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Une interview de Maxime Pascal, co-fondateur du Balcon – « Avec Le Balcon, soit c’est mystique, soit c’est la foire. Ce Festival à l’Athénée, ça va être un peu tout cela à la fois ! »
Cette audace, cette manière singulière de présenter la musique sont d’abord une preuve d’amour et de passion. Le Balcon offre une nouvelle dramaturgie du concert avec un mélange joyeux de sérieux et de turbulence ; du spectacle s’il vous plaît ! On en aura la preuve lors de la première édition de son Festival au Théâtre de l’Athénée, partenaire et soutien fidèle depuis les débuts : trois représentations de l’opéra de chambre Jakob Lenz de Wolfgang Rihm, des projections, une installation (à l’église Saint-Eustache), une « soirée mystique » et un gala d’anniversaire en guise de clôture sont au menu. Rencontre avec l’enthousiaste et infatigable Maxime Pascal (photo), chef d’orchestre, directeur musical et co-fondateur du Balcon, à quelques jours du coup d’envoi de la manifestation le 15 mars.
Pourquoi un Festival du Balcon à l’Athénée ?
MAXIME PASCAL : Après nos débuts à l’Athénée où l’on présentait un concert unique, très vite, on est venu pour plusieurs projets. Dès la saison 2014-15, deux opéras ont été présentés, Lohengrin de Sciarrino et Avenida de los incas 3518 (3), mais aussi un concert Grisey avec Julie Fuchs (4) et la reprise des Lundis musicaux sous la direction d’Alphonse Cemin (co-directeur et fondateur du Balcon ndlr) (5)… Bref, on était déjà à cette époque sur une forme festivalière qui s’est ensuite renouvelée chaque année. Cette saison, on s’est dit : « bon ben, amusons-nous, assumons, et faisons vraiment plusieurs choses ! ». Le Balcon et l’Athénée s’associent pour deux semaines entières de Festival. Ça va être bien ça ! Je suis très content.
Le Festival du Balcon a-t-il vocation à être reconduit ?
M.P. : Parfois on déclenche très vite un projet, parfois on vire complètement de bord. Nous ne sommes pas encore fixés pour la suite du Festival, mais ce qu’il y a de bien certain en revanche, c’est que le travail que l’on mène de concert avec l’Athénée va dans ce sens-là. Nos idées convergent pour proposer plein de choses très différentes à chaque fois. C’est ça l’idée ! C’est bien non ?! (rires)
En guise d’ouverture, vous proposez Jakob Lenz de Wolfgang Rihm, un opéra de chambre d’après la nouvelle de Büchner… pas très joyeuse il faut bien dire.
M.P. : L’opéra de Rihm est en réalité une reprise d’un spectacle conçu pour le Dialogues Festival de Salzbourg en décembre 2016. Expérience formidable d’un soir que nous avions tous très envie de reprendre. Patrice Martinet (directeur de l’Athénée ndlr) y a été sensible, d’autant plus que Büchner est un grand auteur de théâtre. A l’Athénée, ça fait sens et entre en résonance avec la saison théâtrale qui y est proposée. Nieto, autre pilier essentiel du Balcon, signe une mise en scène qui repose sur la vidéo. Le rôle-titre est confié à Vincent Vantyghem (qui avait participé à l’opéra Le Premier Meurtre d’Arthur Lavandier à l’Opéra de Lille l’an dernier). Vincent est certes chanteur lyrique, mais aussi psychiatre ! Malgré sa carrière musicale, il a encore quelques patients. Lenz est un cas d’école passionnant pour tout psychiatre. Il a existé, toute son histoire a été rapportée par un prêtre qui l’a bien connu... Travailler cet opéra avec Vincent est une chance incroyable ; en tant que psychiatre, son approche du rôle et de la folie de Lenz est passionnante parce que profonde et extrêmement forte. Quant à Nieto, notre vidéaste, autant dire que ça lui parle aussi, notamment ce rapport intense à la nature, aux montagnes…
Et la musique ?
M.P. : Wolfgang Rihm a beaucoup produit et navigué dans plusieurs esthétiques très différentes. Jakob Lenz est une œuvre de jeunesse (1977-1978). Rihm est né dans la tonalité, dans l’esthétique romantique et post romantique jusqu’à Schoenberg et Berg. Il est issu de cette densité, de ce langage-là. Cette sensibilité harmonique est rare pour un compositeur du XXe siècle. Alors que d’autres compositeurs contemporains ont choisi des chemins différents, certes très intéressants mais vraiment différents, je trouve très beau, très émouvant finalement de sentir cette manière un peu ancienne maintenant, de penser l’harmonie, de penser la musique, et de faire vivre cette musique aujourd’hui.
Nous avons fait le choix de sonoriser l’opéra de chambre, un des moyens peut-être de mettre en valeur cette densité harmonique et cet élan puissant.
La fête, ce sera pour le concert de clôture, le 30 mars donc ?
