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Les Grands organistes du XXe siècle de Vincent Warnier et Renaud Machard (Buchet/Chastel) – Un ouvrage à remonter le temps – Compte rendu
Les Grands organistes du XXe siècle de Vincent Warnier et Renaud Machard (Buchet/Chastel) – Un ouvrage à remonter le temps – Compte rendu
Les Grands Organistes du XXe siècle : un ouvrage à remonter le temps, comme le veut la collection Les Grands Interprètes de Buchet/Chastel (1), présenté depuis la tribune par ses deux auteurs, Vincent Warnier et Renaud Machart, lors d’un concert de Vincent Warnier et Daniel Roth à Saint-Étienne-du-Mont – où depuis la grande époque des soirées en association avec le label Intrada l’offre de concerts s’est sensiblement réduite : la dernière occasion fut la fête des vingt ans de titulariat des actuels successeurs de Maurice Duruflé (2).
Vincent Warnier © M Rampont
Petit monde de l’orgue oblige, à peine le livre avait-il paru que les critiques fusaient (négatives s’entend), bien à tort (3). Il est vrai que parmi les quarante-et-un organistes évoqués, vingt-neuf sont français, ce que ne sous-entend pas l’intitulé général – mais l’école d’orgue française a dominé le XXe siècle… Toute collection s’accompagne de contraintes éditoriales, les choix qui en résultent faisant l’esprit même de l’ouvrage. Lequel traite de maints aspects de l’orgue, avec de facto un grand survol de l’évolution de la facture instrumentale au gré des modes et des esthétiques tranchées et parfois contradictoires que le XXe siècle a connues, sans négliger ni l’orgue de cinéma : Tommy Desserre au Gaumont Palace, ni l’orgue Hammond et le jazz : Double dames – Ethel Smith et Rhoda Scott, Double messieurs : Jimmy Smith et Lou Bennet, ni même l’orgue de Barbarie : Pierre Charial. Évidemment, il « manque » des noms ! Tout est choix, et l’équilibre trouvé est plutôt convaincant. Widor ouvre le ban, l’ouvrage s’arrêtant aux cinquantenaires d’aujourd’hui, les plus jeunes évoqués étant Olivier Latry et Thierry Escaich. Quant aux textes, de quelques pages pour chaque nom, ils relèvent nécessairement de l’évocation. Dire en peu de place l’essentiel d’un musicien, sa singularité, son rôle, sa postérité : tout un art, ici bien calibré et d’une lecture aussi agréable qu’instructive, souvent spirituelle et nullement académique, ne pouvant qu’inviter à en savoir davantage par soi-même (en commençant, pour qui dispose de la version numérique du livre, par cliquer sur les adresses Internet de type lien hypertexte).
Même pour les noms les plus connus chacun pourra glaner des informations, voire un regard plus acéré en raison même du format des textes. Le tourmenté Tournemire vaut le détour, Schweitzer, Walcha ou Heiller aussi, naturellement pour d’autres raisons, mais E. Power Biggs ou Virgil Fox aussi… Soit autant de portraits de famille dévoilant l’extrême diversité de ce si vaste petit monde. La cerise sur le gâteau, quand bien même tous n’y sont pas musicalement représentés, tient à la présence d’un CD comportant pas moins de 46 plages (presque cinq heures et demi de musique au format MP3), toutes strictement inédites et provenant du fonds inépuisable de l’INA. Cela commence avec Marcel Dupré à Vichy en 1943 pour finir avec Daniel Roth et George Baker au concours de Chartres, le premier l’ayant remporté (ex aequo avec Yves Devernay) lors de la toute première édition, en 1971, le second en 1974.
