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Une interview de Michael Haefliger, directeur artistique du Festival de Lucerne – « Assurer la programmation artistique de ce lieu était un rêve. »

 
Directeur artistique du Festival de Lucerne depuis 1999, Michaël Haefliger approche de la fin de son mandat ; l’édition 2025 sera la dernière portant sa signature. Il jette un regard sur vingt-cinq années d’une programmation d’un niveau exceptionnel, entre programmes symphoniques par plus grands orchestres et chefs, concerts de musique de chambre et récitals avec les meilleurs ensembles et solistes et répertoire contemporain confié à la Lucerne Festival Academy et au Lucerne Festival Contemporary Orchestra. Car, avec Michaël Haefliger, la musique d’aujourd’hui est devenue un pilier essentiel d’une manifestation dont l’édition 2024 s’est tenue du 13 août au 15 septembre autour du thème « Curiosité ». Il ne comptait pas moins de vingt-cinq créations ...

 
Avant d’aborder plus précisément le Festival de Lucerne, pouvez-vous nous dire quelques mots à propos de Wolfgang Rihm (1952-2024) – disparu le 27 juillet dernier – qui a eu tant d’importance pour le Festival ?

Nous lui avons rendu hommage lors d’un concert donné en août, sous la direction de Ricardo Chailly. C’est en 2004 qu’avec Pierre Boulez (1925-2016) nous avons décidé de créer une Académie. Wolfgang Rihm avait pris la relève de Pierre Boulez, et nous a beaucoup apporté. Il a énormément contribué à la création. A titre d’exemple, nous avons cette année donné les premières de vingt-cinq œuvres. Nous savions Wolfgang Rihm malheureusement malade depuis longtemps.

Vous êtes né dans la musique. Votre êtes le fils du célèbre ténor Ernst Haefliger (1919-2007) ; votre frère, Andreas, est pianiste. Vous êtes vous-même violoniste …

La musique classique a toujours été une part essentielle de mon environnement. Mais après avoir débuté comme violoniste (M.H. a notamment été l’élève d’Ivan Galamian ndlr), j’ai fait le choix de ne pas rester musicien professionnel, de ne pas continuer une carrière de soliste. J’avais fait mes débuts au Festival de Lucerne en 1995 aux côtés de mon frère, Andreas, et nous avions en particulier joué la Sonate de Richard Strauss ainsi que la Sonate en do mineur de Beethoven et une création. Il n’est pas resté de trace enregistrée de mon début de carrière. Mais je rêvais d’être le directeur artistique de cette institution. J’étais venu quelquefois écouter mon père ici et, effectivement, assurer la programmation artistique de ce lieu était un rêve.

 

Sheku Kanneh-Mason © Ollie Ali

Cette année, la violoniste Lisa Batiashvilli et le violoncelliste Sheku Kanneh-Mason ont été choisis comme « artiste étoiles » et Lisa Streich et Beat Furrer comme compositeurs en résidence. Comment sont désignés chaque année ces artistes emblématiques ?

Il y a un comité artistique qui sélectionne des personnalités de la musique qui sont de magnifiques musiciens, mais pas seulement. Ils doivent aussi présenter des profils particulièrement riches.

Votre festival a un lien particulier avec le pianiste Igor Levit.

Il est déjà ancien et s’est noué il y a une quinzaine d’années avec un cycle beethovénien. C’est effectivement un artiste que nous apprécions tout particulièrement.

Cette année, le lien avec la France aura été très prononcé ...

Oui, l’Orchestre de Paris s’est produit sous la baguette de Klaus Mäkelä, lequel a également dirigé pour la première fois l’Orchestre du Festival de Lucerne. Lisa Batiashvilli était d’ailleurs la soliste du concert de l’Orchestre de Paris. Et l’Orchestre du Festival de Lucerne, qui est déjà venu à Paris, notamment sous la direction d’Andris Nelsons, donnera le 18 octobre prochain un concert à la Philharmonie de Paris, sous la conduite de Riccardo Chailly, avec Daniel Lozakovich en soliste. (1). J’en suis particulièrement heureux, car j’adore l’acoustique de la Philharmonie (dont l’architecte Jean Nouvel, est aussi celui de la salle de concert de Lucerne ndlr).

 

Arturo Toscanini (1867-1957), fondateur en 1938 du Festival de Lucerne © Wikipedia.org

De grands chefs d’orchestre italiens ont occupé ou occupent une place importante à Lucerne ...

Oui. Du reste nous sommes à deux heures et demie-trois heures de Milan … Le Festival de Lucerne a été créé en 1938 par Arturo Toscanini, qui a organisé les premiers concerts dans la maison de Richard Wagner, au bord du Lac des Quatre-Cantons. On sait peu que Toscanini avait des amis, ici, à Lucerne. Il aimait l’atmosphère, le climat. Une des premières œuvres qu’il a dirigées fut Siegfried Idyll. Puis il y a eu Claudio Abbado, qui a été très emblématique et a repris à son compte en quelque sorte les souhaits de Toscanini ; il a été à l’origine de l’Orchestre du Festival de Lucerne. Et désormais nous avons Ricardo Chailly, qui joue un rôle très important ici.

La musique contemporaine compte beaucoup dans votre programmation ...

Il y a effectivement l’Académie, qui a pris une place considérable. Nous y recevons chaque année une centaine de jeunes musiciens – ils sont sélectionnés lors d’auditions, et en video. Tout a commencé il y a plus de vingt ans. Pierre Boulez était venu à Lucerne avec l’Orchestre symphonique de Londres. Il nous est alors apparu important de créer une telle Académie. Nous avons eu la chance d’avoir un nombre considérables d’œuvres créées ici, qu’il s’agisse de premières mondiales ou suisses. Et nous en sommes particulièrement fiers !
 

La compositrice suédoise Lisa Streich © ricordi.com

En un quart de siècle, vous avez programmé des centaines de concerts, avec la plupart des plus grands interprètes de notre époque. Y a-t-il encore des œuvres que vous rêvez de faire entendre à Lucerne ?

Le Festival 2025 sera le dernier placé sous ma direction artistique. Si je me tourne vers le passé, j’ai tellement de souvenirs de concerts mémorables, qu’il m’est difficile de trouver une œuvre que je n’ai pas eu le bonheur de programmer. Nous avons donné l’essentiel du répertoire symphonique – la gigantesque Huitième Symphonie de Mahler a été jouée trois fois et les Gurre-Lieder de Schönberg ont clôturé l’édition 2024. Nous avons même proposé le Ring wagnérien en 2013, sous la direction de Jonathan Nott.
Si je réfléchis, je m’aperçois que si nous avons souvent offert l’intégrale des sonates de Beethoven et l’intégrale des symphonies – je garde un mémorable souvenir de celle de l’Orchestre de chambre d’Europe avec Bernard Haitink ... – ses quatuors à cordes n’ont pas fait l’objet d’une intégrale. J’ai peut-être des regrets en ce qui concerne le répertoire français : nous avons programmé beaucoup d’œuvres de Ravel et Debussy, mais moins d’autres compositeurs. Je pense en particulier à Berlioz.
 
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 8 septembre 2024
 

(1) www.lucernefestival.ch/en/program/lucerne-festival-orchestra-riccardo-chailly-daniel-lozakovich/2135
 
Site du Festival de Lucerne : www.lucernefestival.ch/en/
 
Photo © Marco Borggreve
 

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