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West Side Story au Châtelet – La révélation Melanie Sierra – Compte-rendu
En dehors de rares entreprises audacieuses comme celle de Barrie Kosky (créée à Berlin mais présentée ensuite à Strasbourg en 2022), les productions de West Side Story se suivent et se ressemblent forcément, s’enorgueillissant même de leur fidélité au spectacle original créé à Broadway en 1957. Si la chorégraphie de Jerome Robbins est respectée dans le moindre détail, la partition de Leonard Bernstein (dont le compositeur, suivant la tradition du musical, n’assura pas l’orchestration, signée Sid Ramin et Irwin Kostal) peut varier sur le plan des effectifs sollicités – vingt-sept instrumentistes à l’origine – et être complétée par diverses additional orchestrations. Autrement dit, ce qui change surtout, en général, d’une mise en scène à l’autre, ce sont les décors et les costumes, signés cette fois Anna Louizos et Alejo Vietti.
Fluidité, rapidité, énergie
Pas de surprise concernant la tenue vestimentaire des personnages, elle est conforme aux images que l’on conserve en tête, essentiellement grâce au film de 1961, et l’on n’a pas cherché ici à modifier l’époque de l’action. Les couleurs opposent clairement les Jets et les Sharks, surtout dans la scène du bal. Quant aux décors, le problème posé par la multiplicité des lieux de l’action est ici brillamment résolu par des structures mobiles que les acteurs font eux-mêmes tourner, le bâtiment principal devenant tour à tour chambre de Maria et atelier de couture où elle travaille, drugstore tenu par Doc et balcon où dialoguent les modernes Roméo et Juliette. Tout se déroule de manière fluide et rapide, et tout est terminé au bout de deux heures quarante, entracte inclus. La mise en scène de Lonny Price a donc toute l’efficacité souhaitée, et la chorégraphie « reproduite » par Julio Monge est conforme aux intentions de Jerome Robbins, stylisant admirablement ces combats de jeunes coqs qui ont pour cadre les rues de New York. Et la direction de Grant Sturiale dans la fosse restitue toute l’énergie d’une musique dont le succès ne se dément pas depuis près de trois quarts de siècle.
© Johann Persson
Le style requis
Pourtant, ce qui change forcément d’une production à l’autre de West Side Story, ce sont les interprètes, ceux qui jouent, chantent et dansent sur le plateau. Presque tous originaires des Etats-Unis, les artistes ici réunis maîtrisent évidemment le style requis, les Sharks sont à peu près tous des Latinos, comme il se doit, et tous ont l’âge du rôle et le physique de l’emploi (on songe notamment au Chino poupin de Christopher Alvarado ou à l’Anybodys androgyne de Gigi Hausman). Parmi les quatre « adultes », on remarque l’hilarant maître de cérémonie du Canadien Stuart Dowling et la mine de Droopy d’Erikk Gratton en officier Krupke, les deux personnages les plus développés restant Doc – sobre Darren Matthias – et surtout le lieutenant Schrank, le policier auquel Bret Tuomi prête une belle éloquence. Taylor Harley est un Riff de vif-argent, qui semble souvent se situer à la limite entre parlé et chanté, le Bernardo d’Antony Sanchez semblant un peu plus en retrait. Kyra Sorce est une Anita puissante, qui ne craint pas de recourir au cri dans les moments les plus dramatiques. Jadon Webster (photo), au sourire ultra-bright, est un Tony sensible, qui privilégie le murmure et la voix de tête dans beaucoup de ses airs.
Melanie Sierra (Maria) et Jadon Webster (Tony) © Johann Persson
La révélation Melanie Sierra
Mais la véritable révélation de ce spectacle restera incontestablement Melanie Sierra (photo ; la petite sœur de Nadine, la coqueluche du Met) : sans doute sous l’effet de la personnalité conquérante de cette soprano qui semble bien avoir une véritable formation de chanteuse d’opéra, Maria est ici transfigurée. Loin d’être simplement « modest and pure, polite and refined » comme le chantent ses amies, et donc un peu effacée, voire nunuche, Maria devient ici un personnage magnétique, irrésistible bien avant que la tragédie ne frappe. C’est une gamine espiègle, rieuse, qui ne se prend pas un instant au sérieux que donne à voir Melanie Sierra, sans que cela empêche un instant de croire en son amour passionné. Jamais on n’avait encore vu un « I feel pretty » où l’héroïne fait littéralement le clown, ce qui élimine tout risque de sensiblerie si besoin était. Melanie Sierra… I’ve just met a girl named Melanie Sierra… et l’on n’a sans doute pas fini d’entendre parler d’elle.
Laurent Bury
Bernstein : West Side Story – Paris, Théâtre du Châtelet, jusqu’au 31 décembre 2023 (du mardi au vendredi, 20h ; les samedis et dimanches, 15h et 20h) : www.chatelet.com/programmation/2023-2024/west-side-story/
Puis à Bordeaux, Grand-Théâtre, les 9, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 17 & 18 février 2024 // www.opera-bordeaux.com/opera-danse-west-side-story-45162
Photo © Johan Persson
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