Le programme du concert fêtant la parution du livre répondait à sa manière à cette remontée du temps, du simple fait qu’il était donné sur l’un des plus beaux instruments d’esthétique néoclassique de France (1956), conçu par Duruflé. Très rare occasion d’entendre une musique presque de la même époque que le somptueux buffet de Jehan Buron (1631-1633, soit le plus ancien de Paris d’un seul tenant) : Vincent Warnier (pas vraiment le répertoire auquel on l’associe !) proposa des extraits du Gloria ainsi que l’Offertoire de la Messe des Paroisses, dans la mouvance de l’année François Couperin. L’auditeur se retrouva téléporté d’un bon demi-siècle en arrière, les transmissions électriques allant jusqu’à suggérer un toucher et une articulation encore très legato, non sans que l’interprète y mette une certaine malice pour mieux souligner le sens du voyage dans le temps interprétatif, sur fond de registrations vives et dynamiques (piquant dessus de chamade dans le grand chœur d’anches !), assez éloignées, cela va sans dire, de ce que l’on connaît aujourd’hui sur instruments anciens ou inspirés de l’ancien. Et pourtant, la musique vit, s’adapte sans peine et avec panache aux conditions néoclassiques de restitution – c’est d’ailleurs dans un tel contexte que bien des mélomanes découvrirent ce répertoire (même si tous les orgues néoclassiques ne valent pas celui-ci).
Petit monde de l’orgue oblige, à peine le livre avait-il paru que les critiques fusaient (négatives s’entend), bien à tort (3). Il est vrai que parmi les quarante-et-un organistes évoqués, vingt-neuf sont français, ce que ne sous-entend pas l’intitulé général – mais l’école d’orgue française a dominé le XXe siècle… Toute collection s’accompagne de contraintes éditoriales, les choix qui en résultent faisant l’esprit même de l’ouvrage. Lequel traite de maints aspects de l’orgue, avec de facto un grand survol de l’évolution de la facture instrumentale au gré des modes et des esthétiques tranchées et parfois contradictoires que le XXe siècle a connues, sans négliger ni l’orgue de cinéma : Tommy Desserre au Gaumont Palace, ni l’orgue Hammond et le jazz : Double dames – Ethel Smith et Rhoda Scott, Double messieurs : Jimmy Smith et Lou Bennet, ni même l’orgue de Barbarie : Pierre Charial. Évidemment, il « manque » des noms ! Tout est choix, et l’équilibre trouvé est plutôt convaincant. Widor ouvre le ban, l’ouvrage s’arrêtant aux cinquantenaires d’aujourd’hui, les plus jeunes évoqués étant Olivier Latry et Thierry Escaich. Quant aux textes, de quelques pages pour chaque nom, ils relèvent nécessairement de l’évocation. Dire en peu de place l’essentiel d’un musicien, sa singularité, son rôle, sa postérité : tout un art, ici bien calibré et d’une lecture aussi agréable qu’instructive, souvent spirituelle et nullement académique, ne pouvant qu’inviter à en savoir davantage par soi-même (en commençant, pour qui dispose de la version numérique du livre, par cliquer sur les adresses Internet de type lien hypertexte).
Même pour les noms les plus connus chacun pourra glaner des informations, voire un regard plus acéré en raison même du format des textes. Le tourmenté Tournemire vaut le détour, Schweitzer, Walcha ou Heiller aussi, naturellement pour d’autres raisons, mais E. Power Biggs ou Virgil Fox aussi… Soit autant de portraits de famille dévoilant l’extrême diversité de ce si vaste petit monde. La cerise sur le gâteau, quand bien même tous n’y sont pas musicalement représentés, tient à la présence d’un CD comportant pas moins de 46 plages (presque cinq heures et demi de musique au format MP3), toutes strictement inédites et provenant du fonds inépuisable de l’INA. Cela commence avec Marcel Dupré à Vichy en 1943 pour finir avec Daniel Roth et George Baker au concours de Chartres, le premier l’ayant remporté (ex aequo avec Yves Devernay) lors de la toute première édition, en 1971, le second en 1974.
