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Une interview de Véronique Gens - « Quand je chante les Dialogues, je pense à tous ces gens guidés par la foi et cela m'émeut. »
A sa création en 2013, cette production des Dialogues des Carmélites signée Olivier Py avait beaucoup été commentée. Peut-on savoir comment vous vous êtes « extirpée » du personnage de Mme Lidoine que vous interprétiez pour la première fois ?
Véronique GENS : C'était assez difficile car l'équipe était particulièrement sympathique et le rôle incroyablement fort, surtout lorsque l'on pense qu'il s'agit d'une histoire vraie. Je ne peux m'empêcher de penser que ces carmélites sont près de nous, enterrées à Picpus, où l'on peut retrouver leurs noms écrits sur une plaque, ce qui est extrêmement touchant. J'apprécie beaucoup le fait, qu'à la différence de nombreux autres livrets d'opéras, comme ceux des Noces de Figaro ou de Cosi fan tutte, Dialogues soit directement inspiré par des faits réels qui ont eu lieu pendant la Révolution Française, un moment de folie pure quand on y pense.
Ces années ont été terribles, de pauvres religieuses se sont fait massacrées tout simplement parce qu'elles croyaient en Dieu et que cela dérangeait certains qui ne le supportaient pas. Il y a eu d'autres sacrifiés bien sûr, mais celles-ci ont tout de même été des proies faciles. Certains disent que Dialogues parle surtout de la peur, celle de Blanche est réelle, évidemment, mais à la base c'est la foi et la dignité avec laquelle ces femmes ont tenu bon jusqu'à l'échafaud qui sont incroyables : cela a dû se passer comme ça pour des hommes et des femmes qui ont accepté de mourir à cause de leur religion.
Cela me rappelle ce film magnifique qui se passe au Japon au Moyen Age (Silence de Martin Scorsese ndr)), qui m'a fait réfléchir. Le héros part au Japon pour évangéliser les populations, mais une fois sur place il comprend pourquoi son prédécesseur a été accusé d'avoir renié sa religion pour épouser celle de ces étrangers, car il éprouve le même choc une fois sur place. Quand je chante cet opéra, je pense à tous ces gens guidés par la foi et cela m'émeut.
A l'époque vous et vos consœurs aviez fait part de votre satisfaction de travailler sur cette production, parce qu'un esprit particulier régnait sur le plateau pendant les répétitions et lors des représentations. Est-ce finalement quelque chose de rare dans votre métier pour que vous en ayez autant parlé, ou un sentiment que seule cette œuvre peut procurer ?
V.G. : Un peu des deux car il n'y a pas de star dans cet opéra, Blanche est un rôle écrasant, mais nous formons toutes un bloc, sommes très proches, qu'il s'agisse des solistes ou des membres du chœur. Il ne nous a pas été difficile de retrouver ces impressions lors de la récente reprise à Bruxelles en décembre ; les liens se sont reconstitués naturellement sauf peut-être avec la nouvelle Prieure qui était un peu en retrait au début, ce qui est assez normal. J'avais dit que c'était rare et c'est vrai car depuis je n'ai pas retrouvé ces sensations sur d'autres productions.
En signant le contrat vous saviez qu'il s'agissait d'une coproduction et donc que des reprises allaient être données. Pour quelles raisons ne faites-vous pas partie de celle de Bologne ?
V.G. : Parce que l'on ne me l'a pas demandé ! Je ne sais pas pourquoi mais je pense qu'ils ont l'habitude de travailler avec d'autres que moi et notamment Marie-Adeline Henry, qui est souvent invitée là-bas, mais je vous assure que j'aurais aimé poursuivre l'aventure avec l'équipe. Je n'ai pas signé pour la totalité, mais la reprise de Bruxelles était obligatoire pour pouvoir participer à celle du TCE programmée en 2018. Pourtant certains chanteurs sont arrivés entre temps, ce qui n'est pas très logique... Mais Caen et Bologne n'étaient pas prévu il y a quatre ans, les choses se sont débloquées tardivement.
