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Une interview d’Emily Beynon, flûte solo de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam / Mahler-Festival Leipzig 2023 – « Il y a tellement de vies différentes quand on est flûtiste au sein d’un orchestre ! »
L’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam est attendu au Festival Mahler de Leipzig le 20 mai prochain pour interpréter la 5ème Symphonie sous la baguette de Myung-Whun Chung (1) Après le violoncelliste français Jérôme Fruchart il y a peu (lire l’itv bit.ly/3HDCLaG), c’est à la Galloise Emily Beynon (photo), flûte solo de la phalange néerlandaise depuis plus d’un quart de siècle, que Concertclassic donne la parole. A propos de Mahler, entre autres ...
Vous appartenez à une phalange qui se caractérise notamment par une grande tradition mahlérienne ...
Absolument. Quand j’ai intégré l’orchestre, il y a vingt-huit ans, cette tradition, instaurée par Willem Mengelberg, se faisait clairement sentir. Les partitions des musiciens de l’orchestre comportaient des annotations de ceux qui les avaient précédés, et qui avaient joué sous la direction de Mengelberg, lequel était proche de Mahler. Quand ce dernier venait à Amsterdam (2), il ne résidait pas à l’hôtel, mais chez les Mengelberg.
En tant que flûtiste, vous êtes particulièrement gâtée par la musique de Mahler ...
Tout à fait. Cela étant, il faut parfois attendre très longtemps avant de pouvoir jouer un solo. Mais on trouve dans chacune de ses symphonies des moments d’une très grande intensité. Dès la Première Symphonie, Mahler a composé un magnifique duo de flûte et de piccolo, qui évoque des chants d’oiseaux. Ma symphonie préférée, en tant que flûtiste, est la Troisième, la plus longue de ses symphonies. Le solo de flûte n’y est pas très long, mais vraiment sublime. N’oublions pas pour autant un autre magnifique solo, dans l’Adagio de la Dixième Symphonie, seul mouvement de cette symphonie intégralement composé par Mahler.
Riccardo Chailly, directeur musical de l'Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam de 1988 à 2004 © Concertgebouworkest
Le 20 mai prochain, au Festival Mahler de Leipzig, vous retrouverez Myung-Whun Chung pour interpréter la 5e Symphonie ...
C’est un chef que l’orchestre connaît bien. Nous avons beaucoup joué sous sa direction. Et cette symphonie, l’une des plus populaires du compositeur, est très difficile à exécuter. Figurez-vous que quand Mahler l’a dirigée à Amsterdam, il l’a donnée en seconde partie du concert ; les Kindertotenlieder et le 4e des Rückert Lieder occupaient la première ! (8 mars 1906, avec le baryton Gerard Zalsman ndlr) (3)
Vous avez joué également sous la direction de Bernard Haitink, directeur musical de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam de 1961 à 1988. Quel souvenir en conservez-vous ?
Quand j’ai intégré l’orchestre en 1995, Bernard Haitink n’était plus directeur musical, Riccardo Chailly lui avait succédé, mais j’ai eu la chance, effectivement, de jouer à maintes reprises sous sa direction, les symphonies de Bruckner en particulier. J’ai peu joué Mahler avec lui. Il avait une gestuelle très économe, mais il obtenait un son merveilleux de l’orchestre. J’ai en revanche joué l’intégrale des symphonies de Mahler avec Riccardo Chailly.
Emily Beynon, Ivan Podyomov & Alexander Krimer (hautbois) © Vrenske Vrolijk
Comment avez vous intégré l’Orchestre du Concertgebouw ?
Je me suis présentée pour une audition, sans même avoir l’espoir d’arriver jusqu’en finale. J’étais venue voir une amie, qui venait d’accoucher, et m’étais dit que c’était une bonne manière de combiner travail et visite amicale ! Je m’étais énormément préparée, mais jamais je n’aurais pensé pouvoir intégrer un tel orchestre. De plus, j’avais 25 ans ans, et très peu d’expérience. Je suis très heureuse d’appartenir à cette phalange.
La musique française de XIXe et XXe siècles a, elle aussi, beaucoup gâté votre instrument ...
C’est incroyable, la richesse du répertoire, lorsqu’on est flûtiste dans un orchestre ! Vous parlez du répertoire français, et inévitablement on pense à Debussy et Ravel, et en particulier à Daphnis et Chloé. Mais on trouve également des trésors chez Beethoven et Brahms, et pas seulement dans le dernier mouvement de la Quatrième Symphonie de ce dernier !
En répétition de musique de chambre (Helma van den Brink au basson) © Vrenske Vrolijk
L’art du ou de la flûtiste solo est périlleux. Vous êtes à la fois dans et en dehors de l’orchestre quand vous devez jouer un trait soliste ...
Nous devons être comme des caméléons. Au sein de la section des vents, et soudain nous devons jouer en dehors du groupe. Mais il y a tellement de vies différentes, quand on est flûtiste au sein d’un orchestre ! Cet art m’a été transmis par deux de mes maîtres, William Bennett et Alain Marion.
Vous jouez également beaucoup de musique de chambre ; votre très riche discographie en témoigne ...
Il y a un énome répertoire de musique pour flûte et piano. Je joue beaucoup aussi avec ma sœur, Catherine Beyton, harpiste. J’œuvre également en faveur d’un immense répertoire à révéler : celui composé durant la Seconde Guerre mondiale. La flûte y devient une symbole de simplicité, de pureté, d’innocence, en contraste avec les tragédies du moment. Elle incarne la voix de la paix.
Mariss Jansons © Peter Meisel
Revenons aux grands directeurs musicaux de l’Orchestre du Concertgebouw. Vous avez connu tout le mandat (2004-2015) de Mariss Jansons. Comment les choses se passaient-elles avec lui ?
Un très grand chef, assurément. Il savait très bien donner et prendre à l’orchestre. Durant une période, il dirigeait deux orchestres, le nôtre et celui de la Radio Bavaroise. Il dirigeait les deux orchestres dans les mêmes œuvres et les interprétations sonnaient très différemment. Il était en attente de ce que les orchestres pouvaient lui proposer. Je garde le souvenir de répétitions particulièrement intenses.
Pour nous l’influence d’un grand chef d’orchestre est aussi mystérieuse que pour le public ! C’est une sensation extraordinaire. Chaque grand chef possède un son particulier. Il sait avec exactitude ce qu’il attend de l’orchestre et quelle doit être la signification de chaque note. Il y a environ 80 musiciens au sein d’un orchestre. Chacun a une opinion de l’œuvre interprétée : un grand chef mène tout le monde dans la même direction.
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 24 avril 2023
(2) Pour en savoir plus sur la relation de Mahler avec Willem Mengelberg et les Pays-Bas mahlerfoundation.org/mahler/locations/netherlands/amsterdam/gustav-mahler-himself-in-amsterdam/
(3) mahlerfoundation.org/mahler/locations/netherlands/amsterdam/1906-concert-amsterdam-08-03-1906/
Photo © Vrenske Vrolijk
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