Journal
Pelléas et Mélisande à l’Opéra Bastille – Un Pelléas en partie renouvelé
Véritable pilier du répertoire de l'Opéra National de Paris, créé en février 1997 à Garnier, Pelléas et Mélisande tient toujours dignement son rang, sans doute parce qu'il est le plus abouti des spectacles de Bob Wilson et qu'il offre un condensé de la radicalité esthétique de ce maître du geste, de l'image et de la lumière. Si l'émotion peut venir à manquer, le spectateur n'en demeure pas moins fasciné par ce théâtre de l'épure, du cadre, où les corps quasi figés doivent s'insérer délicatement.
Avec ses grâces de ballerine et sa présence immaculée, Elena Tsallagova (Mélisande, photo) est toujours aussi exquise à regarder, mais à trop vouloir cultiver la distance et le mystère son chant n'évite pas la froideur et ne parvient pas à tirer les larmes au moment de la mort, là où Suzanne Mentzer (en 1997) et Mireille Delunsch (2004) étaient si frémissantes. Franz-Josef Selig est une fois encore un magnifique Arkel, pas tout à fait cacochyme, pas libidineux non plus, parfaitement juste et à sa place pour forcer le respect et tenter de faire régner l'ordre avec humanité sur ce monde clos aux vapeurs méphitiques. Etienne Dupuis succède adroitement au Pelléas torturé de Stéphane Degout, apportant à son personnage une fraîcheur et une saisissante splendeur vocale - les aigus du jardin déconcertent par leur facilité – là ou son prédécesseur privilégiait les ombres et le trouble psychologique.
Luca Pisaroni (Golaud) © Charles Duprat - OnP
Nouveau venu inattendu dans cet opéra où la prosodie française importe tant, l'italien Luca Pisaroni endosse avec courage le rôle de Golaud. Cet homme de scène exigeant, inoubliable figure christique dans la Passion selon Saint-Jean mise en scène par Wilson au Châtelet en 2007, tire profit de tout, maquillage structurant, costumes stylisées, gestes millimétrés, pour asseoir l'allure et l'autorité d’un complexe personnage. Sa prestation vocale est très honorable, même si l'extrême attention apportée à la diction vient corseter la souplesse et la liquidité des phrasés qui gagneraient à plus de naturel. Sans doute débordé par la masse d'informations et d'éléments susceptibles d'expliquer qui est Golaud, le baryton donne l'impression de le tenir à distance, de s'en approcher puis de le perdre, oubliant ou refusant de révéler sa part de colère et de sauvagerie – ce que José van Dam, qui reste un modèle, était parvenu à réaliser par-delà sa suprême élégance –, mais il devrait y parvenir. Jodie Devos enfin, campe un candide Yniold et Anna Larsson Geneviève au port « feuilleresque », n'offre malheureusement qu'une voix en friche.
Plus extérieure, moins intensément rendue qu'en 2012 et 2015, où l'orchestre avait sans doute bénéficié d'un temps de répétition plus long, la direction de Philippe Jordan ne retrouve pas la poésie feutrée et le halo mystérieux qui la caractérisaient précédemment. Plus atone et plus raide, le geste du chef se fait également plus direct, comme pour aller vers l'essentiel, au risque de resserrer la palette de couleurs. Peut-être parviendra-t-il à y remédier lors des prochaines représentations.
François Lesueur
Debussy : Pelléas et Mélisande / Opéra Bastille, 19 septembre ; prochaines représentations les 27 septembre, 1er & 6 octobre 2017 / www.concertclassic.com/concert/pelleas-et-melisande-2
Photo (Elena Tsallagova, Mélisande) © Charles Duprat - OnP
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