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Vingt ans sur le Rocher - Une interview de Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte Carlo

 

Une magnifique compagnie qui compte une soixantaine de danseurs, et propose plusieurs ballets généralement signés de lui, un rayonnement dans le monde entier, de la Chine et la Russie aux Etats-Unis où ils sont en tournée cette saison, le chorégraphe tourangeau a trouvé sa place sur le Rocher monégasque, qui le lui rend bien en fêtant ses vingt ans à sa tête d’une troupe qui a trouvé son identité grâce à lui. La belle cinquantaine, Jean-Christophe Maillot travaille constamment, et se réjouit de ce que chaque jour lui permette d’aller plus loin. Rencontre avec un homme qui pèse ses chances.

A l’heure où vous fêtez ces vingt années de travail et de création intensive avec les Ballets de Monte Carlo, quel moment retenez-vous plus particulièrement ?

Jean-Christophe MAILLOT : Particulièrement le Centenaire des Ballets Russes en 2009. En voyant affluer autant de compagnies dans le cadre du Monaco Dance Forum en souvenir de cette époque incomparable, j’ai eu le sentiment, d’ouvrir le public à l’idée de création, dont l’esprit fait renaître celui des Ballets Russes, d’éclairer sa mémoire, et de faire ainsi avancer la danse et le regard que les gens posent sur elle. Je renouais avec un rêve, faire se croiser en un même lieu toutes sortes de visions et de formes, car j’aime être relié aux danseurs de mon temps et ne pas m’isoler dans mon travail, avec juste mes interprètes. Je suis particulièrement attaché à ce Monaco Dance Forum, festival annuel que je gère désormais, outre la compagnie, car il me donne un champ d’action incomparable. Rosella Hightower, qui crut en moi, disait que je regardais constamment les opposés. Ce qui est sûr c’est que ma curiosité est constamment en éveil.

Vous avez été et êtes encore bien entouré ?

J-C. M. : Mon équipe est formidable, et mes interprètes merveilleux, notamment Gaetan Morlotti, un peu mon double scénique, et Bernice Coppieters, ma muse, incomparable ballerine à la personnalité singulière, que les plus grands chorégraphes du moment admirent et m’envient, de Forsythe à Kylian. Et puis, des gens remarquables m’ont mis sur les rails, notamment mon père, décorateur de théâtre et immense artiste. Il m’a porté, formé, jusqu’à ce que je sois capable de tenir complètement sur mes pieds, et s’est ensuite effacé quand j’étais prêt, puisqu’il est mort en 1994 et que j’ai été nommé en 1993. Il m’a appris à regarder. Sur le plan artistique, je ne conteste jamais l’influence des grands sur mon travail, ainsi John Neumeier, chez qui j’ai dansé, et notamment dans sa Dame aux Camélias pour laquelle je garde une tendresse toute particulière. Mes chorégraphies ne seraient pas ce qu’elles sont sans lui. Pour ma patte personnelle, incontestablement dans la mouvance néo-classique, je ne revendique rien, mais j’ai juste besoin d’être compris et de travailler longuement avec mes interprètes, ce qui explique que j’accepte peu que mes pas-de-deux soient donnés dans les galas, faute de répétitions. C’est à ce prix que ma différence peut s’exprimer.

C’est une saison très nourrie que vous proposez, quels en sont les temps forts ?

J-C. M. : De nombreux chorégraphes contemporains seront en piste, notamment Kylian, qui fera une création en avril, ainsi que Marco Goecke et William Forsythe. Nous reprenons la Belle en février et Choré en juillet. Mais je suis très sensible à la participation de Diana Vishneva à cette session. J’ai un rapport spécial avec cette fabuleuse ballerine, à la personnalité si forte qu’on l’a surnommée le visage du Mariinsky, même si elle se produit surtout désormais à l’American Ballet Theater. C’est une star, encadrée comme telle par les gens qui l’entourent, ce qui ne facilite pas la tâche. Mais c’est elle qui a poussé ma porte et m’a conduit à écrire pour elle, ce dont je rêvais. En 1994 je lui avais remis le Grand Prix et la Médaille d’Or au Concours de Lausanne (qu’il a lui-même remporté en 1977, ndlr) et elle m’avait fasciné, puis je ne l’ai plus revue. Ici je l’encadre de Gaetan Morlotti et Bernice Coppieters, pour une pièce intitulée Switch, où j’évoque le sacrifice que l’on fait d’une part de sa vie pour trouver sa propre voie, ce qui ramène évidemment à son propre engagement, comme celui de beaucoup d’artistes. Je l’ai vécu moi-même. Outre ce trio, l’hommage à Vishneva comprendra un solo écrit pour elle par Carolyn Carlson.

