Journal
D’Est en Ouest, de Melbourne à Vancouver (Josette Baïz/ Groupe Grenade) à Aix-en-Provence – Les jeunes dansent le monde – Compte-rendu
C’est une boule de feu que cette femme, capable de brasser tant d’énergies contradictoires, de mondes sociaux opposés, de styles de tous horizons pour en faire un manifeste d’amour au corps dansant et à ses pulsions libératrices, surtout quand c’est de la jeunesse que part sa démarche : ils sont donc 30, de 9 à 20 ans, et font partie de ce Groupe Grenade que Josette Baïz a créé en 1992 en allant à la rencontre d’enfants des quartiers nords de Marseille et d’Aix-en-Provence. En complément d’une Ecole et d’une Compagnie, Grenade, celle-ci composée de professionnels, et basées toutes deux à Aix.
Baïz, on s’en émerveille, est une battante, une passionnée, une généreuse : son énergie pour faire sortir les corps et les âmes de leur marasme est superbe, inépuisable au terme d’un parcours qui fut riche d’enseignements. De la danse contemporaine, elle a tout connu. Danseuse chez Jean-Claude Gallotta, elle a vécu la non-danse, la danse sur-écrite, la danse cérébrale, toutes formes qui tirent le corps vers autre chose que lui-même. Elle, c’est une vraie physique, portée par la magie de rythmes qui scandent le vie du monde depuis toujours et elle a l’art de ne pas faire de différence entre la vitalité africaine, cubaine, indienne et leurs avatars contemporains que sont le break dance ou le hip hop. Une même pulsion les porte.
© Cécile Martini
D’où ce désir de relier ces jeunes sans formation préalable, en naviguant avec leurs horaires contraignants d’écoliers et leur diversité géographique, pour les lancer dans une aventure rythmique de très haut niveau car pour ce spectacle, d’Est en Ouest, qui fut précédé de Guests en 2012, Josette Baïz a obtenu l’aide des plus grands noms. Qu’on en juge: enchaînés comme en un même récit gestuel, les noms de Vim Vandekeybus, de Crystal Pite, d’Akram Khan et d’autres tous aussi passionnants. Les meilleurs chorégraphes du moment donc, venus d’horizons qui justifient le titre du présent spectacle, lui ont d’ailleurs toujours offert leurs plus belles pièces, comme Lucinda Childs, ou Jean-Christophe Maillot, qui lui confia Vers un pays sage.
Le résultat, jouissif et troublant : certes il ne faut pas considérer cette succession de tableaux enlevés à un rythme infernal comme une création chorégraphique pure, mais plutôt comme un acte qui se veut salvateur, et ne pas le regarder de l’œil qu’on poserait sur quelque chef d’œuvre classique dégusté comme une friandise mais avec l’intérêt que l’on porte à tout ce qui est révélateur d’un temps. Frappant aux bonnes portes de la création contemporaine, Josette Baïz en retire une vision impressionnante, marquée par une incontestable violence, ce qui ne veut pas dire barbarie. C’est l’énergie qu’elle va faire exploser dans ces jeunes corps qui ne demandent que cela, en une sorte de transe parfaitement contrôlée, car si ce langage tout en puissance déchaînée est un mode d’expression qui rassemble, la discipline sous-jacente qui le maîtrise est aussi bien présente car sans elle, il n’y a pas de groupe viable.
© Cécile Martini
Subtile plus qu’il n’y paraît , donc, cette obsédante succession de battements de percussion, de musique rock ou métallique et de corps secoués en une sorte de transe, qui diffuse la vigueur animale des jeunes corps en pleine expansion et interroge aussi sur l’évolution de la danse contemporaine, laquelle, après nombre d’errements et de questionnements, semble aujourd’hui revenir à la source première de la danse, à savoir l’énergie : une énergie à cadrer, à maîtriser, à polir évidemment, mais à recevoir tout de même comme un choc révélateur. Au passage, on remarquera qu’il y a dans ce groupe, outre de toutes jeunes filles aussi sérieuses que des rats de l’Opéra lorsqu’elles ont fini de bondir, quelques individualités masculines de premier plan, qui devraient garder un œil sur la danse comme moyen d’expression définitif, car on y repère bien des dons. Mais le propos n’est pas ici de les nommer ! Rien d’étonnant à ce qu’avec cet engagement passionné Josette Baïz ait enfin obtenu d’Aix-en-Provence des locaux dignes de son entreprise, et que les tournées se fassent de plus en plus nombreuses.
Jacqueline Thuilleux
D’Est en Ouest - Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 4 novembre 2018 ; prochaine représentation le 14 décembre 2018 au Mans, Les Quinconces-L’espal : quinconces-espal.com/saison/dest-en-ouest-de-melbourne-a-vancouver. Tournées à suivre sur www.josette-baiz.com
Photo © Cécile Martini
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