de ce qui s'est exactement passé au bout de ces huit années ... mais j'ai continué ! Et j'ai grandi en écoutant les enregistrements des maîtres, tels Heifetz ou Milstein.
"Sa façon d'écrire pour le violon reflétait exactement sa façon de jouer"
C’est un grand compositeur, et une grande figure du violon dont les enregistrements permettent de découvrir une sonorité très particulière. Sa musique pour violon, confère à l'instrument un son particulier ; sa façon d'écrire pour le violon reflétait exactement sa façon de jouer : c'est fascinant ... Quelle chance de disposer de l’enregistrement de la 3e Sonate par Enesco et Dinu Lipatti !
© Coll. part.
Vous évoquez Dinu Lipatti. Au rang des grands musiciens roumains - et Dieu sait s'ils sont nombreux ! -, on pourrait, également citer Clara Haskil ou Radu Lupu, qui remporta le Premier Prix du Concours Georges Enesco en 1970 ...
On pourrait également évoquer Sylvia Marcovici, qui, la même année, remporta ce prix au violon. Je ne sais pas exactement où situer les racines musicales roumaines, et expliquer la force de l'éducation musicale. Cela étant, nous avons encore des "restes" de l'éducation musicale à la soviétique. La mentalité nous poussait à faire les choses au maximum. Ma génération, et la précédente, encore plus, étions soumis à une pression certaine. Cluj, où j'ai grandi, possède d'excellents orchestres, et de formidables traditions musicales.
Dans le cadre du festival Enesco, vous avez interprété une œuvre de jeunesse enthousiasmante de Felix Mendelssohn, son Concerto pour violon, piano et cordes. Nous avons eu l’impression en vous écoutant que vous aviez déjà joué souvent avec votre partenaire, la pianiste Alexandra Segal.
Je suis heureuse que vous ayez eu cette impression car ... c'était la première fois que nous donnions un concert ensemble ! Nous nous étions rencontrées au Concours Enesco (A. Segal a remporté le Premier Prix en piano en 2022 ndlr), mais n’avions pas encore eu l’occasion de nous côtoyer sur scène. Ce double concerto est un bijou ; une œuvre si enthousiasmante, si rafraichissante, d'un Felix Mendelssohn de quatorze ans seulement. Une partition destinée à être créée par le compositeur au piano, et son professeur de violon à l'archet. Le second mouvement, en particulier, est un rêve. Jouer cette oeuvre avec Alexandra était une grande joie... nous nous sommes immédiatement trouvées musicalement. Tout devient facile avec une telle interprète.
En 2022, pour la finale du Concours Enesco, vous aviez choisi le Concerto pour violon de Brahms ...
J'éprouve une véritable passion pour ce concerto, qui est une de mes deux oeuvres préférées, avec celui de Beethoven. C'était la première fois que je le jouais avec un orchestre – quel bonheur. Si on songe, ne serait ce qu'au début du deuxième mouvement, où le hautbois joue en solo, rejoint bientôt par le violon, tout est sublime. Je me souviens encore du jour où j'ai commencé à déchiffrer la partition. C'est une oeuvre que j'ai l'impression d'avoir étudiée depuis toujours. Je l'avais travaillé beaucoup avec des pianistes, et j'ai beaucoup lu la partition d'orchestre.
C'est bien sûr un chef-d'oeuvre de bout en bout, mais il est un moment sublime, perle de la couronne, la fin de la coda du premier mouvement... au retour de l'orchestre.
Oui, c'est une des plus belles créations musicales. A ranger au même rang que la coda du premier mouvement du Concerto de Beethoven. Brahms savait, comme peu d'autres, écrire une coda pour ses concertos. J'adore également jouer le Double Concerto pour violon et violoncelle, que j'ai interprété récemment au côté de mon frère Mihai (1) – une expérience émouvante. Ce concerto parle d'amitié. C'est un autre rêve.
J'ai été frappé par le son de votre violon, d'une grande pureté, jamais joué en force, et d'une constante chaleur. Quel son idéal visez vous lorsque vous jouez ?
Je pense à certains grands violonistes du passé, une sorte d'âge d'or, illustré par des violonistes comme Jasha Heifetz ou David Oistrakh. Ils étaient d'une grande humilité. Et je vise, plutôt qu'à un son fort, à un son libre. Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui n'apprécient pas le violon, et qui ne supportent pas d'avoir pour voisin un violoniste. Donc, j'essaie de les détromper !
Parlons répertoire : quel est celui dans lequel vous vous sentez chez vous ?
Encore et toujours Brahms. Ses sonates pour violon et piano. Il y a dans la musique de Brahms un équilibre parfait entre l'architecture et le sentiment. J'adore également Enesco, la 3e Sonate, en particulier, que j'ai interprétée au Concours Enesco. C’est un musique très complexe, et il faut la jouer beaucoup et l'écouter énormément avant de la posséder. Fauré fait aussi partie de mes auteurs favoris. Ses dernières œuvres, peuvent parfois sembler étranges, mais je les aime passionnément. Et je suis toujours heureuse de découvrir le répertoire français, même s'il est parfois éloigné de mon ADN musical. J'aime également interpréter le 1er Concerto de Chostakovitch, qui pour moi est plus terrifiant à interpréter au concert que le Concerto de Brahms, en particulier la gigantesque et tragique cadence du troisième mouvement. C'est une musique d'une très grande force.
Site officiel de Marina Marica : www.mariamarica.com/
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