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Verbier, festival et plate-forme pour l’avenir - Une interview de Martin Engstroem, directeur général du Festival de Verbier

Le 20 Juillet s’ouvre la 19ème édition du Festival de Verbier avec le Verbier Festival Orchestra dirigé par Charles Dutoit et les frères Capuçon en solistes. C’est l’occasion d’interroger Martin Engstroem, fondateur et directeur d’une manifestation riche en invités prestigieux certes, mais découvreuse aussi et résolument tournée vers l’avenir par le biais de son Académie.

Quelles réflexions vous viennent à l’esprit lorsque vous considérez ce qu’est devenu le Festival Verbier par rapport à votre projet de départ il y a bientôt deux décennies ?

Martin ENGSTROEM : Je me dis que c’était une très bonne idée ! (rires) La plupart des grands festivals européens se trouvent dans des villes assez importantes ou très grandes. Verbier est plutôt basé sur un concept américain dont le modèle est offert par le Festival d’Aspen. Notre festival offre une plus-value au public qui fait l’expérience d’un rendez-vous dans les montagnes où l’on peut assister gratuitement aux répétitions, suivre les master classes, se plonger dans une atmosphère très enrichissante. Verbier c’est beaucoup plus qu’acheter des billets pour aller à des concerts et tel était le concept de départ. Dès la première année du Festival nous avons eu un orchestre de jeunes : cette articulation entre de jeunes musiciens en formation et de grands maîtres, qui caractérise Verbier, était donc présente aussi à l’origine.

Y a-t-il des aspects du Festival sur lesquels vous avez complètement dépassé vos espoirs initiaux ?

M.E. : Vous savez, quand on est passionné par une idée on n’est pas vraiment réaliste. On fonce pour la réaliser. Je passe sur les difficultés que j’ai pu rencontrer pour arriver où j’en suis aujourd’hui, mais j’éprouvais un besoin personnel de construire quelque chose par moi-même. J’ai travaillé pendant douze ans à l’agence Opéra et Concerts auprès de Germinal Hilbert. En tant qu’agent, j’étais toujours « au milieu », entre l’artiste et l’organisateur ; je n’avais jamais le dernier mot. J’ai vu tant de beaux projets partir en fumée pour des raisons diverses …
C’est l’envie de conseiller à des artistes amis de jouer telle ou telle œuvre, de les amener à collaborer avec tel ou tel collègue qui m’a poussé à me lancer dans le projet de Verbier. Quand on entre en scène à Verbier, on le fait avec une œuvre que l’on n’a jamais jouée ou avec des collègues avec lesquels on n’a jamais travaillé : chaque apparition s’accompagne d’une part de risque.

Cette notion de rencontre inattendue, inédite entre des musiciens est d’ailleurs l’une des caractéristiques premières de Verbier …

M.E. : L’affiche artistique a vraiment un visage bien à elle à Verbier, ce ne sont pas des choses que l’on trouve ailleurs. On n’est pas sur les circuits des orchestres ou des artistes en tournée.

A côté des grands noms que l’on trouve à Verbier, on découvre aussi beaucoup de jeunes qui font leurs débuts…

M.E. : Découvrir de nouveaux artistes, de jeunes talents a toujours été l’une de mes grandes passions. J’ai entendu des milliers de jeunes instrumentistes ou chanteurs dans ma vie professionnelle. Lang Lang ou Anna Netrebko, pour ne citer qu’eux, étaient totalement inconnus lorsqu’ils se sont pour la première fois produits à Verbier.

Quels sont les jeunes interprètes que l’on va découvrir cette année ?

M.E. : Il y a deux pianistes que j’aime énormément : Jan Lisiecki, qui était déjà présent en 2011 (avant donc qu’il ne signe pour Deutsche Grammophon), et Daniil Trifonov, qui est déjà engagé pour 2013 et 2014. Il est important de suivre le développement des artistes. Cette année nous retrouverons David Kadouch ; ce sera je crois le sixième été à Verbier d’un pianiste qui a d’abord travaillé à l’Académie pendant deux ou trois ans, avant d’être impliqué dans le festival. C’est un être d’une grande sensibilité qui va, je l’espère, faire une grande carrière.

Vous venez d’évoquer l’Académie du Festival : comment y entre-t-on ?

M.E. : Parallèlement au Festival nous organisons une Académie d’été destinée d’une part aux musiciens d’orchestre, de l’autre à des solistes. Côté orchestre, il s’agit d’apprendre à jouer dans une phalange symphonique, de comprendre son mode de fonctionnement. L’entrée est très sélective : cette fois nous avons auditionné 1400 jeunes pour n’en retenir finalement que 32 – ce qui correspond au tiers de l’effectif de l’Orchestre des Jeunes de Verbier qui est renouvelé chaque année.
En ce qui concerne les solistes, la situation est comparable car nous ne retenons que huit musiciens par instrument et environ 600 candidats se présentent dans chaque discipline. Le résultat est que l’on trouve la « crème de la crème » de la jeune génération à l’Académie de Verbier

Comment fonctionne-t-elle ?

M.E. : L’Orchestre est présent à Verbier pendant une période de 5-6 semaines, tandis que les solistes y passent 3 semaines. Il s’agit d’inspirer ces jeunes solistes, de leur faire part de ce que le public attend d’eux, de ce que signifie la vie de soliste. Il faut être préparé à ce moment de transition entre la période protégée des études et le moment où l’on se lance ; de cela dépend que l’on fera une carrière ou pas. Christian Thompson, directeur de l’Académie, et moi-même essayons d’aider ces jeunes à partir nos expériences personnelles. Si nous voyons des talents exceptionnels nous leur organisons des auditions, nous faisons en sorte de leur donner le coup de pouce supplémentaire pour débuter. En dehors de la période d’été nous essayons de garder un contact avec tout le monde et d’être un interlocuteur pour chercher professeur, pour faire face à un « pépin » financier, etc. L’Académie de Verbier est à mon sens une plate forme pour l’avenir : on y vient évidemment pour travailler avec un grand maître, mais aussi pour se préparer à la réalité de la carrière. Comme dans tous les métiers, le musicien à besoin d’un réseau et nous l’aidons à le constituer. Renaud Capuçon par exemple était élève d’Isaac Stern à Verbier en 1995 et c’est à ce moment qu’il rencontré Jacques Thélen, son agent depuis lors, mais aussi un collectionneur d’instruments qui lui avait prêté un violon.

L’un des exemples les plus symboliques de ces rencontres inattendues qui caractérisent Verbier n’est-il cette année pas le Winterreise que Menahem Pressler va accompagner pour - la première fois de sa vie ! -, le 30 juillet ?

M.E. : Menahem Pressler vient régulièrement à Verbier depuis une dizaine d’années. A chaque fois j’essaie de lui créer des rencontres, une atmosphère différente de ce qu’il a vécu ailleurs. Je lui ai demandé l’an passé s’il avait déjà travaillé le Winterreise. « Personne ne m’a jamais demandé d’accompagner les chanteurs », m’a-t-il répondu à ma grande surprise. J’ai voulu combler cette lacune : il fera donc cet été son premier Winterreise au côté de Christoph Prégardien. Et ils ont déjà une demi-douzaine de concerts ensemble la saison prochaine !

Propos recueillis par Alain Cochard, le 20 juin 2012

19ème Festival de Verbier (Suisse)
Du 20 juillet au 5 août 2012
www.verbierfestival.com

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Photo : Aline Paley
 

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