La distribution a connu depuis 2013 quelques modifications, le rôle de Mme de Croissy ayant été tenu successivement par Rosalind Plowright, Sylvie Brunet et bientôt par Anne-Sophie von Otter, Marie-Adeline Henry, Stanislas de Barbeyrac ou Sabine Devieilhe faisant leur apparition au gré des reprises. Qu'est-ce que cela apporte à l'ensemble ?
V.G. : Ces changements de distributions apportent du sang neuf et font du bien, sinon la routine peut s'installer et le fait d'entendre des voix différentes est un vrai plaisir, cela rafraîchit, dépoussière et renouvelle notre écoute. Nous avons également travaillé avec un autre chef et un autre orchestre. Alain Altinoglu à Bruxelles est arrivé avec une autre approche de la partition, ses tempi surtout sont très différents de ceux de Jérémie Rhorer, et ils n'ont pas la même façon de travailler avec les chanteurs ; Alain est proche d'eux, on sent qu'il a été accompagnateur, Jérémie apporte d'autres éléments et cette confrontation est stimulante. Au plateau nous avons travaillé avec l'assistant d'Olivier Py qui est formidable, mais « notre » metteur en scène est tout de même venu nous voir quelques jours pour vérifier si tout était en place et nous encourager.
N'est-il pas parfois plus facile de « sentir » vraiment un rôle en le reprenant dans des productions différentes, avec d'autres collègues ?
V.G. : Oui bien sûr, cela peut s'avérer plus fécond et plus pertinent pour emprunter d'autres chemins. J'aurais aimé me retrouver sur d'autres spectacles, même celui tant décrié de Tcherniakov, car je suis, comme vous le savez, disponible et toujours prête ; j'ai cependant des projets dont un en Espagne notamment – où je n'ai pas été depuis quelque temps –, ce qui me ravit.
De nos jours, rares sont les spectacles que ne sont pas captés ou ne font pas l'objet d'un DVD. Celui de ces Dialogues signé François-René Martin chez Erato vous accompagne-t-il ?
V.G. : Je ne l'ai pas regardé tous les soirs pendant quatre ans (rires), mais lorsque j'ai commencé à retravailler la partition, il m'a aidé. C'est très beau, les personnages sont si bien dessinés, nous sommes tous si concernés, c'est rare, les gros plans permettent également de nous saisir au plus près. La réalisation est magnifique. Bien sûr cette reprise parisienne sera différente, déjà parce que Sabine Devieilhe remplace Sandrine Piau et qu'Anne-Sophie von Otter chante sa première Mme de Croissy mais, je le répète, l'ambiance est excellente.
Quels aspects de Madame Lidoine avez-vous souhaité modifier, reprendre, améliorer par rapport à la première fois ?
V.G. : Je crois qu'en 2013 je n'avais pas assez pris en compte le fait que cette femme est simple, qu'elle arrive de la campagne, que ses parents sont d'origine modeste à la différence de Mère Marie, de petits détails auxquels je n'avais pas suffisamment prêté attention. On ne le sent pas assez dans le DVD et même si elle est Prieure et que sa place est importante dans la hiérarchie, il faut veiller à souligner ces particularités, malgré le port du voile qui limite le champ d'action. J'essaie donc d'être plus souriante, de jouer de manière plus avenante pour montrer que cette femme peut être maternelle, gentille avec ses filles et de la faire apparaître, au début tout du moins, plus accessible.
Liée au Palazzetto Bru Zane avec lequel vous ne cessez de redonner vie à des partitions oubliées, on se souvient de La Reine de Chypre de Halévy en juin dernier au TCE, vous serez dans quelques mois la Marguerite du Faust original de Gounod. Quelles sont les différences notoires de cette version avant qu'elle ne soit remaniée ?