Vous présentez également un nouveau Casse-Noisette ce mois ci. Quelle en est la teneur ?

J-C. M. : J’avais déjà écrit un Casse-Noisette Circus, qui se passait sous un chapiteau. Aujourd’hui, il devient un peu ma propre histoire et je le réécris entièrement. Ce Casse-Noisette Compagnie sera une manière de cadeau pour le public et pour la principauté. J’y rappelle les silhouettes d’artistes et de gens qui ont compté pour moi, et Bernice Coppieters y incarnera plusieurs aspects du conte, noirs ou lumineux. C’est un univers dont je suis familier, notamment depuis que j’ai incarné le Petit Poucet dans le film de Michel Boisrond en 1972. Ce n’est pas hasard que j’ai aussi conté à ma façon La Belle et Cendrillon. Je suis resté un éternel adolescent, je travaille dans l’urgence, et je n’ai jamais aucune stratégie. Et puis, j’ai rencontré une princesse! Je connais Caroline de Hanovre depuis 1986, et elle est une véritable amie pour moi. Grâce à elle j’ai pu réaliser tous ces rêves que j’évoque dans Casse Noisette.

Vous dirigez aussi l’Académie Princesse Grâce, fondée en 1976, et prestigieuse pépinière de danseurs. Quelle y est votre action ?

J-C.M. : L’Académie est regroupée avec la Compagnie et le Monaco dance Forum depuis 2011, effectivement sous ma direction, mais l’enseignement et la pédagogie y sont confiés à Luca Masala, issu de la Scala de Milan, et il y est totalement libre. Je ne souhaitais pas faire de cette école une sorte de vivier pour la Compagnie et mes chorégraphies. Les élèves y sont ainsi complètement ouverts sur le monde, même si certains sont entrés dans les Ballets de Monte Carlo. Nous voulons surtout que ceux qui en sortent trouvent un engagement dans de grandes compagnies mondiales, et jusqu’ici c’est le cas. Ils me préparent notamment une soirée surprise le 11 décembre.

Les Ballets de Monte Carlo sont dans une phase ascendante, marquée par de nombreuses tournées. Quels rêves caressez-vous encore en cette année de plénitude ?

J-C.M. : J’ai un important projet en Russie pour juin 2014, en fait en suspens depuis cinq ans, et qui se réalise enfin : le Bolchoï m’invite à régler une Mégère apprivoisée pour sa troupe, que nous commencerons à répéter en mars. Elle aura pour support une musique de Chostakovitch et sera très différente de celle, célèbre, chorégraphiée en 1969 par John Cranko pour le Ballet de Stuttgart. Et j’ai aussi une envie, folle celle-là, qui serait de réaliser un long métrage avec pour seul héros le corps dansant, et dont la musique serait confiée à Danny Elfmann, auteur de celle de Switch, ma pièce pour Vishneva. La musique de film me comble. C’est pour moi une façon d’être plus largement relié au monde, ce qui me porte constamment.

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 21 novembre 2013.

Monaco, Académie Princesse Grace, soirée surprise en l’honneur de Jean-Christophe Maillot, Opéra, le 11 décembre. On the edge, avec Diana Vishneva, les 18 et 19 décembre 2013, Opéra. Casse Noisette Compagnie, du 26 décembre au 5 janvier 2014. Forum Grimaldi.

www.balletsdemontecarlo.com

Lyon, Maison de la danse, Lac, du 21 au 25 mai 2014. Paris, Théâtre de Chaillot, Lac, du 5 au 13 juin 2014. CND de Pantin, Daphnis et Chloé, les 14 et 15 juin 2014

Photo : DR

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