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Les Archives du Siècle Romantique (21) - André Messager, par... André Messager (Musica, septembre 1908)

Beau printemps pour André Messager (1853-1929) ! La bibliographie manquait d’un ouvrage de référence sur l’auteur de Véronique : il arrive d’ici peu chez les libraires, signé de Christophe Mirambeau, incomparable spécialiste du compositeur, comme de toute la musique française dite « légère » du tournant du siècle. Avec « André Messager, le passeur de siècle » (1), l’auteur brosse d’une plume alerte et avec force témoignages le portrait d’un étonnant artiste, célébré bien au-delà de nos frontières, tout à la fois créateur, acteur de la vie musicale et interprète (remarquable chef d’orchestre, il dirigea entre autres la création de Pelléas et Mélisande – dont il est le dédicataire – et la création française de Parsifal), mais aussi d’une fabuleuse période notre vie musicale française qui court des débuts de la IIIe République aux Années folles. Si vous croquez dans le Messager de Mirambeau, vous ne le lâcherez plus !

La scène fait aussi honneur au musicien en ce moment avec une production attendue des P’tites Michu (1897) – une initiative du Palazzetto Bru Zane – signée du metteur en scène Rémy Barché. L’ouvrage pourra compter sur les qualités des chanteurs comédiens de la Compagnie Les Brigands (Anne-Aurore Cochet, Violette Polchi, Philippe Estèphe Damien Bigourdan, Boris Grappe, etc.). Avec Pierre Dumoussaud à la baguette, on découvrira d’abord le spectacle en version grand format, au Nantes-Angers Opéra, avec l’Orchestre national des Pays de la Loire et le Chœur d’Angers Nantes Opéra (du 13 au 24 mai à Nantes, les 10 et 12 juin à Angers).

Une version « de poche » pour 9 chanteurs, avec réduction de la partie orchestrale pour 12 instrumentistes (réalisée par les soins de l’excellent Thibault Perrine) a également été prévue. Elle sera étrennée le 31 mai au Perreux-sur-Marne, avant de tenir l’affiche au théâtre de l’Athénée (du 19 au 29 juin), dans le cadre du 6ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris. Avec une telle actualité, la présence d’un document relatif à Messager dans les Archives du Siècle Romantique s'imposait ; en l’occurrence la notice biographique que le compositeur rédigea en 1908 à la demande de la revue Musica. Un an auparavant The Little Michus avaient été créées à Broadway sous la baguette de leur illustre auteur.

Alain Cochard
 

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Quelques portraits de Messager faits à des époques différentes de sa vie © DR

André Messager par ... André Messager
Article paru dans Musica (n° 72, septembre 1908)

Les Grecs avaient inscrit sur le temple de Delphes : « Connais-toi toi même », proposant l'observance de cette maxime comme la plus haute perfection de la sagesse humaine. Selon ce précepte, nous avons demandé à André Messager de bien vouloir dire lui-même à nos lecteurs ce qu'il retient des jours qu'il a vécus. Voici la réponse dont il a bien voulu faire l'honneur à notre rédacteur en chef.

Vous me demandez quelques notes biographiques pour Musica ? Les voici, aussi brèves que possible.
Je suis né à Montluçon (Allier) le 30 décembre 1853, et, aussi loin que je puisse me rappeler, je me vois juché sur un tabouret de piano et avalant avec avidité la plus exécrable musique à la mode dans ce temps-là. Mes parents trouvaient cela charmant, jusqu'au jour où je leur déclarai que je désirais devenir compositeur et faire de la musique ma carrière. Mon père, spécialement, ne pouvait admettre qu'un fils de fonctionnaire (il l'était, hélas !) pût songer à exercer un pareil métier. Le sort se chargea d'arranger tout cela en enlevant, dans une tempête de Bourse, jusqu'au dernier centime de ce que nous possédions. C'est alors que j'entrai à l'École Niedermeyer, dirigée alors, comme elle l'est encore, par Gustave Lefèvre, le maître le plus affectueusement dévoué à ses élèves que j'aie jamais rencontré et où je fis complètement mes études musicales.
Eugène Gigout fut mon professeur d'harmonie et de contrepoint, Adam Laussel mon professeur de piano et Clément Loret mon professeur d'orgue. Je quittai l'École en 1874 pour remplir les fonctions d'organiste du chœur à l'église Saint-Sulpice où je restai six ans. Pendant cette période, je fis mes débuts comme compositeur, d'abord avec une Symphonie en quatre parties, couronnée par la Société des compositeurs et exécutée aux Concerts-Colonne, et quelque temps après avec un ballet joué aux Folies-Bergère (rares étaient les débouchés en ce temps-là !) et intitulé naïvement Fleur d'oranger. Le succès de ce ballet, joué à peu près 200 fois, m'encouragea dans cette voie, et Les Vins de France et Mignons et Vilains suivirent d'assez près ma première tentative.

© Musica (sept. 1908)

Les élèves de l'Ecole Niedermeyer ( Messager est au second rang, premier à gauche, accoudé) © Musica (sept. 1908)

En 1880, je trouvai l'occasion, tout à fait par hasard, de faire mes débuts comme chef d'orchestre, en acceptant un engagement pour inaugurer l'Éden-Théâtre de Bruxelles, où je restai un an, composant encore deux nouveaux ballets. De retour à Paris, encore une fois le hasard (qui a joué un rôle prépondérant dans mon existence) me mit à même d'aborder le théâtre lyrique. Cette fois-ci, c'était un triste hasard, la mort de Firmin Bernicat qui laissait inachevée la partition de François les Bas bleus. L'éditeur de Bernicat, qui était aussi le mien, W. Enoch, voulut bien me confier cet ouvrage à terminer, et le succès répondit à sa confiance.

Puis vinrent La Fauvette du Temple (1884), début de H. Micheau (actuellement directeur des Nouveautés) dans la direction théâtrale ; La Béarnaise (également en 1884) aux Bouffes, et enfin Le Bourgeois de Calais (1885) aux Folies-Dramatiques, dont l'insuccès termina la première série de mes productions dramatiques. Un jour de cette année 1885, je reçus la lettre suivante : « Mon cher ami, j'ai profité de l'effusion qui suit une bonne première pour demander à Vaucorbeil de vous commander un ballet. Allez donc le trouver ; il vous attend demain chez lui, rue de Miromesnil ». Cette lettre était signée Saint-Saëns. [Note de la rédaction de Musica : D'une lettre adressée par l'illustre maître Camille Saint-Saëns à notre rédacteur en chef, M. Georges Pioch, nous extrayons ces lignes : « Si vous voulez de l'inédit sur Messager, mon cher ami, apprenez qu’il a collaboré à Phryné. Ce petit ouvrage a été écrit très rapidement ; le temps pressait ; et Messager m'a rendu l'inappréciable service de mettre sa plume élégante à ma disposition, et d'écrire l'orchestration du premier acte pendant que j'écrivais celle du second... »]

© Musica (sept. 1908)

Il avait eu la bonté de me donner quelques leçons de piano et de fugue à ma sortie de l'École Niedermeyer, s'était intéressé à moi et me donnait, de la manière la plus délicate, une preuve de la générosité de son cœur et de la sollicitude qu'il a su toujours et en toute occasion montrer pour les jeunes. Je ne saurais trop lui en exprimer ma reconnaissance.
Cette visite, c'était les portes de l'Opéra qui s'ouvraient devant moi. Vaucorbeil me commanda en effet le ballet des Deux Pigeons, qui ne fut cependant représenté que sous la direction Ritt et Gailhard (octobre 1886), Vaucorbeil étant mort quelques mois auparavant.

