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Musique en la cathédrale de Versailles – Derniers concerts avant restauration du Clicquot–Cavaillé-Coll (orgue)
Il en était question depuis si longtemps que l'on finissait par désespérer. Il est vrai que ce n'est pas la première fois dans l'histoire de cet instrument que les projets de relevage ou de restauration prennent leur temps avant d'aboutir (1) – on espérait déjà des travaux imminents en 2008 lorsque Frédéric Ledroit y a enregistré les Symphonies n°2 et 4 de Widor (Skarbo, DSK 1091). Le projet est aujourd'hui parvenu à maturité et l'orgue sera démonté mi-avril, à l'issue des fêtes de Pâques, la durée prévue des travaux étant de deux ans environ, en fonction de l'état de la tuyauterie et des sommiers.
Relevé il y a presque trente ans par Théo Haerpfer (1989), l'orgue actuel (2) est un Louis-Alexandre et François-Henri Clicquot de 1761, transformé en 1863 par Aristide Cavaillé-Coll dans le buffet classique à double corps érigé dès 1755 : Cavaillé-Coll avait mis en 1862 la dernière main aux travaux de transformation du Clicquot de Saint-Roch à Paris (nombreux points communs avec Saint-Louis de Versailles), mais aussi entièrement reconstruit le Clicquot de Saint-Sulpice, travaillant dans le même temps à la reconstruction de celui de Notre-Dame – soit entre Versailles et Paris quatre grands Clicquot–Cavaillé-Coll. Les travaux de restauration de celui de Saint-Louis ont été confiés à la manufacture Muhleisen pour la tuyauterie et à Denis Lacorre pour la structure instrumentale (dont sommiers et transmissions).
L'orgue Clicquot - Cavaillé-Coll de la cathédralde de Versailles © Pascal Copeaux
Deux concerts en manière d'écho anticipé de la semaine sainte étaient proposés à Saint-Louis les 17 et 18 mars par l'abbé Amaury Sartorius, à la tête du Chœur de la cathédrale qu'il dirige depuis 2001 – on lui doit le transfert en 2008 de l'orgue Erwin Muller (1965) du Studio 103 de la Maison de la Radio en l'église Sainte-Jeanne-d'Arc de Versailles. Le même programme sera redonné les 24 et 25 mars à Saint-Léonard de Croissy-sur-Seine et à Saint-Lubin de Rambouillet. Aux voix répondait Isabelle Lagors à la harpe et Christian Ott à l'orgue de chœur (3), beau Cavaillé-Coll de 1880 (reprenant sans doute des éléments du John Abbey de 1837) relevé par Gildas Ménoret en 2001.
Allant des Rameaux jusqu'à l'annonce de Pâques – la fête elle-même, comme de tradition, n'étant pas directement évoquée – et absolue gageure pour un chœur nécessairement constitué de chanteurs amateurs, investis et enthousiastes en dépit de quelques faiblesses bien naturelles, le splendide programme fit découvrir des raretés. À l'hymne Vexilla Regis (schola grégorienne, latin chanté à la romaine) firent suite le Psaume 147 Lauda Jerusalem de Théodore Decker (1851-1930), compositeur breton et organiste à Dinan (Joseph-Guy Ropartz fut parmi ses élèves), et un Chant de triomphe de Joseph Noyon (1888-1962), disciple à l'École Niedermeyer, où lui-même enseigna, de l'organiste de Saint-Eustache puis de la Madeleine Henri Dallier – l'une et l'autre pièces puissamment soutenues par l'orgue, devant lequel avait pris place le public, dans le vaste chœur de Saint-Louis.
La semaine sainte étant par définition centrée sur la figure du Christ, Amaury Sartorius « réintroduisit » celle du Père par le biais d'une œuvre des plus risquées et de toute beauté : le Notre Père (également dit Notre Père morave) de Leoš Janáček, Otče náš, chanté en tchèque ! – condition indispensable pour goûter la saveur spécifique de cette pièce en plusieurs sections, dans laquelle Harry Halbreich sentait « poindre la Messe glagolitique ». Composée en 1901 avec accompagnement de piano ou d'harmonium pour illustrer une série de « tableaux vivants » autour de toiles du peintre polonais Józef Krzesz-Męcina, Janáček la reprit en 1906 avec accompagnement de harpe et d'orgue, telle qu'entendue à Saint-Louis. Pour chœur mixte et ténor solo – Laurent Dufour, au timbre lumineux, affronta vaillamment une tessiture des plus tendues –, l'œuvre fit forte impression. S'ensuivirent quatre petites merveilles : premier Tantum ergo (op. 55, 1890) de Gabriel Fauré, Ubi caritas des Quatre motets grégoriens a cappella (1960) de Maurice Duruflé, Panis angelicus (1919) d'André Caplet et Ave verum de la Messe en l'honneur de saint Louis d'Albert Alain, composée en 1930 pour la cathédrale de Versailles (4).
