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Nicolas Bucher aux “mercredis de l’orgue” de Radio France – Le « baroque » français en ouverture de saison

Huit programmes dédiés à l’orgue seul ou accompagné (1) ponctuent la saison 2018-2019 des concerts de Radio France, en plus de ceux où l’orgue apportera son soutien à l’orchestre et aux voix. Il y avait une certaine audace, indispensable pour renouveler et élargir la perception de cet instrument protéiforme entre tous, mais aussi un risque manifeste à ouvrir cette saison avec un concert de musique « baroque » à l’orgue Grenzing de l’Auditorium, dont on sait l’esthétique principalement symphonique et contemporaine. La prise de risque en valait la chandelle, malgré les écueils inhérents à la configuration, et ne pouvait que contribuer à valoriser les possibilités qu’offre un tel instrument.
 
Cette saison étant placée sous le signe de « la tradition des grandes transcriptions » – ou plus globalement de l’adaptation – le programme concocté par Nicolas Bucher (photo), naguère directeur de la Cité de la Voix à Vézelay et désormais directeur général du Centre de musique baroque de Versailles, ne pouvait que montrer l’exemple. Mais avec quand même, en introduction, de l’orgue pur : grand Dialogue de Louis Marchand (son Troisième Livre à lui seul), joué à la console mécanique, dans le soubassement de l’orgue, afin de bénéficier d’un toucher aussi proche que possible de celui des instruments classiques. Il fallut à l’auditeur un petit temps d’adaptation, la rondeur « orchestrale » des anches n’évoquant pas spontanément le grand chœur classique tel qu’on le connaît. Très vite, cependant, s’imposa la viabilité d’une telle restitution, en vérité nullement surprenante bien qu’en elle-même déjà presque transposition ou adaptation, ici instrumentale et non textuelle. Le dialogue y bénéficia de toutes les possibilités de plans sonores requises, cromorne et cornets suffisant à recréer mentalement les couleurs propres à ce répertoire.

L'orgue Grenzing de l'Auditorium de Radio France © Radio France / Christophe Abramowitz

Jouant pour le reste à la console mobile, sur le plateau, Nicolas Bucher avait convié Marianne Muller, viole de gambe, et la soprano Marion Tassou. Marianne Muller fit entendre le Prélude de la Première Suite du Premier Livre de Marin Marais et son Tombeau pour Monsieur de Sainte-Colombe, le jeu subtil de la musicienne ayant eu de prime abord un peu de mal à conquérir l’espace de l’Auditorium. Nul doute que le concert tel qu’il sera diffusé sur France Musique, le 26 octobre à 20 heures, atténuera cette difficulté de projection. Une seconde difficulté devait toutefois se faire jour quant à l’accord des instruments, la viole requérant pour s’exprimer librement un tempérament ancien quand l’orgue Grenzing se conforme au tempérament moderne. Ce fut d’une certaine manière l’accord des musiciens qui induisit celui des instruments.
 
La belle idée de Nicolas Bucher, dans des arrangements réalisés par les interprètes, fut de partager des pages d’orgue avec la voix ou la viole (accompagnées de l’orgue), ainsi dans les extraits du Premier Livre de Marchand : Plein jeu et Basse de trompette restèrent à l’orgue, la voix s’emparant du Récit (sur un choix de paroles « profanes » aussi peuplées d’« oyseaux » que l’Armide à venir de Lully), la viole faisant sienne l’altière Tierce en taille – genre introduit par Lebègue et trouvant, entre autres, son inspiration dans le répertoire de la viole de gambe. De même dans l’hymne Verbum supernum de Nicolas de Grigny, dont la bondissante Basse de trompette revint à la viole.
 
Marion Tassou fit entendre un attrayant Ave verum de Nicolas Lebègue (des Motets pour les principales fêtes de l’année), avec orgue et basse d’archet, puis ce fut justement la Passacaille d’Armide, arrangement ad hoc d’après la version clavecin de Danglebert, et les Récits qui s’ensuivent, naturellement confiés à la voix, l’orgue évoquant l’orchestre de Lully, la viole doublant la basse. Rameau et ses Indes galantes – en partie d’après les transcriptions pour orgue d’Yves Rechsteiner – refermaient ce programme original et audacieux, en termes de risques pris par les musiciens, quelque peu sur la corde raide dès lors qu’il exigeait une belle ouverture d’esprit de la part du public (ou de la critique) – manifestement convaincu et sous le charme : la formidable Ouverture, deux airs : Papillon inconstant et Viens, Hymen, deux pages instrumentales : Air vif pour Zéphyr et les fameux Tambourins, si délicieusement « simples » et pourtant à haut risque !, enfin la célébrissime Danse du Grand Calumet de la Paix, exécutée par les Sauvages, cette dernière mettant grandement à contribution nos trois musiciens. Une aventure à certains égards incommode, mais bel et bien couronnée de succès.
 
Michel Roubinet

Auditorium de Radio France, 3 octobre 2018
www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-de-musique-de-chambre/la-francaise
 
(1) www.maisondelaradio.fr/concerts-de-radio-france-saison-1819/orgue
 
Prochain mercredi de l’orgue à Radio France le 21 novembre : Paul Goussot (titulaire du Dom Bedos–Quoirin, grand instrument classique français, de Sainte Croix de Bordeaux, mais connaisseur aguerri du genre ciné-concert) improvisera sur Le Cuirassé Potemkine (1925), film de Sergueï Eisenstein.
www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-de-musique-de-chambre/le-cuirasse-potemkine

Photo © DR

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