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Sambasô, danse divine au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) – Quête des origines
Cette année – qui marque le 150e anniversaire du début de l’ère Meiji – baptisée Japonismes 2018 ; est étourdissante dans sa succession de spectacles et d’expositions qui rappelleront aux Français que dès la fin du XIXe siècle, leurs artistes, Monet et Debussy en tête, furent fascinés par l’art japonais. Le roman d’amour ne faisait que commencer, exalté au XXe siècle par Boulez, ébloui par le raffinement du gagaku dont la complexité terrifie le mélomane moyen, et dans la danse par des créateurs tels que Béjart, Neumeier et Kylián, qui chacun firent de splendides cadeaux au Ballet de Tokyo (le Sacre du Printemps de Béjart notamment, si peu dansé dans le monde), ou s’inspirèrent de légendes comme le Kaguyahimé de Kylián.
Sambasô (Mansaku Nomura) © Odawara Art Foundation
Avec cette ouverture du ballet japonais aux normes classiques occidentales, allait se faire jour une prodigieuse ascension de jeunes danseurs dévorant les premières places dans les concours internationaux et les grandes troupes, de l’Hitomi Asakawa qui fut la Juliette de Béjart avec Jorge Donn, à Mimoza Koike, atout majeur aujourd’hui des Ballets de Monte Carlo.
Mais ce n’est pas de cette fusion bien connue que va aujourd’hui se nourrir la pléthorique galerie proposée par les Japonismes 2018 : les grandes institutions, avant-gardistes ou patrimoniales, vont au contraire nous aider à pénétrer dans le monde obscur et incompréhensible pour la sensibilité occidentale des formes les plus sacramentelles de la musique, et du théâtre dansé japonais : les mots se succèdent en catapulte, qui impressionnent de leur message étrange: du Gagaku Impérial, jadis si attaché à la cour qu’il n’en sortait qu’une fois l’an pour donner un concert public - sur lequel la Philharmonie a ouvert en majesté sa saison japonaise, et sa 1ère Biennale Pierre Boulez - aux tambours Taiko le 14 octobre, du Buyō, la forme la plus classique de danse, du Nô majestueux et du Kyōgen plus léger, à la musique de Joe Hisaishi, le fidèle comparse de Miyazaki, en concert les 9 et 10 février, toujours à la Philharmonie.
Le terrible butoh est là, lui aussi, cette forme dure de résistance à la culture américaine, danse des ténèbres initiée par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno, en réponse aux chocs d’Hiroshima et Nagasaki, et soutenue par Mishima. Le 29 avril 2019 au TCE, on reverra le fameux groupe Sankai Juku, créé en 1975 par Ushio Amagatsu dans le prolongement de ce mouvement : spectralement poudré de blanc, comme enfoui dans un linceul, le groupe montrera sa nouvelle création toujours signée de son fondateur, dans un paroxysme de concentration, et d’assimilation au concept proposé et figuré. Un mode de fonctionnement qui fascine les danseurs classiques français et dont le populaire et félin Saburo Teshigawara, marqué aussi par la patte du style Graham, est un lointain parent.
Sambasô (Mansaku Nomura) © Odawara Art Foundation
Quant au Théâtre de la Ville, il a lui choisi un singulier Focus qui ajoute à cette série de modes d’expression qui nous fascinent et nous dépassent à la fois, avec un rappel inaccoutumé d’une forme de théâtre qui précéda le Nô et dont les Japonais, même les plus cultivés, n’ont qu’une vague idée : mélange de regard contemporain et de quête des origines, Sambasô, danse divine, (en fait prière pour une récolte abondante) ramène aux racines d’un mythe essentiel, celle de la belle Amaterasu, déesse de la lumière, revenant au jour au son des tambours après une longue bouderie qui avait plongé le monde dans la nuit. Alors que le Nô, d’influence chinoise probablement, en raison des nombreux bonzes qui voyageaient alors au Japon, et signifiant à ses débuts danse des rizières artistique, se faisait de plus aristocratique, au point que les Shoguns eux-mêmes y participèrent parfois, le Kyôgen (paroles folles en japonais), auquel le spectacle emprunte également avec le joli conte Tsukimizatô, l’aveugle qui admire la lune, montre un aspect plus drolatique, parfois bouffe, en contrepoint de la noblesse des drames sacrés. Il a appartenu à Hiroshi Sugimoto, sculpteur, photographe et vidéaste majeur du Japon contemporain, de revisiter ces styles de sa façon tout à fait libre, dont on pourra juger également dans les saisons à venir puisqu’il accompagnera un projet de danse contemporaine à l’Opéra de Paris. Tandis que trois générations d’acteurs issus de la même illustre famille remontant au XVe siècle, les Nomura, père (Mansaku, « trésor national vivant » du Japon), fils et petit-fils, assureront au spectacle son authenticité.
A ce Focus Japon, ne pouvait manquer, tant on sait la vocation avant-gardiste du Théâtre de la Ville, le nouveau regard porté sur le travail de Kazuo Ohno (1906-2010, autre mythe de la danse contemporaine puisqu’il a accompagné tout le 20e siècle avec ce qu’on a pu qualifier de danse de l’âme. Takao Kawaguchi, qui se qualifie de performeur plutôt que de danseur, s’est lancé dans l’exploration de ce monument autour de trois pièces de Ohno, notamment son célèbre Hommage à la Argentina, qu’il retrace à sa façon, en s’effaçant lui-même, affirme-t-il, mais « il restera toujours un petit morceau que je ne parviendrai jamais à effacer : une petite clarté derrière le noir… et que je peux appeler mon essence ». On le voit, rien de facile, ni de gratuit dans ces formes patrimoniales ou novatrices, qui ont toutes pour point commun de nous ouvrir des horizons insensés, mais en étant très peu sûrs de les atteindre. Insaisissable Japon ...
Jacqueline Thuilleux
Sambasô, danse divine & Tsukimizatô – Paris, Espace Cardin ; les 19, 20, 21, 22, 24 & 25 septembre 2018 // About Kazuo Ohno, du 2 au 5 octobre 2018 // www.theatredelaville-paris.com
Japonismes 2018 : japonismes.org/fr/
Photo : Sambasô (Mansai Nomura) © Odawara Art Foundation (5)
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