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La Donna del lago (version de concert) à l'Opéra de Marseille – Fastes rossiniens – Compte-rendu
Merveilleuse artiste dont la carrière en constante progression ne cesse de nous surprendre, Karine Deshayes (photo) est aujourd'hui une Elena de rêve. Sa prestation toute en sérénité vocale, en tendre onctuosité et en souveraine virtuosité, supérieure à celle du Palais Garnier en 2010 où, faute d'un chef consciencieux elle ne s'était montrée qu'une ébouriffante technicienne, mécanique et sans âme, est d'un niveau exceptionnel. Par son rayonnement vocal, son goût infaillible, ce brasier vocal fièrement entretenu et cette déconcertante facilité, la cantatrice atteint des sommets dont il est probable qu'elle ne descendra pas de sitôt. La fraîcheur des « Mattutini albori » précède la ferveur du 1er duo « Cielo in qual estasi », tandis que le brio du trio « Io son la misera » annonce les incandescentes variations du rondo final « Tanti affetti ».
Son Rinaldo l'avait propulsé parmi les représentants de l’école des baryténors ; que dire de son spectaculaire Rodrigo ? Se jetant comme un lion dans l'arène, Enea Scala(1) nous a laissé sans voix après un air d'entrée dantesque « Eccomi a voi miei prodi » chanté avec l'assurance et la démesure des plus grands. Sa maîtrise de l'écriture rossinienne lui permet toutes les audaces, des figures de style attendues (écarts surhumains, projection fulgurantes du grave à l'aigu), aux viatiques essentiels au bel canto (ligne de chant parfaite, souffle inépuisable), qui le hissent lui aussi vers les cimes de cet Himalaya musical.
Moins expérimenté mais bien décidé à ne rien lâcher, Edgardo Rocha n'a bien sûr pas l'abattage de Rockwell Blake dont le souvenir reste indissociable au rôle de Giacomo V, mais le ténor uruguayen, découvert dans l’Otello de Rossini au Théâtre des Champs-Élysées en 2014, dispose d'un instrument déjà rompu aux arcanes belcantistes et dispense un chant soigné et finement ornementé grâce auquel il peut rivaliser avec ses collègues, notamment au second acte pendant la longue et si inventive altercation entre les trois personnages, Elena/Rodrigo/Giacomo.
Décevante la saison dernière dans le rôle inutile d'Ulrica à la Bastille, Varduhi Abrahamyan se révèle être une admirable contralto rossinienne. Son Malcom au chant puissamment architecturé – sur lequel plane l'ombre d'Ewa Podleś –, aux effets contrôlés jusque dans la moindre variation, qu'elle sait rendre très personnel, est en tout point passionnant.
Dans le rôle secondaire du père d'Elena, Douglas, Nicola Ulivieri est un luxe, la ravissante Hélène Carpentier lauréate de nombreux concours (elle a obtenu le Grand Prix du 3ème Concours "Voix Nouvelles" en février dernier) est une perle pour interpréter Albina, à Rémy Mathieu revenant les rôles de Serano et de Beltram.
Avec un sens de la narration impeccable, une lecture très pointue qui passe par une précision drastique de la mise en place orchestrale, José Miguel Pérez-Sierra est le chef idéal pour porter cet opera seria de la période napolitaine. Rigoureux sans être arbitraire, inspiré mais sans ostentation, il conduit ses troupes en généralissime pour obtenir d'elles le meilleur, qu'il s'agisse des solistes, des choristes ou des instrumentistes.
François Lesueur
Rossini : La Donna del lago – Marseille, Opéra, 10 novembre ; prochaines représentations les 3, 16 et 18 novembre 2018 // www.concertclassic.com/concert/la donna del lago
Photo © Christian Dresse
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