M.P. : Oui, un gala des 10 ans du Balcon avec plein d’amis et des enfants ! En vérité, nous avons eu 10 ans en novembre dernier alors que nous étions dans l’aventure, tellement prenante, du Donnerstag aus Licht de Stockhausen à l’Opéra-Comique ; il était trop compliqué d’organiser quelque chose à ce moment-là… Et puis on voulait symboliquement le faire à l’Athénée, lieu cher et historique de nos débuts. C’est alors que deux projets se sont rejoint : l’anniversaire et la soirée musicale avec des enfants, à laquelle je tenais depuis longtemps. On s’est dit : chiche, on fait tout ça ensemble !
Ainsi, tous les musiciens et amis qui ont joué avec le Balcon sont conviés pour participer à un grand bœuf amical, minimaliste et enfantin. J’ai déjà répété In C de Terry Riley avec les enfants, ils sont vraiment exceptionnels.
Plusieurs instrumentistes du Balcon enseignent en conservatoire - dont celui du 18e arrondissement, que nous connaissons bien. L’association Le Tréteau (issue de la même famille que Le Balcon) fait le lien entre musiciens professionnels, amis, professeurs, élèves, tous les nombreux acteurs impliqués dans le projet.
Autre signature du Balcon : LA « soirée mystique », en plein cœur du Festival ?
M.P. : Avec le Balcon, soit c’est mystique, soit c’est la foire. Ce Festival, ça va être un peu tout ça à la fois !
Dans cette soirée « mystique », on trouvera Siegfried Idyll de Wagner, puis L’Agneau mystique, création signée Marco Suárez (en résidence à la Fondation Singer-Polignac) / Nieto, dans sa version scénique - car on pourra la voir par ailleurs comme une installation déambulatoire à l’église Saint-Eustache durant le Festival.
Nous terminerons par Bahkti de Jonathan Harvey, pièce (de 1982) très importante pour moi, au carrefour de tout ce qui m’intéresse. Harvey a été élève de Stockhausen et inspiré par la musique d’église et les chorales d’enfants, si présentes en Angleterre. Il aimait les cloches aussi (rires !). Mais surtout, Harvey pense « synthèse instrumentale » – entre orchestre de chambre et bande quadriphonique ici – ce que l’on retrouve d’ailleurs chez Grisey ou Levinas : le « son-timbre », le son spectral. Jonathan Harvey découvre également l’Inde, ses philosophies, ses musiques et ses modes. « Bahkti » veut dire transcendance en sanskrit. La rencontre avec l’Orient donne lieu à cette œuvre déterminante, synthèse de l’histoire personnelle du compositeur et du rapport entre musique électronique et musique instrumentale. Son concept de « musique invisible » par exemple m’a frappé. La musique électronique est une musique invisible, on ne voit pas le geste instrumental ; en ce sens, il y a un côté mystique dans la musique électronique. On ne voit pas l’orgue au-dessus de nos têtes dans l’église, on ne voit pas les cloches sonner dans le beffroi. Le fait de ne pas voir rend la musique électronique et sa manière d’être diffusée, passionnante.
Par ailleurs, c’est drôle que Bahkti arrive au cœur de notre Festival, car le cœur précisément, le « milieu » est un principe harmonique fondamental dans cette œuvre… Bahkti fait vraiment partie de notre monde !
Nous n’avons pas encore parlé des projections ?
M.P. : L’Athénée devient un cinéma et nous, on projette des films ; ça va être bien ça aussi ! En fait, Dracula (Pierre Henry) et La Métamorphose (Michael Levinas) sont deux de nos spectacles qui ont été filmés à l’Athénée : Dracula par David Laurier pour la télévision, La Métamorphose par Nieto, notre vidéaste, qui signait aussi la mise en scène.
Un premier Festival avec autant d’événements … Ça va ?
M.P. Très bien ! (rires). Quand tu t’embarques dans le cycle Licht de Stockhausen, tu peux tout réaliser ! Si on est capable de produire Licht, alors on est capable de produire n’importe quoi. Pour nous, organiser un Festival comme cela, c’est très excitant mais aussi, d’une certaine manière, bien plus simple !
Propos recueillis par Gaëlle Le Dantec, le 5 mars 2019
(1) Pour en savoir plus sur Le Balcon :
www.concertclassic.com/article/ariane-naxos-par-lensemble-le-balcon-lathenee-quel-talent-compte-rendu
www.concertclassic.com/article/le-balcon-joue-grisey-et-garcia-velasquez-lathenee-une-energie-commune
www.concertclassic.com/article/la-symphonie-fantastique-de-berlioz-arthur-lavandier-par-le-balcon-dir-maxime-pascal-le
(2) A propos de Stockhausen : www.concertclassic.com/article/benjamin-lazar-met-en-scene-donnerstag-aus-licht-de-stockhausen-la-rencontre-de-la-forme-et
(3) Lire le CR: www.concertclassic.com/article/avenida-de-los-incas-3518-et-lohengrin-lathenee-le-balcon-entre-reve-et-folie-compte-rendu-0
(4) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/julie-fuchs-et-le-balcon-lathenee-lheure-spectrale-compte-rendu
(5) ITV d’Alphonse Cemin : www.concertclassic.com/article/une-interview-dalphonse-cemin-pianiste-et-directeur-artistique-des-lundis-musicaux-de
Festival Le Balcon
15 au 30 mars 2019
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
www.lebalcon.com
www.athenee-theatre.com
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