Deux pages de musique ancienne – O vos omnes (Lamentations) de Tomás Luis de Victoria et C'est l'agneau (paroles françaises d'Augustin Mahot, 18?-1936) de Michael Praetorius, sans velléité de se glisser dans la mouvance de l'interprétation « historiquement informée » – enserraient le délicat et périlleux Pie Jesu dicté peu avant de mourir par Lili Boulanger, où il faut reconnaître que la soprano Élodie Prot fut soumise à rude épreuve. La séquence grégorienne Victimae paschali laudes du jour de Pâques : annonce de la Résurrection, introduisit les deux dernières pièces, parmi les plus prisées et gratifiantes qui soient pour un chœur : Cantique de Jean Racine (1863/1864 ?) du jeune Fauré dédié à César Franck, dont on entendit dans la foulée le Psaume 150 (pour l'inauguration, le 17 mars 1883 : 135 ans plus tôt jour pour jour, du Cavaillé-Coll de la chapelle de l'Institut des Jeunes Aveugles à Paris), l'ensemble des pièces accompagnées l'étant par l'orgue et la harpe réunis, configuration nullement rare dans les églises de la capitale au XIXe siècle. Surprise en bis avec une page très enjouée de Michel Corboz : Psaume 121 Ô ma joie (1965), pour chœur mixte a cappella.
Moment très attendu et de belle émotion, entre Praetorius et le Victimae paschali laudes : Christian Ott monta à la tribune du grand orgue, dont il est cotitulaire, pour jouer Marche funèbre et chant séraphique d'Alexandre Guilmant (« À la mémoire de ma mère »), entendu par Éric Lebrun à Notre-Dame de Paris le 8 mars (5), les inépuisables arpèges de la seconde partie de cette pièce étonnante étant ici confiés à la harpe – Isabelle Lagors et Christian Ott l'ont enregistrée sous cette forme dans un album Guilmant (Ambiente, 2008, orgues de Saint-Louis de Versailles et harmonium Mustel, (6) : ultime occasion d'entendre en concert ce Clicquot–Cavaillé-Coll de première grandeur (qui trompe si bien son monde et sonne encore superbement, bien que littéralement épuisé), et donc de tenter d'en mémoriser timbres et projection avant la grande restauration. Rendez-vous dans deux ans pour le redécouvrir, ressuscité.
Michel Roubinet
Versailles, Cathédrale Saint-Louis, 17 mars 2018
(1) Inventaire des Orgues de l'île-de-France, Tome 1, Pierre Dumoulin, Ariam Île-de-France – Aux Amateurs de Livres, 1988.
(2) Grand orgue de la cathédrale Saint-Louis de Versailles
www.cathedrale-versailles.org/?q=le-grand-orgue-historique
(3) Orgue de chœur de la cathédrale Saint-Louis de Versailles
www.cathedrale-versailles.org/?q=orgue-de-choeur
(4) Marie-Claire Alain – à l'orgue Kuhn (1955) de la cathédrale de Lausanne, remplacé en 2003 par un orgue Fisk et transféré à la Philharmonie de la Baltique à Gdansk, en Pologne : le patrimoine organistique est un univers en perpétuel mouvement ! – a enregistré la Messe de son père avec l'Ensemble Vocal de Lausanne et Michel Corboz (Erato, 1990 + Messe solennelle tant de Louis Vierne que de Jean Langlais), gravure prolongée par un enregistrement en concert, le 6 décembre 2005, lors d'un récital de Marie-Claire Alain au grand orgue Clicquot–Cavaillé-Coll pour les 25 ans des Amis de l'Orgue de Versailles, de ce même Ave verum, désarmant de simplicité et d'élévation, par la Chorale de la cathédrale de Versailles, dirigée par Amaury Sartorius alors maître de chapelle, et son Petit Chœur Grégorien dirigé par Michel Gauvain, Christian Ott étant à l'orgue de chœur de la cathédrale.
(5) www.concertclassic.com/article/les-150-ans-du-cavaille-coll-de-notre-dame-hommage-des-cinq-organistes-et-de-la-maitrise
(6) www.isabellelagors-christianott.fr/cd.html
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