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Andrew Tyson au 38e Festival Piano aux Jacobins – La confirmation d’un remarquable talent
«En France on ne connaît pas, on reconnaît », regrettait Cocteau. Il est heureusement des manifestations qui font mentir ce – trop souvent justifié ! – constat. Le Festival Piano aux Jacobins en fait partie : sans se priver d’inviter des célébrités ( Elisabeth Leonskaja, Arcadi Volodos ou Nicholas Angelich cette année), il réserve une très large place à de jeunes interprètes ou à des artistes un peu plus âgés mais trop rares chez nous, tel l’extraordinaire Dénes Várjon, dont le passage à Toulouse a visiblement marqué, sinon ébranlé, les auditeurs, ou encore Jean-Bapiste Fonlupt, l’un des plus remarquables « quadra » du piano français, ce que Valery Gergiev a compris plus vite que pas mal de programmateurs hexagonaux (1).
Côté nouvelle génération, Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan, co-directeurs artistiques de Piano aux Jacobins, ont gâté leur public en conviant des artistes tels que Cristian Budu, Julien Brocal, François Dumont, Simone Dinnerstein, Florian Noack, Danae Dörken, Alexandre Kantorow, Mariam Batsashvili, Benedek Horvath (2) ou encore Andrew Tyson (photo) – belle curiosité qui peut il est vrai s’appuyer sur le soutien que la Fondation BNP Paribas et le Palazzetto Bru Zane apportent à Piano aux Jacobins.
Le hasard d’un passage à Bruxelles en 2013, au cours d’une journée de la demi-finale récital du Concours Reine Elisabeth, m’avait permis de repérer et de vous signaler (3) le talent d’Andrew Tyson (né en 1986), qui n’allait pas tarder à figurer parmi les lauréats classés (6e Prix) de la compétition. Depuis, l’Américain a remporté en 2015 le Premier Prix, le Prix Mozart et le Prix du Public du Concours Géza Anda de Zurich (4). Quelques mois après la sortie d’un très personnel récital Ravel-Scriabine (Alpha) – qui fait suite à de superbes Préludes de Chopin pour Zig Zag Territoires en 2014 – et un passage dans la série « Les Pianissimes » à Paris au printemps, Andrew Tyson était donc l’hôte du festival toulousain.
L’Allegro moderato de la Sonate en la majeur D. 664 de Schubert s’écoule moins vite que sous d’autres doigts. Moderato : Tyson sait prendre le temps de flâner, de savourer l’humeur heureuse de la musique. Sa belle palette sonore, son sens harmonique retiennent immédiatement l’attention ; on le suit avec un égal bonheur dans l’Andante, vécu avec autant d’intensité que de tact, et un final dont l'interprète se garde bien de surjouer l’allégresse, instillant une pointe d’ambiguïté très bienvenue.
© Christian Steiner
Changement de siècle et de climat avec la Sonate I.X. 1905 de Janáček. L’ouvrage est nouveau au répertoire d’Andrew Tyson : bien lui en a pris de l’y inscrire ! On peut imaginer des conceptions plus dramatiques, plus exacerbées du Pressentiment ; la concentration du propos, la puissance évocatrice des couleurs touchent pourtant au cœur même de la musique. Pas un effet de manche, comme toujours chez cet interprète, mais une intelligence du texte – quelle aptitude à sonder le détail sans aucune maniaquerie – et une intense poésie : l’auditoire retient son souffle et les quelques secondes de silence après l’achèvement de La Mort en disent plus que tous les commentaires ... Puisse l’artiste nous offrir un jour ou l’autre un disque Janáček.
Grâce au Concours Reine Elisabeth, Andrew Tyson a fait la connaissance de Michel Petrossian (né en 1973). Ancien élève de Jacques Charpentier, Alain Louvier, Guy Reibel et Emmanuel Nunes, le compositeur français a effet obtenu le Grand Prix International Reine Elisabeth de composition en 2012 pour In the Wake of Ea, réalisation pour piano et orchestre qui figurait au programme du Concours 2013. Pour son récital toulousain, Tyson a choisi La lutte ardente du vert et de l’or, pièce qu’il a donnée en décembre 2016 à Carnegie Hall. Complexe, d’une mobilité un peu scriabinienne, la partition requiert sens des timbres et grande fluidité, qualités que Tyson possède au plus haut point.
Nocturne op. 62 n° 2, Mazurka op. 50 n° 3, Etude op. 25 n° 5 : depuis son enregistrement des Préludes op. 28, on sait que la musique de Chopin réussit au pianiste américain. Son cantabile très naturel, ses phrasés jamais convenus, sa subtile pédalisation lui permettent de tirer le meilleur des trois opus choisis. On est sous le charme ... et l’on voit arriver un peu à regret la – si souvent dévoyée – Rhapsodie espagnole de Liszt ...
A tort ! Tyson la domine sans aucun tape-à-l’œil et la transcende littéralement. Oubliée la virtuosité un tantinet bavarde du virtuose bateleur romantique qui mettait les salles à ses genoux ; l’interprète ne retient que l’explosion de lumière du clavier lisztien et la modernité du rapport à l’instrument. Moment fabuleux, qui emporte l’enthousiasme d’un public conquis auquel Tyson offre en bis deux magiques Scarlatti, comme échappés d’une poétique songerie.
Alain Cochard
Toulouse, Cloître des Jacobins, 21 septembre 2017
(1)Jean-Baptiste Fonlupt a joué le Concerto de Jolivet à Saint-Pétersbourg en décembre 2016, à la demande et sous direction du chef russe.
(2) M. Batsashvili et B. Horváth, deux artistes remarqués à Budapest au printemps dernier : www.concertclassic.com/article/mariam-batsashvili-et-benedek-horvath-en-recital-lacademie-franz-liszt-de-budapest-les-choix
(3)www.concertclassic.com/article/concours-reine-elisabeth-une-competition-exemplaire-compte-rendu
(4) www.concertclassic.com/article/concours-geza-anda-2015-zurich-haut-niveau-pianistique-compte-rendu
Photo © Sophie Zhai
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