Journal
Rigoletto de Verdi au Festival de Verbier – Irrésistible ardeur juvénile – Compte-rendu
On a souvent admiré l’extrême qualité de ces exécutions en concert de quelques chefs-d’œuvre lyriques, avec un soupçon de mise en espace, dont le Festival de Verbier s’est fait une spécialité, puisqu’elles sont présentées par le Verbier Festival Junior Orchestra et les chanteurs de l’Académie. Toujours un moment d’engagement intense, avec des musiciens et chefs survoltés, car si les concerts symphoniques y portent parfois la marque du travail et du chemin à prendre, pour les œuvres lyriques, l’hésitation n’est plus permise et il faut jouer le tout pour le tout.
Stanislav Kochanovsky © Aline Paley
Ce fut le cas avec ce cyclonique Rigoletto, enlevé à un train d’enfer par le brillant chef russe Stanislav Kochanovsky, et porté par les tous jeunes musiciens du Junior Orchestra avec une vaillance qui faisait passer au second plan les quelques imperfections de leur temporaire formation. Déchaînée, la musique de Verdi irradiait de sa pulsion dynamique et dramatique folle, pour une fois respectée, alors que les interprétations plus traditionnelles des grandes maisons d’opéra s’emploient souvent à une traduction plus analytique et plus modulée de l’affreuse histoire empruntée par Verdi au Roi s’amuse de Hugo.
© Aline Paley
Le plateau, un peu moins juvénile mais composé de chanteurs au tout début de leur carrière, n’offrait aucune faille réelle, sinon la diction douteuse du baryton Leonardo Lee, porteur du rôle-titre. Des faiblesses dans ses aigus, notamment dans son premier duo avec Gilda, une voix qui se fatigue vite et en paraît moins juste, des limites sensibles, donc pour ce rôle écrasant, mais une présence certaine et un jeu de scène prenant. Des manques qui n’ont heureusement pas réduit à néant la richesse du personnage. Face à ce bouffon habilement boiteux, un plateau d’une parfaite homogénéité, dominé par la délicieuse Gilda d’Alexandra Nowakowski, laquelle, au contraire de son partenaire, libérait au fur et à mesure une voix qui allait s’arrondissant, s’amplifiant. Fine, fraîche, pure comme l’ange du ciel que chante le duc, la jeune femme n’a sans doute pas une voix d’une très grande puissance, mais sa clarté d’émission et sa musicalité, son jeu délicat, sa classe ont séduit. Aucune réserve non plus à formuler à l’endroit d’Andrea Agudelo, duc de Mantoue à la présence peu tapageuse mais à la voix puissante et richement timbrée, sans le moindre raté dans les airs de bravoure célébrissimes qui lui sont confiés. Joli mezzo fruité de Svetlana Kapicheva en Maddalena, superbe basse de Sava Vémic en Sparafucile, forte présence de Christian Adolph en Monterone.
Et comme à l’accoutumée pour ce genre de représentation une utilisation fine et intelligente du minuscule espace imparti aux chanteurs, coincés devant l’orchestre, qui accentue les axes psychologiques sans les brouiller par des décors parfois intempestifs. Une petite erreur cependant : lorsque Gilda apparaît à la fin, mourante, pourquoi ne pas l’avoir au moins enveloppée d’une mante noire qui aurait mieux évoqué son assassinat, au lieu de la laisser dans sa jolie robe bleue pailletée. Simple artifice de mise en scène facile dont le metteur en espace Tim Carroll aurait pu jouer sans entacher le dépouillement de sa vision. Mais le grand frisson verdien était là et bien là, pour ce Rigoletto déchirant, comme il se doit de l’être.
Jacqueline Thuilleux
Verdi : Rigoletto (version mise en espace) - Festival de Verbier, Salle des Combins, le 5 août 2018.
Photo © Aline Paley
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