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Franck et Mahler par l’orchestre Les Siècles à la Philharmonie de Paris - Flammes et poésie - Compte-rendu
Coïncidence troublante des dates ! L’année 1889 voit deux créations d’œuvres symphoniques appelées à connaître une belle prospérité. Et que pourtant tout diffère… Le 17 février marque la création à Paris de la Symphonie en ré mineur de Franck, avec un succès médiocre qui ne laissait pas présager la gloire future de l’œuvre devenue l’une des plus célèbres du compositeur (après sa disparition, survenue en 1890). Cette même année, le 20 novembre, est créée à Budapest la Première Symphonie de Mahler. Ici aussi avec un mauvais accueil. Il est vrai qu’il s’agissait de la première mouture de l’œuvre, qui, au reste, ne portait pas encore cet intitulé de « Première Symphonie ».
Dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, l’orchestre Les Siècles et son fondateur et chef, François-Xavier Roth (photo), se sont attachés à mettre en regard ces œuvres exactement contemporaines et pourtant si différentes. Mais, comme de règle avec ces interprètes, sur instrumentation rigoureusement d’époque : instruments français de la fin du XIXe siècle pour Franck, instruments allemands et viennois de la fin du XIXe siècle pour Mahler. Et le résultat, hors même de son interprétation scrupuleuse, s’avère on ne peut plus tranché !
La Symphonie de Franck est restée telle que, depuis sa première parisienne, sans aucune retouche ultérieure d’un compositeur que la mort devait surprendre un an plus tard. Il s’agit donc ici de la version que l’on connaît, sauf qu’elle est renouvelée par une stylistique d’époque, sans vibrato par exemple et avec des attaques franches, et sauf que l’interprétation s’investit au plus près des indications de la partition. On relève ainsi des tempos peu habituels, lents entrecoupés de longs silences et de pianissimos d’orchestre (début, Lento, du premier mouvement), puis des emportements exacerbés (Allegro qui suit, Allegro final). Une manière renouvelée qui offre une lecture pareillement et qui parle bien du talent hors normes de cette formation orchestrale et de son chef.
© Matthias Coquet
Après l’entracte, autre couleur et autre atmosphère musicale. Tout d’abord dans la démarche : puisqu’il est proposé un retour aux sources et à la version initiale de la première œuvre symphonique de Mahler (à l’aide de récents travaux musicologiques, et en particulier de la découverte en 1966 du manuscrit du deuxième mouvement abandonné, « Blumine », Floraison). Petit récapitulatif : l’œuvre à sa création était alors intitulée « Poème symphonique », puis peu après, lors d’un deuxième concert à Hambourg en 1893, « Titan, poème musical en forme de symphonie ». Par la suite, en 1896 à Berlin, Mahler en présentera une nouvelle version, où elle devait prendre son titre définitif de Symphonie n°1, sous-titrée « Titan », sous-titre lui-même abandonné plus tard en même temps que les références littéraires programmatiques (notamment au roman de Jean-Paul, Titan). Et durant tout ce chemin, l’œuvre a été aussi remaniée musicalement, avec la suppression en particulier du deuxième mouvement, à partir d’une structure initiale en deux parties et cinq mouvements pour revenir aux quatre mouvements symphoniques traditionnels.
Ces explications sont utiles pour replacer le contexte historique de l’œuvre et du concert. On attendait donc ce court deuxième mouvement quasi inconnu, qui s’apparente à un menuet quelque peu valsant, en concordance finalement avec un propos général d’esprit très viennois. Un moment attrayant, dont on ne saurait dire qu’il est indispensable, ni que Mahler a eu infiniment tort de s’en abstraire. Pour le reste, hormis quelques détails, se retrouvent les transports et la verve, pittoresque souvent, de ce premier opus symphonique mahlérien. On note aussi dans ce rapprochement inattendu avec Franck, un élément structurel commun aux deux œuvres : dans les deux cas une forme cyclique avec le retour de thèmes. Inspiration commune, qui aurait étonné nos deux compositeurs venus d’horizons esthétiques si opposés comme leurs fervents auditeurs.
Mais ce Mahler comme neuf est soulevé d’une flamme incandescente, par un orchestre puissamment délicat, entre emphase et échos poétiques (les cuivres répartis en haut de salle au début du premier mouvement), jusqu’à un final d’apothéose. Conquérant les bravos tout aussi tempétueux d’une Philharmonie archi-comble. Un défi à tous égards, pleinement accompli.
Pierre-René Serna
Paris, Philharmonie de Paris, Salle Pierre Boulez, 5 mars 2018
© Julien Mignot
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