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Une interview de Michaela Kaune, soprano – « L’expérience est indispensable pour le rôle de la Maréchale »
Applaudie à plusieurs reprises dans la capitale, l’Allemande Michaela Kaune est à l’affiche du Rosenkavalier présenté du 9 au 31 mai sur la scène de la Bastille dans la mise en scène d’Herbert Wernicke (1946-2002). Timbre de miel, transparence de l'aigu, pureté de la ligne, ce soprano d’essence lyrique et au style raffiné, idéal pour Agathe du Freischütz (1), Eva des Meistersinger ou la Comtesse Madeleine de Capriccio, annoncé en alternance avec sa consœur Anja Harteros, interprétera finalement la quasi-totalité (2) des huit représentations pour le bonheur de ses nombreux admirateurs. Elle a répondu à nos questions à la veille de la générale.
La dernière fois que vous êtes venue à l'Opéra de Paris c'était en 2012, pour interpréter une merveilleuse Comtesse Madeleine de Capriccio. Vous voici de retour cette fois avec la Maréchale du Rosenkavalier, toujours de Strauss, qui n'est pas un rôle vocal mais plutôt théâtral. Pouvez-vous me dire ce que vous apporte ce personnage et ce que vous aimez partager avec le public lorsque vous le chantez ?
Michaela KAUNE : J'adore le rôle la Maréchale par ce qu'il est extrêmement intéressant à jouer en raison de son évolution tout au long de l'opéra : au 1er acte elle est sereine, spontanée, pleine de jeunesse face à Octavian avec lequel elle prend plaisir à s'amuser, comme s'ils étaient deux jeunes amants. Puis elle se sent rattrapée par son âge et devient progressivement plus sombre car elle perçoit la fuite du temps, inéluctable et, à lafin de l'acte, elle prend une décision terrible et irrévocable. Octavian doit partir, elle décide de rompre en sachant qu'il ne sera pas son dernier amant, mais même si elle a éprouvé pour lui beaucoup d'amour, elle préfère le laisser rejoindre une maîtresse plus jeune, car le temps fait son œuvre.
Au bout du compte elle sait combien cela lui coûte mais elle reste souveraine, car malgré la tristesse et la souffrance de la séparation son expérience la conforte ; puis elle réapparaît au 3ème acte dans ses atours de Maréchale, émue, bien sûr, mais intègre ; elle tient son rang et laisse Octavian partir avec Sophie tandis qu'elle disparaît avec Faninal. Elle accepte de retourner à sa condition et à ses occupations.
Je crois sincèrement qu'une jeune chanteuse ne peut pas être en mesure de restituer toute cette complexité, toutes les facettes d'une telle personnalité : l'expérience est indispensable. Vocalement le rôle n'est pas difficile, mais d'un point de vue psychologique il faut avoir vécu, avoir du recul, pour traduire de pareils sentiments et être capable d'une telle générosité, d'un tel courage. Le public doit bien évidemment saisir tout cela et être touché.
Ici à Paris vous retrouvez Philippe Jordan - qui vous avait dirigée dans Capriccio - dans une production signée Herbert Wernicke que le public parisien connaît pour y avoir vu et entendu Renée Fleming, Soile Isokoski et Felicity Lott. Est-il facile pour vous et l'équipe de respecter la version originale et d'essayer d'être le plus proche du concept que vous n'avez pas pu travailler avec le metteur en scène ?
M.K. : Oui absolument, nous avons à cœur de respecter le travail d'Herbert Wernicke et faisons tout pour retrouver la version originale en étant le plus près possible de ses intentions. Bien sûr, parce que la distribution est totalement différente et que je ne suis ni Fleming, ni Lott, nous sommes là pour apporter nos personnalités, mais nous essayons de trouver ce que nos collègues ont cherché et proposé à l'origine. Nous discutons beaucoup pour comprendre les raisons qui les ont poussés à faire tel ou tel déplacement, tel ou tel geste et tâchons de trouver des solutions pour résoudre les problèmes que cela peut poser et nous adapter. C'est très important pour nous.
En répétition à l'Opéra Bastille © Emilie Brouchon - Opéra national de Paris
La Maréchale est un rôle que vous chantez depuis plusieurs années : comment a-t-il évolué depuis vos débuts berlinois ?
M.K. : Je me sens évidemment plus mûre qu'à mes débuts, j'ai vécu des expériences qui m'ont construite, permis d'avancer et tout cela m'a aidé à nourrir mon interprétation. Techniquement je parviens également à résoudre quelques difficultés d'ordre technique, tout me semble plus évident, plus simple et plus abordable qu'il y a cinq ou huit ans. Et comment ne pas se reconnaître dans les propos qu'évoquent cette femme en contemplant son miroir ?
