Journal
Une interview du chorégraphe François Mauduit – « Le vocabulaire classique me permet de varier le sens du mouvement, d’en multiplier la richesse »
Retour salutaire du style narratif dans la chorégraphie française avec cet hommage au mystère et au charme d’Audrey Hepburn, la star qui rêva d’être ballerine. Une approche qui ravit, émeut, et fait de François Mauduit (photo) un héritier des grands noms du ballet. On suit ce créateur courageux qui, depuis des années, et avec le seul soutien de l’admiration qu’il suscite parmi les amoureux de la belle danse, se bat pour garder le langage classique vivant. Rencontre à l’approche de la représentation de son ballet Dans les yeux d’Audrey le 23 avril sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées
Pourquoi Audrey et pourquoi ce titre, Dans les yeux d’Audrey ?
Elle m’a toujours fasciné, notamment par son regard, dans lequel passent toute sa beauté intérieure et ses angoisses. Le regard est un élément essentiel, même pour un danseur. Celui de Gil Roman, chez Béjart, car j’ai eu la chance de danser dans cette compagnie, était un coup de poing, tout comme celui de Baryschnikov, magnétique. Et puis, chez Audrey, il y a cette aspiration à la danse, car elle rêva d’être ballerine, dut arrêter en raison d’une santé trop fragile, et l’a toujours regretté. En toutes choses, elle fonctionnait comme une danseuse, sans pathos, sans se répandre, en gardant une tenue exemplaire. A l’époque, les stars hollywoodiennes étaient ultraglamoureuses. Mais elle ne correspondait pas à ces pinups. Elle était juste un peu malicieuse, et son port de tête, un rien penché, était bien celui d’une danseuse. Chic, noble, l’élégance incarnée. Sans parler de la magie des robes que Givenchy fit pour elle et qui contribuèrent à fixer son image. Dans mon ballet, j’ai d’ailleurs mis le personnage du grand couturier en scène, ce qui me permet de faire allusion aux rapports de la mode et du ballet.
Comment vous saisissez vous de ce mythe, par le biais de la danse ?
Je suis Audrey du début jusqu’à la fin de sa vie, ce qui permet à plusieurs danseuses de l’incarner. Avec des flash-back, qui font remonter sa grande inquiétude foncière aux manques de son enfance, à ce père absent, à ces privations de la guerre. Tout un labyrinthe qui entremêle les étapes d’une existence plus tourmentée que ce que distillait son image rieuse. Traumatismes lourds qu’elle dominait, et que je fais transparaître de façon fugace, comme elle savait le faire, ainsi lorsqu’elle passe légèrement sa main sur son ventre, révélant son profond désir d’enfant. Avec pudeur surtout, en esquissant l’interrogation angoissée qui contraste avec le luxe du spectacle lorsqu’elle reçoit son Oscar : comme des ombres derrière le miroir.
Vous êtes un passionné du style classique et vous gardez fidèlement le chausson à pointe ?
Le chausson est un outil précieux qui peut jouer toute sorte de rôles dans l’expressivité du langage chorégraphique. En outre, je n’aime guère l’image du danseur soufflant et suant qu’on se plait à montrer aujourd’hui. J’aime le jeu, le carton pâte, les films des années 50, j’aime les lumières, les costumes, et que la barrière de cette illusion rende les choses plus vraies. Et puis, je suis amoureux du vocabulaire classique, pas forcément du répertoire. Il me permet de varier le sens du mouvement, d’en multiplier la richesse. Chez des créateurs qui renouvelaient le genre, comme Béjart, les bases étaient très présentes : ainsi pour de terribles figures dans le Sacre du printemps ou l’Oiseau de feu, que le public ne perçoit pas forcément. C’est par amour pour ce style de rapport à la scène que j’ai créé cette petite compagnie, où nous sommes une véritable équipe, et qui ne vit que de ses recettes propres. Il faut croire que le public aime ce genre de danse, car nous parvenons à donner une cinquantaine de spectacles par an. Et il m’est un grand bonheur de pouvoir, chaque année, faire que le prix Nijinski que j’ai créé à Deauville, bénéficie d’un jury aussi prestigieux que celui réuni cette année, soit Laurent Hilaire, Yann Saiz, Amandine Albisson, Muriel Maffre et Sylviane Bayard (l’an dernier Mathieu Ganio et Dorothée Gilbert notamment), tous gens qui savent ce que danser veut dire, et qu’il donne des ailes à des jeunes gens qui tous, après leurs lauriers, obtiennent des engagements dans de grandes compagnies, ce qui est une gageure à cette heure.
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 12 février 2024
Dans les yeux d’Audrey
Compagnie François Mauduit
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 23 avril 2024
www.theatrechampselysees.fr/saison-2023-2024/danse/compagnie-francois-mauduit
Photo © DR
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD