Journal
Une interview de Mathilde Calderini – Compositrices et inspiratrices
Beau parcours que celui auquel nous convie la flûtiste Mathilde Calderini, en compagnie du pianiste Aurèle Marthan, avec le CD intitulé "Avec Elles" (Alpha Classics) (1). De Cécile Chaminade à Mel Bonis, en passant par Claude Debussy, Francis Poulenc, ou Claude Arrieu, la supersoliste de l'Orchestre philharmonique de Radio France interprète des partitions écrites ou inspirées par des femmes – dont une très belle création de la compositrice Lise Borel. Entre pages rares et célèbres (Syrinx de Debussy, la Sonate de Poulenc), entre compositions originales et transcriptions, Mathilde Calderini nous fait voyager à l'aube du XXème siècle français.
Quant aux concerts de l’été, notez que la flûtiste se produira au Festival des Pierres Lyriques (30 juillet), au Festival du Monastier (6 août), aux Nuits du Château de la Moutte (9 août), pour l'inoxydable Carnaval des animaux partagé avec Renaud Capuçon et Guillaume Bellom entre autres. Quant aux compositrices, elle les retrouvera au Festival Classic à Guéthary, pour le magnifique Quintette d’Amy Beach avec le Quatuor Hanson (12 août), peu avant le concert de sortie du disque « Avec Elles » (14 août) au côté d’Aurèle Marthan, directeur artistique de Classic à Guéthary.
Que souhaitiez vous réaliser avec ce projet, votre premier disque de récital ?
J’ai voulu mettre en valeur des femmes qui ont contribué à l’histoire de la musique. Avec des coups de cœur qui m’ont accompagnée durant mes études, ou au long de ma « carrière ». Le fil rouge, c’était des œuvres de compositrices, ou des œuvres inspirées par des femmes, telle la Sonate de Poulenc. Je voulais absolument l’enregistrer. Elle avait été commandée par Elizabeth Sprague Coolidge, une importante mécène également pianiste, disparue en 1953. Une mécène qui avait aidé de nombreux compositeurs, au premier rang desquels Stravinsky ou Ravel. J’ai choisi le titre du disque, « Avec Elles », car il me semblait bien refléter l’esprit du projet.
Aurèle Marthan © Kevin Sauzeat
Vous êtes au côté du pianiste Aurèle Marthan ; un complice de longue date ...
Nous jouons depuis une dizaine d’années ensemble ; notre rencontre s’est produite au CRR de Paris. Nous avons fait beaucoup de musique de chambre ; la Sonate de Poulenc nous accompagne depuis longtemps. C’est l’un des tubes du répertoire pour flûte et piano ; adoré du public – et des programmateurs !
Je change souvent ma manière de l’interpréter ; je change souvent d’humeur ! Pour cet enregistrement, j’ai choisi un tempo assez lent pour le premier mouvement, à la mélodie si nostalgique. Je voulais qu’on entende bien les changements de ton du mouvement, si riche, la beauté des intervalles. C’est une sonate difficile techniquement – le final en particulier – très exigeante, mais extrêmement bien écrite pour la flûte.
Vous souvenez-vous de la première fois où vous l’avez interprétée en public ?
C’était, il me semble, pour mon récital de perfectionnement, au conservatoire de Chambéry, juste avant d’aller étudier au CNSMDP.
Y a-t-il des œuvres que vous considérez, avec le recul, avoir abordées trop tôt ? Des œuvres que vous aviez tellement envie de jouer, que vous les avez abordées prématurément ?
Oui. Je pense à Syrinx. J’adorais l’écouter, mais quand je l’ai abordée, je ne saisissait pas sa structure. Aujourd’hui, je pense mieux la comprendre. Du reste, je viens de l’enregistrer sur ce disque. Je pourrais également parler de la Sonate pour flûte, alto et harpe du même Debussy. Elle se laisse très difficilement apprivoiser.
Pendant l'enregistrement, avec David Chalmin (direction artistique, montage et mastering) © DR
Comment êtes vous venue à la flûte, enfant ? Par l’amour de la sonorité de l’instrument, ou par une passion pour son répertoire ?
D’abord en raison de la sonorité de l’instrument. J’ai toujours beaucoup chanté ; la flûte se rapproche tellement de la voix ... Et je suis sensible à la beauté de l’instrument. Pas seulement celle de la sonorité, mais aussi la beauté de l’instrument en tant qu’objet.
