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Gloriana de Britten au Teatro Real de Madrid – Flamboyante résurrection – Compte-rendu

Commandée pour le couronnement de la Reine Elisabeth II en juin 1953, Gloriana occupe une place à part dans le corpus lyrique de Benjamin Britten. Partition audacieuse mêlant la plus extrême modernité à d'étonnantes réminiscences élisabéthaines, l'œuvre fascine : exigeante dans sa forme et hautement brittenienne de par la complexité de son style musical et le traitement de son thème où l'on retrouve concentrés en un seul personnage, celui d'Elizabeth 1ère, la solitude face au pouvoir, l'amour et la trahison, si chers au compositeur.

@ Javier del Real

Dire que cette nouvelle production initiée par le Teatro Real (coproduite avec l'ENO et l'Opéra d'Amsterdam), confiée à Ivor Bolton et David McVicar était attendue, est un euphémisme. Pour rappeler combien l'astronomie était en vogue à la Renaissance dans toute l’Europe, le metteur en scène et son scénographe Robert Jones ont conçu un magnifique décor inspiré d'un astrolabe dont les éléments peuvent être actionnés, créant d'impressionnants effets visuels. Une double porte centrale, deux tribunes et quelques accessoires changés à vue, permettent de relier les scènes entre elles et de passer ainsi des jardins aux appartements de la reine, de Norwich à Nonesuch en passant par Whitehall sans aucun temps mort. Respectueux, élégant, soigné dans les moindres détails, le travail de McVicar se veut authentique autant qu'historique, les passages extrêmement codés comme ceux du masque et des danses de cour, chorégraphiées avec justesse par Colm Seery (au second acte), les magistrales scènes de foule  réglées, le tout rehaussé par les somptueux costumes de Brigitte Reiffenstuel, rendent ainsi un vibrant hommage à ce que fut la cour d'Elizabeth 1ère entre 1558 et 1603.
 
Puissante et ciselée, la direction d'Ivor Bolton n'est évidemment pas extérieure à cette flamboyante résurrection. Le chef britannique domine la redoutable et singulière écriture du compositeur qui brasse dans un même élan passionné, d'irréels motifs élisabéthains à une musique d'une constante modernité, où l'usage des percussions et des cuivres occupent une place privilégiée. Sec et martial ici, tendre et sensuel là, le discours musical sous tension, progresse, implacable, Bolton ayant à cœur d'embraser les nombreux tutti où solistes, orchestre et masses chorales – éblouissantes - ne font plus qu'un, comme au final de la 1ère scène de l'acte 1 « My lords, your quarrel’s reconciled », ou de souligner toute la sensibilité qui émaille les scènes d'intimité entre Elizabeth et Robert marquée par le célèbre duo « Happy where he could finish forth his fate », mais également la prière de la Reine qui conclut le 1er acte, ou l’épilogue mi parlé, mi chanté où le chœur murmure au lointain l’hymne à la gloire de Gloriana, utilisé tel un leitmotiv.

Anna Caterina Antonacci (Elisabeth, à dr.) © Javier del Real
 
Dans un rôle écrasant marqué par Sarah Walker et Josephine Barstow, Anna Caterina Antonacci se montre comme l'on pouvait s'y attendre une admirable comédienne-chanteuse. Au soir de son règne, son Elizabeth crainte autant qu'adulée veut croire à l'amour, même si elle pressent que l'ambition du jeune Essex est plus forte que les sentiments qu'il lui porte. Vocalement très investie, malgré un instrument qui n’a plus le volume d’autrefois, elle offre un portrait particulièrement nuancé de Gloriana celui d'une grande souveraine, tourmentée, maternelle et ô combien isolée, dont la chute finale, déclamée en pure tragédienne, dans un anglais maîtrisé, révèle l'étendue de sa fragilité.
 

Alexandra Deshorties (Elisabeth, cast 2)  © Javier del Real

Résolument plus autoritaire et parfois plus cassante, Alexandra Deshorties, dans une langue plus aisée (qui est la sienne), domine le second cast (représentation du 13 avril), avec une interprétation fouillée, un rien moins touchante que sa collègue italienne. Le timbre solaire et lyrique de Leonardo Capalbo, Robert Devereux aussi sanguin que juvénile se marie parfaitement à la Gloriana d'Antonacci, celui de David Butt Philip évoquant davantage la vocalité d’Anthony Rolfe-Johnson ou de Philip Langridge, exemplaire dans l'enregistrement de référence dirigé par Mackerras (Decca 1992). Face à l'excellent Mountjoy de Duncan Rock, Gabriel Bermudez ne fait pas le poids, Leigh Melrose et Charles Rice s'emparant avec délectation du cauteleux et claudiquant Cecil, conseiller de la Reine, comme David Soar et David Steffens du court rôle de Raleigh, tandis que Henry Cuffe revient au seul Benedict Nelson. Chez les femmes les mezzos Paula Murrihy (12/04) et Hanna Hipp (13/04) défendent vaillamment le personnage de Frances, celui de Pénélope revenant aux éloquentes sopranos Sophie Bevan (12/04) et Maria Miro (13/04).
Un nouveau joyau à poser sur la couronne de Joan Matabosch, heureux directeur du Teatro real de Madrid.
 
François Lesueur

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Britten : Gloriana – Madrid, Teatro Real, 12 et 13 avril ; prochaines représentations les 18, 22, 23 et 24 avril / http://www.teatro-real.com/es/temporada-17-18/opera/gloriana

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