Le programme du concert fêtant la parution du livre répondait à sa manière à cette remontée du temps, du simple fait qu’il était donné sur l’un des plus beaux instruments d’esthétique néoclassique de France (1956), conçu par Duruflé. Très rare occasion d’entendre une musique presque de la même époque que le somptueux buffet de Jehan Buron (1631-1633, soit le plus ancien de Paris d’un seul tenant) : Vincent Warnier (pas vraiment le répertoire auquel on l’associe !) proposa des extraits du Gloria ainsi que l’Offertoire de la Messe des Paroisses, dans la mouvance de l’année François Couperin. L’auditeur se retrouva téléporté d’un bon demi-siècle en arrière, les transmissions électriques allant jusqu’à suggérer un toucher et une articulation encore très legato, non sans que l’interprète y mette une certaine malice pour mieux souligner le sens du voyage dans le temps interprétatif, sur fond de registrations vives et dynamiques (piquant dessus de chamade dans le grand chœur d’anches !), assez éloignées, cela va sans dire, de ce que l’on connaît aujourd’hui sur instruments anciens ou inspirés de l’ancien. Et pourtant, la musique vit, s’adapte sans peine et avec panache aux conditions néoclassiques de restitution – c’est d’ailleurs dans un tel contexte que bien des mélomanes découvrirent ce répertoire (même si tous les orgues néoclassiques ne valent pas celui-ci).
Daniel Roth © DR
La seconde partie, Daniel Roth étant aux claviers, fut un hommage à l’autre grand versant du répertoire de l’orgue, germanique. Choral de Leipzig Schmücke dich, o liebe Seele BWV 654 de Bach, très allant et d’un rythme ardemment soutenu, dont le chant atemporel peut s’épanouir dans toutes les conditions dès lors que le musicien trouve via l’instrument l’équilibre requis, puis la grande et énergique, mais aussi poétique, Sonate n°3 en la mineur op. 23 d’August Gottfried Ritter (1811-1885), exact contemporain de Liszt (à qui l’œuvre est dédiée, 1855), à mi-chemin entre Mendelssohn et le grand Hongrois. Daniel Roth en a gravé sur son orgue de Saint-Sulpice une version d’anthologie (4) : où l’on put, sur la montagne Sainte-Geneviève, vérifier une fois encore comment un musicien s’entend à adapter une matière donnée en fonction de la nature de l’instrument joué. L’assise (jeux de fonds, bien sûr, mais les anches aussi) d’un orgue comme celui de Saint-Étienne-du-Mont ne saurait être tout simplement comparée à celle du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice – un autre monde sonore, dans lequel Ritter respire de manière certes différente mais tout aussi optimale. Du grand art.
Michel Roubinet
Paris, Saint-Étienne-du-Mont, 20 novembre 2018
La seconde partie, Daniel Roth étant aux claviers, fut un hommage à l’autre grand versant du répertoire de l’orgue, germanique. Choral de Leipzig Schmücke dich, o liebe Seele BWV 654 de Bach, très allant et d’un rythme ardemment soutenu, dont le chant atemporel peut s’épanouir dans toutes les conditions dès lors que le musicien trouve via l’instrument l’équilibre requis, puis la grande et énergique, mais aussi poétique, Sonate n°3 en la mineur op. 23 d’August Gottfried Ritter (1811-1885), exact contemporain de Liszt (à qui l’œuvre est dédiée, 1855), à mi-chemin entre Mendelssohn et le grand Hongrois. Daniel Roth en a gravé sur son orgue de Saint-Sulpice une version d’anthologie (4) : où l’on put, sur la montagne Sainte-Geneviève, vérifier une fois encore comment un musicien s’entend à adapter une matière donnée en fonction de la nature de l’instrument joué. L’assise (jeux de fonds, bien sûr, mais les anches aussi) d’un orgue comme celui de Saint-Étienne-du-Mont ne saurait être tout simplement comparée à celle du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice – un autre monde sonore, dans lequel Ritter respire de manière certes différente mais tout aussi optimale. Du grand art.