Et puis, j’avais entendu le Prélude à l’après-midi d’un faune, quand j’étais enfant ... Une œuvre que je vais interpréter à la rentrée, au sein de l’Orchestre philharmonique de Radio France. Tellement belle et délicate ... En tant que flûtiste d’orchestre, j’ai toujours une petite crainte avant de la jouer, mais on se laisse tellement emporter par le flot de musique, la sensualité de ce chef-d’œuvre. On peut dire que Debussy nous a bien gâtés. Les trois œuvres que je joue sur ce disque, sont là pour en témoigner. Je précise que je n’avais jamais joué en concert la transcription par Karl Lenski de Bilitis, Six épigraphes antiques, et je suis heureuse de l’avoir enregistrée. Mais pour revenir au répertoire qui m’a amenée à la flûte, je n’oublie pas les quatuors avec flûte de Mozart, ses concertos, ou encore le Concerto pour flûte et harpe.
Votre enregistrement s’ouvre par une très belle œuvre, au thème entêtant, le Concertino op. 107 de Cécile Chaminade ...
C’est une œuvre de 1902, composée pour le concours du Conservatoire. Une œuvre dédiée à Paul Taffanel, qui fait partie du répertoire des flûtistes. Paul Taffanel (1844-1908), grande figure de notre instrument, grand pédagogue, qui a écrit des méthodes que nous utilisons encore. A l’instar de Philippe Gaubert. Ils étaient tous deux compositeurs. Deux noms très importants dans l’histoire de la flûte. Quant au thème que vous évoquez, je suis d’accord pour dire qu’il est entêtant. C’est vraiment une mélodie que l’on peut facilement chanter.
Les compositrices réunies sur votre disque, en particulier Mel Bonis, Claude Arrieu et Cécile Chaminade, faisaient-elles partie du répertoire de vos années d’apprentissage ?
Mel Bonis, un peu. Elle a beaucoup écrit pour son ami, le flûtiste Louis Fleury. Mais pour ce qui est des autres compositrices, non. A l’exception du Concertino de Chaminade. Pour ce qui concerne Claude Arrieu (1903-1990), dont j’ai retenu la belle Sonatine (de 1943) sur ce disque, et alors même qu’elle a beaucoup composé dans le domaine chambriste, sa musique reste malheureusement peu jouée.
Lise Borel © liseborel.com
Vous créez dans ce disque une œuvre d’une autre compositrice, Lise Borel ...
J’ai très envie de contribuer à la création. Et j’avais écouté – et adoré ! – des mélodies de Lise Borel en concert. Je souhaitais qu’il y ait une création sur ce disque. Je lui ai donc commandé cette œuvre, qui succède très bien à Syrinx, puisqu’elle commence par la flûte seule.
Quelles œuvres suscitent chez vous une excitation particulière, quand vous les voyez annoncées dans la programmation du Philharmonique de Radio France ?
Elles sont nombreuses, du Prélude à l’après-midi d’un faune, que j’évoquais auparavant, à Daphnis et Chloé. Mais n’oublions pas des pages telles que le dernier mouvement de la Quatrième Symphonie de Brahms. Ou certaines symphonies de Mahler. Les exemples ne manquent pas. La flûte est gâtée par les compositeurs qui ont écrit pour l’orchestre.
Comment se passe l’apprentissage d’un(e) flûtiste qui joue au sein d’un orchestre ?
Quand on passe les concours pour intégrer des orchestres (après avoir été flûtiste solo de l’Orchestre national de Lille, Mathilde Calderini est devenue en 2020 flûtiste supersoliste du Philharmonique de Radio France ndr) on travaille seul(e) les traits d’orchestre, les solos. Et après on les travaille avec des musiciens d’orchestre. Mais c’est très particulier. On est à la fois dans l’orchestre, et dehors. Ce sont des choses qu’on apprend à doser au fur et à mesure.
Et au quotidien, que jouez vous pour vous-même ?
Je joue beaucoup de compositeurs. Mais le premier nom qui me vient est celui de Bach ; je reviens souvent à sa musique. Car cela permet de jouer tout en travaillant ! Se pose bien sûr le problème de l’instrument pour interpréter Bach. Je joue sa musique sur ma flûte en métal. J’essaie d’adapter mon instrument au répertoire. J’ai travaillé sur des flûtes en bois, pour m’en inspirer, mais je n’ai pas encore sauté le pas et osé le faire au concert. Nous avons la chance, cela étant, à l’Orchestre philharmonique de Radio France, de jouer sous la direction de chefs tels que Leonardo García Alarcón ; Philippe Herreweghe ou d’autres. Certains musiciens s’intéressent de plus en plus au jeu sur instruments d’époque. Pour en revenir à votre question, je joue peu d’études. Je fais des gammes, bien sûr, mais j’aime avant tout aborder des répertoires très divers.
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 26 juin 2024
Agenda des concerts de Mathilde Calderini : www.mathildecalderini.com/fr/concerts
Festival Classic à Ghéthary ; 10-14 août 2024 : my.weezevent.com/classicaguethary24
Photo © Jean-Baptiste Millot
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