De Strauss vous chantez également Arabella et Ariadne auf Naxos, partitions écrites pour des voix assez différentes. Qu'aimez-vous le plus dans la musique de ce compositeur réputée, comme celle de Mozart, pour agir comme une médecine ?
M.K. : J'apprécie avant tout le plaisir qu'apporte la combinaison entre musique et texte. Chez Strauss tout est si merveilleusement mêlé, l'un va tellement avec l'autre, que les deux réunis permettent aux chanteurs de se laisser porter par ces longues phrases et d'éprouver une sensation unique. Il faut pour cela être absolument clair et précis, sinon on ne s'en sort pas, être aguerri techniquement, mais cette écriture permet de sentir à la fois tout son corps et toute son âme, grâce à ce que procure la musique et le texte. Avec Mozart nous devons être plus stricts, nous surveiller davantage, alors que Strauss permet de nous oublier plus facilement. J'aime beaucoup chanter Mozart, mais sa musique demande plus de concentration alors que celle de Strauss permet d'exprimer plus ouvertement ses sentiments, plus librement même.
Quels autres rôles straussiens comptez-vous aborder ?
M.K. : Je voudrais mettre Chrysothémis à mon répertoire et pourquoi pas un peu plus tard die Kaiserin.
Intermezzo ne vous tenterait-il pas ?
M.K. : C'est vrai que l'on y pense rarement, mais le rôle de Christine est une merveille : j'aimerais énormément qu'on me le propose, mais je sais que ce titre est réputé difficile à mettre en scène, ce qui explique qu'il soit si rarement donné.
Combien de temps vous faut-il pour savoir exactement si un rôle est fait pour vous ou pas ?
M.K. : Oh, cela dépend, parfois il me faut l'essayer à plusieurs reprises pour me sentir parfaitement à l’aise, j'essaie alors de l'alterner et d'y revenir régulièrement et il m'arrive au contraire d'être immédiatement sûre qu'il m'attendait. Cela m'est arrivé l'an dernier avec l'Elettra d’Idomeneo dont j'ai su tout de suite qu'elle était faite pour moi, ce que j'ai constaté en la testant sur scène. Je l'ai su au moment où j'ai ouvert la partition. Il m'a fallu plus de temps pour me rapprocher de la Leonore de Fidelio, je l'ai appréhendée d'une toute autre manière, mais je savais que même en étant un soprano lyrique, j'avais du potentiel. Avant d'accepter la proposition j'ai pris un an et demi pour réfléchir, travailler, hésiter, puis me suis finalement décidée et ne le regrette pas car j'adore ce rôle.
Est-il difficile pour un chanteur d'abandonner un rôle qu'il aime par dessus tout juste parce qu'il sait que sa voix n'est plus aussi glorieuse que par le passé ?
M.K. : Bien sûr que c'est difficile, comme toutes les séparations. Je vais prendre un exemple concret : vous voyez je pourrais tout à fait chanter Pamina, mais je sais parfaitement que je suis trop âgée et je préfère la laisser à de jeunes artistes ; mais si je pouvais la reprendre sur scène je sais qu'elle serait différente par rapport à celle que j'ai interprétée autrefois, qu'elle bénéficierait de toute mon expérience et d'un timbre aux couleurs tout à fait intéressantes. Mais nous devons être intelligent avec nous-même et au bout du compte être maître de notre décision sans laisser aux autres le soin de vous la dicter. De grandes maison peuvent vous demander avec insistance de chanter un rôle que vous souhaitez abandonner, mais nous devons prendre notre décision pour éviter les erreurs et ne pas le regretter.
Revenons à Strauss et à son Rosenkavalier : qui est pour vous la plus belle Maréchale ?
M.K. : Oh Gott, toutes celles que nous avons évoquées sont fantastiques ; j'ajouterais Anja Harteros, qui est superbe. Je dois aussi citer Christa Ludwig que j'aime énormément et qui m'a toujours impressionnée : quand on pense qu'elle a été un Octavian remarquable et qu'elle a su incarner si dignement la Maréchale par la suite, c'est exceptionnel.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur, le 4 mai 2016
(1) Rôle que M. Kaune chantait Salle Pleyel en 2002 (en version française), avec Annick Massis et Marc Barrard , sous la direction par Christoph Eschenbach.
(2) Anja Harteros, souffrante, a annulé sa participation aux représentations des 9, 12 et 15 mai pour lesquelles M. Kaune la remplace ; elle demeure annoncée pour le 18 mai.
R. Strauss : Der Rosenkavalier
9, 12, 15, 18, 22, 25, 28 & 31 mai 2016
Paris – Opéra Bastille
www.concertclassic.com/concert/le-chevalier-la-rose-de-stauss-par-herbert-wernicke
Photo M. Kaune © DR
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