Journal
Musique et Jeune Public (9) - Le Monstre du labyrinthe à la Philharmonie de Paris : l’union fait la force
C’est en 2014 que l’Anglais Jonathan Dove a écrit Le Monstre du Labyrinthe, partition inspirée par le mythe du Minotaure dont Alistair Middelton a signé le livret. Commande du Berliner Philharmoniker, du London Symphony Orchestra et du Festival d’Aix-en-Provence( où la première s’est tenue le 8 juillet 2015, sous la direction de Sir Simon Rattle) (1), l’ouvrage est conçu pour trois solistes, récitant, chœur d’amateurs (adultes et enfants) et orchestre. Il est à l’affiche de la Philharmonie de Paris ce 28 juin.
Jonathan Dove © Andrew Palmer
L’histoire, une relecture de la mythologie grecque, met en scène un groupe de jeunes adolescents, « les Sacrifiés », donnés en pâture au Minotaure – selon la volonté du cruel roi de Crète Minos, vainqueur des Athéniens – et que Thésée décide de sauver. En écho aux actuelles questions migratoires, à la fermeture des frontières, « l’œuvre replace, selon la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole, un mythe ancien dans une problématique contemporaine.»
Si le Monstre du labyrinthe a été écrit en anglais, il est repris, pour chacune des différentes productions dans la langue du pays – après Aix, Berlin, Lisbonne, Lille et Montpellier, Paris l’accueille bientôt donc (l’adaptation française est signée Alain Perroux). La Philharmonie de Paris a fait appel à trois chœurs de jeunes parisiens qui travaillent hors temps scolaire (les Polysons que dirige Elisabeth Trigo, le chœur Ado dièse de Claire Dagnicourt et celui du conservatoire du 18ème Ardt de Gwenaelle Lemaire). Le chœur d’adultes est pour sa part lui formé de chanteurs amateurs issus de différents ensembles de Seine-Saint-Denis.
Cette production – parfait exemple de community project – avait cependant de quoi effrayer les équipes de la Philharmonie de Paris pour qui c’est un investissement important et inhabituel puisque l’institution de La Villette ne produit pas d’opéra. « Marie-Hélène Serra, directrice du département éducation, avait vu la création à Aix et était enthousiaste, Emmanuel Hondré, directeur des concerts et spectacles, a découvert l’ouvrage à Lille, et ils ont pensé que cette production avait toute sa place à la Philharmonie. Au final, c’est une décision collégiale, qui mobilise les équipes pédagogiques, techniques et de production », explique Julie David, responsable des concerts éducatifs et participatifs qui pilote avec enthousiasme le projet. « L’occasion était trop belle ! »
Rassembler tout ce monde n’a pas été si simple : le calendrier des répétitions était très contraignant ; il fallait privilégier la proximité pour les déplacements et trouver des chefs de chœurs ayant un certain niveau d’exigence avec leur formation. « Nous sommes vraiment ravis, poursuit Julie David, il y a eu une vraie surprise, les chanteurs ne se connaissaient pas ; ils partagent une vraie aventure collective et intergénérationnelle, ce qui rend cette expérience très forte. »
Tâche délicate que de parvenir à un son homogène à partir de la réunion d’ensembles vocaux très divers. Le chef de chœur du projet, Frédéric Pineau, familier des actions de la Philharmonie, considère que la réussite tient à la partition de Jonathan Dove : « l’homogénéité musicale s’obtient plus facilement que dans d’autres œuvres : on a globalement du deux voix, c’est en français, les musiques se retiennent bien, sont très caractérisées. La difficulté tient au fait qu’il n’y a pas de chœur constitué, sauf pour les enfants. Ce sont des inscriptions individuelles, les temps de répétition sont assez courts, mais justement, nous sommes entrés assez vite dans la mise en scène, et pour les chanteurs, qui n’ont pas l’habitude de bouger, cela a donné la possibilité de se mettre tout de suite dans la position finale. C’est ce qui fait la richesse d’un tel projet ».
