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Paul Goussot et Adam Bernadac à Saint-Séverin – Jeunes talents et leurs aînés – Compte rendu (orgue)
Dans sa série Jeunes talents et leurs aînés, Plein Jeu à Saint-Séverin avait convié, le 23 mars, Paul Goussot et Adam Bernadac. Huit ans d'écart seulement, le second ayant travaillé l'improvisation avec le premier, réputé en ce domaine, qu'il s'agisse de style classique français, baroque allemand ou symphonique et contemporain dans le contexte, par exemple, de l'accompagnement d'un film muet (1). Quelques années qui font aussi la différence dans la carrière, pour l'un et l'autre brillamment confirmée ou engagée. Organiste et claveciniste, Paul Goussot (qui étudia entre autres avec François Espinasse, l'un des titulaires de Saint-Séverin, à l'époque où celui-ci enseignait au Conservatoire de Bordeaux) est depuis 2007 titulaire du grand cinq claviers Dom Bédos-Quoirin (c.1748-1997) de Sainte-Croix de Bordeaux, mais aussi professeur d’orgue au Conservatoire de Rueil-Malmaison : classe des plus prisées successivement confiée à Marie-Claire Alain, Susan Landale et François-Henri Houbart.
© DR
Compositeur et organiste (titulaire depuis 2013 du Cavaillé-Coll d'Issy-les-Moulineaux), Adam Bernadac a étudié auprès d'Éric Lebrun au Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés, puis au Pôle Supérieur de Paris–Boulogne-Billancourt (avec notamment Christophe Mantoux, autre titulaire de Saint-Séverin), d'où il est ressorti avec le diplôme national supérieur professionnel de musicien, une licence en musicologie et le diplôme d'État de professeur d'orgue. Admis au CNSM de Paris en cycle supérieur d'écriture, il termine actuellement ses études dans les classes de fugue et formes (Thierry Escaich, David Leszczynski), improvisation (Thierry Escaich, László Fassang) et orchestration (Marc-André Dalbavie) : jeune talent, certes, mais à l'évidence professionnel déjà aguerri de la musique !
D'un équilibre riche et serein, le programme permit apprécier deux musiciens investis et maîtres de l'instrument, à aucun moment l'idée d'une hiérarchie des mérites n'étant suggérée, bien au contraire : un partage purement musical, couronné non pas d'une confrontation mais de la somme des deux. Adam Bernadac ouvrit la soirée avec la Sonate n°4 de Mendelssohn, dont on sait qu'il est chez lui à Saint-Séverin : souple et juvénile énergie, chantante, libre et rayonnante. Paul Goussot enchaîna sur le Concerto op. 4 n°5 de Haendel : si contrairement à nombre de ses collègues le disque n'occupe pas une place de choix dans son parcours de musicien, il a quand même gravé en 2013 pour Paraty, avec l'Ensemble Zaïs dirigé par Benoît Babel, un CD jubilatoire et de grande classe : Concertos de Haendel et transcriptions de Rameau. Il fit valoir la palette de Saint-Séverin avec une spirituelle vivacité, impulsion rythmique et style enjoué sous-tendant une ornementation pour doigts de fées (diminutions délicieusement calibrées), sur un fond dense et structuré.
Paul Goussot © DR
De Bach, Adam Bernadac déploya le grand Nun komm der Heiden Heiland : chant ample, lié et d'un sobre allant, avant que Paul Goussot n'ose, c'est le mot !, improviser superbement une passacaille inspirée du baroque, polyphonie serrée en forme d'ample spirale ascendante sur un thème plus mesuré que celui de la Passacaille de Bach, comme en miroir de l'illustre chef-d'œuvre bien que finissant dans une poétique douceur empreinte de simplicité : nulle velléité de rivaliser avec Bach sur l'organo pleno – et pourtant, quelle maîtrise de la forme, de l'écriture et de sa projection par le timbre ! Une œuvre superbe et trop rarement entendue, se glissant avec art dans ce contexte baroque, suivit sous les doigts d'Adam Bernadac : Évocation I (1996) de Thierry Escaich, l'un de ses maîtres – entre monodie suspendue, intense et prenante, et déclamation tragique, musique et instrument se mettant mutuellement en valeur.
L'inépuisable Passacaille et thème fugué de Bach fit de même, sommet d'éloquence baroque telle que déclinée par Paul Goussot, aux rythmes puissamment marqués des variations répondant une fugue au sujet articulé de haut, sur un tempo posé autorisant une pleine déclamation de la polyphonie, d'un souffle généreux emplissant l'espace avec ferveur. Le lien était tout trouvé pour clore le programme : improvisation à deux sur le nom d'un interprète majeur de Bach, instigateur de l'orgue Kern de Saint-Séverin : Michel Chapuis – thème fécond, interrogation ascendante et sa réponse. Si improviser à deux génère d'évidentes contraintes, la conversation intime et alternée proposée, s'intensifiant progressivement avant de revenir à une intimité décantée, ne fut que convaincante tenue et musicale concision. Bach ressurgit en bis, original et à deux organistes : transcription lumineuse et ciselée du finale du Concert brandebourgeois n°4, dont elle restituait toute la richesse de textures, versant baroque de l'approche d'un Max Reger en d'autres temps. Un pur bonheur.
Outre les auditions du samedi à 17 heures (21 avril, 26 mai et 23 juin), la saison de Plein Jeu à Saint-Séverin se poursuivra le 20 avril avec un invité de marque : l'organiste et pédagogue réputé Leo van Doeselaar (Amsterdam), puis le 3 juin à 16 h 30 avec les trois titulaires jouant les trois orgues de l'église, après quoi le défi de la Fête de la Musique du 21 juin sera relevé par les élèves des classes d'orgue et de cuivres du CRR et du CNSMD de Paris.
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Séverin, 23 mars 2018
Sites Internet
Plein Jeu à Saint-Séverin
saint-severin.com/meet-the-team-2/
Paul Goussot et l'orgue Dom Bédos-Quoirin de Sainte-Croix de Bordeaux
www.renaissance-orgue.fr/orgues/abbatiale-sainte-croix/
Adam Bernadac et l'orgue Cavaillé-Coll de Saint-Étienne d'Issy-les-Moulineaux
orgue.stetienne-issy.pagesperso-orange.fr/Orgue_SE/Orgue_et_liturgie.html
Photo © DR
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