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18e Biennale de la danse à Lyon - Etat d’alerte – Compte-rendu

Ce pléthorique festival lyonnais, que dirige la dynamique chorégraphe Dominique Hervieu depuis 2011, c’est décidément le grand Sésame sur le monde inconnu, branché ou débranché, qu’on réunit hasardeusement sous le vocable danse, pour le pire ou le meilleur, voire le seul agrément. Horizons contemporains qui font dire à ce mode d’expression, tout et n’importe quoi, mais suscitent incontestablement un enthousiasme et une curiosité gratifiants, surtout chez un public jeune, que les grandes institutions ne mobilisent généralement pas, en raison notamment du prix des places.
 Ici l’on défile dans la rue en gigotant, on se rencontre, on discute avec les artistes, et on va d’univers en  univers, en ayant l’impression d’un grand jeu, le mot de « création » (27  cette session) apparaissant comme le summum du bonheur, symbole d’une mission accomplie, quelle que soit la teneur de la dite création. Il y eut des saisons axées sur tel ou type de danse, telle ou telle sphère, aujourd’hui c’est sur la technologie et les moyens modernes que se focalise l’exploration du nouveau monde chorégraphique. De grands noms émergent évidemment, Yohann Bourgeois, Saburo Teshigawara, Josef Nadj, Kader Attou, les provocateurs purs tels Jérome Bel et les vrais grands créateurs tels Angelin Preljocaj, dont la création Gravité est attendue avec impatience. Lui qui a tant de choses à dire et les dit tellement bien.

Sur la ligne de crête (M. Marin) © Biennale de la danse de Lyon 2018

Choc cependant et immense déception avec Sur la ligne de crête, la création de Maguy Marin, dont les parisiens pourront également se régaler puisque le Théâtre de la Ville l’a invitée le mois prochain au théâtre des Abbesses. Moment de vie intéressant à  raconter : les gens – vous, moi, les lyonnais – sont dans l’autobus, ils rentrent de leur journée de travail, ils sont en baskets, ils portent des dossiers, des paquets, ils ont l’oreille soudée à leur téléphone. Mais ils sont contents, les gens, car ils vont à un spectacle. Et là, dans le Petit Théâtre de Villeurbanne, le plus horrible vacarme les accueille : comme un bruit de pilon de salle des machines ou de photocopieuse en folie, le tout magnifié de façon à ce que ce soit insupportable. On attend, car généralement dans les créations contemporaines, au vacarme succède un air de Bach, puis un lamento de Monteverdi, puis des mots psalmodiés en anglais ou en patagon, genre Gertrude Stein.
 Mais non, la machine cogne, et cogne toujours. Sur scène, les gens sont en baskets, ils portent des dossiers, des paquets, ils ont l’oreille soudée à leur téléphone et ils se croisent en un mouvement incessant en posant tout cela dans leur box de bureau aux parois transparentes. Ils trimballent et accumulent dessus, paquets, lampadaires, plantes, bouteilles, chaussures, tout et n’importe quoi. Par moments, ils ne parviennent pas à se laisser passer, ou ils sont pris de secousses. Arrive aussi, pour une touche de grâce fraîche, un portrait de Marx (pas Brother). Et c’est tout.
On a compris qu’il  s’agissait d’un grand cri de désespoir contre la société consumériste. On l’avait déjà remarqué par nous-mêmes dans la vie de tous les jours, et pour faire face à cette existence mécanisée et vide de sens, on l’admet, on aimerait une vision poétique, ou chorégraphique, ou des indices de solution, un envol possible, ou encore un enfer façon Jérôme Bosch (ou Bel). En fait, il n’y a rien, juste des tas. Quand on veut être rebelle, il ne suffit pas de lever le poing, il faut aussi une parcelle de vouloir, d’imagination ! En partant on a constaté, hélas trop tard, que des bouchons d’oreille étaient à la disposition des spectateurs. Une paire de lunettes noires aurait aussi été la bienvenue.

© Biennal de la danse de Lyon 2018

Vertikal (M. Marzouki) © Biennale de la danse de Lyon
 
Moment de délivrance le lendemain avec la création de Vertikal, de Mourad Merzouki (photo), 45 ans, enfant chéri des lyonnais et de beaucoup d’autres avec ses fabuleuses déambulations nées du hip hop et proches de l’univers circassien, ainsi que de sa pratique des arts martiaux. La vie n’a pas dû être toujours facile pour ce natif de Lyon, qui est parvenu en 2009 à devenir directeur du CCN de Créteil et du Val-de-Marne, mais il a su développer le meilleur d’une nature positive et d’un corps assurément doué.
Avec quelle dose de volonté, de courage, on l’imagine. Quant au talent, il est éblouissant. Non que son travail soit porteur d’un quelconque message spirituel ou social, mais s’il ne prétend pas à avoir de leçon intellectuelle à délivrer, lui sait à merveille développer sa propre recherche, axée sur le mouvement pur et ses infinies possibilités : les 10 danseurs, accrochés à des filins pour certains, arpentant aussi bien les parois verticales que la scène horizontale, donnent le vertige avec leurs changements d’orientations, leurs tourbillons, leurs portés qui s’achèvent en envols vers le plafond, grâce aux harnais, leur élasticité qui les rapproche du plaisir des trampolines.
Portés par une irrésistible joie de vivre, de bouger, de se balancer, tous expriment le bonheur le plus pur du mouvement partagé et le public, qui n’a pas à se poser beaucoup de questions, se laisse enivrer par cette jungle où volent allègrement des animaux appelés hommes. Le tout dans une belle fusion de musique électronique et de cordes signée Armand Amar (après le pilon de la veille, on dirait du Mozart). Que d’air pur que cet aérien Vertikal ! Divertissement, certes, mais combien riche.
 
Jacqueline Thuilleux 

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Villeurbanne TNP-Petit Théâtre : Ligne de crête de Maguy Marin, 13 septembre 2018 (repris du 26 septembre au 6 octobre, Théâtre des Abbesses, www.theatredelaville-paris.com ) / Maison de la Danse, Lyon, Maison de la Danse : Vertikal de Mourad Merzouki. 14 septembre 2018. 18e Biennale de la danse de Lyon, jusqu’au 30 septembre 2018 / www.biennaledeladanse.com  
 
Photo Mourad Merzouki © ccncreteil

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