À la suite des Deux Pigeons et malgré le succès de cet ouvrage, je fus presque deux ans sans pouvoir trouver un librettiste qui voulût me confier un livret. Je ne perdis rien pour attendre, car Catulle Mendès voulut bien écrire pour moi ce bijou de poésie qui s'appelle Isoline, représenté le 26 décembre 1888 à la Renaissance.
Puis vint Le Mari de la Reine (1890) qui passa très inaperçu aux Bouffes, puis quelques mois plus tard, la même année, La Basoche à l'Opéra-Comique. Ensuite Scaramouche, ballet-pantomime représenté pour l'inauguration du Nouveau-Théâtre, Miss Dollar (1893) au même théâtre, La Fiancée en loterie aux Folies-Dramatiques (1897) et, presque en même temps, Le Chevalier d'Harmental à l'Opéra-Comique.

© Musica (sept. 1908)

André Messager, portrait-charge par Gir © Musica (sept. 1908)

Ce dernier ouvrage, auquel j'avais travaillé longuement, l'ayant commencé trois ans auparavant, tomba lamentablement, et sa chute me fut d'autant plus pénible que j'y attachais une grande importance et pensais avoir donné là toute la mesure de ce que je pouvais faire. J'étais tellement découragé par cet insuccès que je ne voulais plus écrire du tout et tentai de me retirer en Angleterre, où j'avais fait représenter, en 1894, Mirette, opéra-comique écrit, pour le Savoy-Theatre de Londres, en collaboration avec ma femme, alors au sommet de sa réputation comme compositeur de lieder. C'est là que je reçus, un beau jour, un rouleau flairant le manuscrit et que je mis de côté sans vouloir l'ouvrir tout d'abord. C'était le livret des P'tites Michu. La gaieté du sujet me séduisit et, renonçant à mes idées noires, je me mis à écrire avec un tel entrain qu'en trois mois l'ouvrage était terminé et joué la même année (1898) aux Bouffes avec un énorme succès. J'ai su depuis que ce livret avait été refusé par deux ou trois compositeurs ! Véronique (1899) lui succéda au même théâtre, puis les Dragons de l'Impératrice aux Variétés (1905), et enfin Fortunio à l'Opéra-Comique (1907). Quand j'aurai noté en passant Le Chevalier aux fleurs, grand ballet écrit en collaboration avec Raoul Pugno pour l'inauguration du Théâtre Marigny, et la musique de scène et ballet en collaboration avec Xavier Leroux pour La Montagne enchantée, féerie jouée à la Porte-Saint-Martin, je crois que j'aurai épuisé le catalogue de mes ouvrages.

Lorsque M. Albert Carré fut nommé directeur de l'Opéra-Comique, il me demanda d'y remplir les fonctions de directeur de la musique, fonctions que j'alternai avec celles de directeur de l'Opéra de Covent-Garden de Londres, de 1901 à 1907. Enfin j'étais nommé directeur de l'Opéra le 26 janvier de l'année dernière avec M. Broussan, et c'est maintenant mon tour de jouer les ouvrages des autres compositeurs auxquels je désire ouvrir aussi grandes que possible les portes du beau théâtre dont la direction m'a été confiée.
J'espère, mon cher Pioch, n'avoir pas trop abusé de vous et des lecteurs de Musica.

André Messager

© DR

 

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(1) Christophe Mirambeau : « André Messager, le passeur du siècle » ( Acte Sud/ Palazzetto Bru Zane, 505 p., 13, 50 €)

André Messager : Les P’tites Michu
13, 15, 17 23 & 24 mai 2018
Nantes – Théâtre Graslin
www.angers-nantes-opera.com/michu.html

31 mai 2018 (version pour 12 instr.)
Le Perreux-sur-Marne – Centre des bords de Marne
www.cdbm.org

10 & 12 juin 2018
Angers – Grand Théâtre
www.angers-nantes-opera.com/michu.html

19, 20, 22, 24, 26, 27 & 28 juin 2018
Paris – Athénée Théâtre Louis-Jouvet
www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/les_p_tites_michu.htm

Photo © Musica (sept. 1908)

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