V.G. : C'est ma nouvelle famille, je les adore. Honnêtement je ne sais pas très bien, car je ne me suis pas encore penchée sur l'étude de la partition : la grande différence tient surtout à la présence de textes parlés, qui n'existe pas dans la version que nous connaissons et cela est un défi intéressant qui me plait : je vais les prendre au premier degré et les jouer à fond. Par ailleurs chanter « L'air des bijoux » est un rêve que je pensais inaccessible. La tessiture est un peu plus basse dans cette version mais le contre ut est là. Alexandre Dratwicki vous expliquerait tout cela mieux que moi. Je suis également heureuse de retrouver Christophe Rousset et Les Talens lyriques, mais ne connais en revanche pas encore Jean-François Borras qui chantera le rôle-titre. Je suis terrorisée, mais aussi extrêmement contente. On va évidemment m'attendre davantage au tournant que dans La Reine de Chypre, mais je serai bien entourée.
D'autres résurrections en vue ?
V.G. : Nous avons des montagnes de projets ensemble : d'abord un nouveau disque est en préparation, il s'appellera « Reines », un autre sera consacré à des mélodies avec orchestre, un autre encore avec quintette à cordes... Pour le premier nous avons le programme, il nous reste à trouver les dates avec Hervé Niquet mais pour ma part, je suis prête et impatiente. Le Palazzetto Bru Zane est devenu une multinationale qui n'arrête jamais. J'ai également de nombreux concerts de musique française en projet, qui font suite à ceux que je viens de chanter à Berlin (des mélodies de Duparc) avec Antonio Pappano, qui se sont magnifiquement déroulés ; je n'avais pas chanté sous sa direction et j'ai pu constater que tout ce que disaient les chanteurs était exact : travailler avec lui est un bonheur. Il est d'un confort absolu, procure un plaisir de chanter, élimine toute les angoisses, tout était facile et évident à ses côtés, car il m'est toujours difficile de chanter, cela ne me quitte pas.
J'avais également très envie de reprendre Le poème de l'amour et de la mer que l'on vient d'enregistrer avec le nouveau chef de l'Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch, qui est formidable. L'été prochain je serai à Montpellier avec une œuvre française inconnue, Kassya de Delibes. Je dois également retrouver ma complice Susan Manoff pour graver un second album de mélodies françaises. Tout cela me rend très heureuse car mon répertoire change, je ne veux plus chanter Fiordiligi ou la Comtesse, que je laisse à d'autres. Cette année j'aborderai également La Voix humaine avec Jean-Claude Malgoire à Tourcoing, encore un personnage désespéré qui m'a donné du fil à retordre au début, mais que je commence à saisir car il est tellement juste et vrai et le fait que Jean-Claude ait pensé à moi est très rassurant. Nous devons donner des concerts ensemble où nous jouerons Strauss et Beethoven ; je me sens prête, surtout à ses côtés, car je suis protégée avec lui ; il me connaît si bien, est si fidèle et chaleureux depuis toutes ces années : il ne faut pas oublier que c'est lui qui m'a confié mes premières Elvira, Vitellia et Fiordiligi.
Pouvez-vous nous dire un mot de votre projet de masterclasses avec Royaumont et Orsay qui se réalisera prochainement ?
V.G. : Il s'agit d'une série de masterclasses mise en place par le nouveau directeur artistique de la Fondation, François Naulot, qui a des ambitions pour faire rayonner Royaumont à l'étranger. Ainsi y aura-t-il quatre duos chanteur/accompagnateur, qui donneront une semaine de cours à des étudiants venus du monde entier, autour de la mélodie française, à Royaumont, un concert à l'auditorium du musée d'Orsay venant conclure ce travail. Angelika Kirchschlager, Stéphane Degout et moi-même avons déjà été réquisitionnés pour accomplir cette belle mission. Tout ceci est réjouissant.
Propos recueillis par François Lesueur le 2 février 2018
7, 9, 11, 14 & 16 février 2018
Paris – Théâtre des Champs Elysées
www.theatrechampselysees.fr/saison/opera/opera-mis-en-scene/dialogues-des-carmelites
Photo © Franck Juery
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