Michel Roubinet
Paris, Saint-Étienne-du-Mont, 20 novembre 2018
(1) Les Grands Organistes du XXe siècle - Buchet-Chastel 336 p. / 25€
www.buchetchastel.fr/libella.php?page=recherche_avancee&collection=3775
(2) www.concertclassic.com/article/la-tribune-des-durufle-fete-leurs-successeurs-thierry-escaich-et-vincent-warnier-vingt-ans
(3) Cas particulier : le jour même du concert, un mail circulaire de l’Association des Amis de Léonce de Saint-Martin, largement diffusé et prisant globalement l’ouvrage, s’indignait de lire sous la plume de Vincent Warnier une attaque en règle à l’encontre du successeur (et suppléant de longue date) de Louis Vierne à Notre-Dame, nommé au détriment de Maurice Duruflé – le clergé de Notre-Dame de l’époque (1937) l’avait voulu ainsi, dans un contexte humain apparemment compliqué. Pour tout dire, et avec l’aide du temps, on pensait et espérait que cette sombre et injuste animosité à l’égard de Saint-Martin, littéralement blacklisté par le monde de l’orgue français jusqu’à sa mort en 1954, finirait par s’estomper et ne plus faire polémique. Tel n’est manifestement pas le cas. Or si Saint-Martin compositeur n’est pas de la trempe d’un Duruflé (la postérité de l’œuvre de chacun le montre assurément), la personne de Saint-Martin, homme chaleureux et bienveillant (comme l’attestent les enregistrements réalisés par Pierre Baculard), n’en est pas moins des plus respectables. S’y ajoute l’art de l’improvisateur, flamboyant, mais aussi celui du transcripteur et de l’interprète, pionnier parmi les « modernes » dès le tournant des années 1930 (cf. Orgues et Organistes français du XXe siècle, EMI France, 2002), d’une qualité tout simplement irréfutable.
(4) + Liszt et Reubke, Aeolus (AE-10331), 2003 ; pour l’intégrale des quatre Sonates de Ritter : Ludger Lohmann, orgue Walcker (1844) de Schramberg, IFO Records (ORG 7207-2), 2003.
(2) www.concertclassic.com/article/la-tribune-des-durufle-fete-leurs-successeurs-thierry-escaich-et-vincent-warnier-vingt-ans
(3) Cas particulier : le jour même du concert, un mail circulaire de l’Association des Amis de Léonce de Saint-Martin, largement diffusé et prisant globalement l’ouvrage, s’indignait de lire sous la plume de Vincent Warnier une attaque en règle à l’encontre du successeur (et suppléant de longue date) de Louis Vierne à Notre-Dame, nommé au détriment de Maurice Duruflé – le clergé de Notre-Dame de l’époque (1937) l’avait voulu ainsi, dans un contexte humain apparemment compliqué. Pour tout dire, et avec l’aide du temps, on pensait et espérait que cette sombre et injuste animosité à l’égard de Saint-Martin, littéralement blacklisté par le monde de l’orgue français jusqu’à sa mort en 1954, finirait par s’estomper et ne plus faire polémique. Tel n’est manifestement pas le cas. Or si Saint-Martin compositeur n’est pas de la trempe d’un Duruflé (la postérité de l’œuvre de chacun le montre assurément), la personne de Saint-Martin, homme chaleureux et bienveillant (comme l’attestent les enregistrements réalisés par Pierre Baculard), n’en est pas moins des plus respectables. S’y ajoute l’art de l’improvisateur, flamboyant, mais aussi celui du transcripteur et de l’interprète, pionnier parmi les « modernes » dès le tournant des années 1930 (cf. Orgues et Organistes français du XXe siècle, EMI France, 2002), d’une qualité tout simplement irréfutable.
(4) + Liszt et Reubke, Aeolus (AE-10331), 2003 ; pour l’intégrale des quatre Sonates de Ritter : Ludger Lohmann, orgue Walcker (1844) de Schramberg, IFO Records (ORG 7207-2), 2003.
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