© Ugo Ponte
Dans la tradition d’un Britten, Jonathan Dove, qui sait écrire pour tous les âges, a composé une musique attachante, avec de très beaux solos, une instrumentation riche en détails et imaginative que serviront les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris placé sous la direction du Français Quentin Hindley : chanter avec orchestre, c’est une première pour tous ces amateurs - et quel apprentissage !
Engagés dans des répétitions depuis le mois de janvier, les choristes progressent à vive allure : «Ils se lâchent de plus en plus, tout s’imbrique. Ils apprennent à oser », souligne le très optimiste Marc Salmon (l’un des trois assistants metteur en scène de Marie-Eve Signeyrole) présent dès l’origine du projet. Il aime travailler avec des amateurs : « Les amateurs n’ont pas les mauvaises habitudes des professionnels. Cela demande bien sûr plus de temps pour les mettre dans le jeu. On a d’ailleurs remarqué certaines constantes au fur et à mesure des différentes productions : les femmes sont plus spontanées sur scène que les hommes, qu’il faut pousser. Les enfants doivent eux apprendre à gérer l’énergie. Pour les adolescents, il faut du temps pour faire tomber les barrières inhérentes au rapport au corps, à l’exposition des sentiments, mais le résultat se révèle souvent spectaculaire. Avec cette masse de gens sur scène, on travaille par bloc, chacun doit se raconter son histoire, trouver en lui-même la motivation des choses.
Quentin Hindley © quentinhindley.com
Le spectacle est très puissant, « il prend aux tripes », avoue Frédéric Pineau, « sa force c’est le nombre », ajoute Marc Salmon et on les croit volontiers ; les répétitions en donnent déjà la mesure. La mise en scène est remontée à l’identique de celle de la création aixoise, hormis quelques ajustements liés au changement d’espace. Et elle fonctionne : le nombre devient une force, ce sont les corps qui tracent le décor, en particulier dans la magnifique scène du labyrinthe, avec l’aide de quelques accessoires bien choisis, à base de matériaux « pauvres », cartons, seaux en ferraille démultipliés, pour rappeler l’indigence de tous ces migrants dont il est questions en filigrane. L’originalité du spectacle tient également à l’utilisation de la vidéo (signée Matthieu Meurice) qui, en fond de scène, offre un autre regard sur les personnages et la topologie de la mise en scène.
Pour Elisabeth Trigo, fondatrice et chef des Polysons, cette production est une chance formidable pour les enfants, elle y a adhéré tout de suite après avoir découvert le thème et lu la partition : « Cela leur permet de participer à un projet extraordinaire dans une salle mythique avec de vrais artistes professionnels qui vont leur apporter ce que moi je ne sais pas faire. Je sais les faire chanter, découvrir de très beaux programmes, mais je n’ai pas les moyens d’une vraie mise en scène. Je savais que cela les ferait progresser énormément. Une telle expérience a des répercussions sur leur vie et leur évolution. »
Dominique Boutel
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/le-monstre-du-labyrinthe-au-festival-daix-captivant-compte-rendu
J. Dove : Le Monstre du labyrinthe
28 juin 2018 – 19h
Paris - Philharmonie de Paris (Grand Salle)
https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-en-famille/18119-le-monstre-du-labyrinthe?date=1530205200
Et pour ceux qui ne pourront pas aller à la Philharmonie : https://www.youtube.com/watch?v=GGMFmVsNCX8
(prochaines reprises du Monstre du labyrinthe à Wupperthal, puis à Amsterdam)
Photo © Ugo Ponte
Derniers articles
-
26 Novembre 2024Récital autour de Harriet Backer à l’Auditorium du musée d’Orsay – Solveig, forcément – Compte-renduLaurent BURY
-
26 Novembre 2024Alain COCHARD
-
26 Novembre 2024Alain COCHARD