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La Ville Morte de Korngold selon Sandrine Anglade à l’Opéra de Limoges - Au cœur de l’orchestre – Compte-rendu
Choix original, S. Anglade prend le parti de situer l’action... au cœur de l’orchestre – qui symbolise Bruges et ses canaux, la vibration de l’eau, et le monde des morts –, les musiciens étant installés dans des fosses aménagées sur la scène et séparées par des allées sur lesquelles les protagonistes évoluent. La proposition ne relève en rien d’une mise en espace déguisée, mais témoigne en revanche d’une belle marque d’humilité face à la musique – et du défi que se lance la metteuse en scène ! Elle le relève avec un talent fou, envisageant l’ouvrage de Korngold comme « l’histoire d’un autre Orphée parti, comme lui, chercher sa bien aimée dans le monde des morts pour finalement la perdre une seconde fois. »
Pas de portrait de la défunte Marie chez Paul, une figurante (Cécile Fargues) le remplace sur le devant de la scène au commencement du 1er tableau et sera ensuite amenée à se déplacer. Beau moment que celui Marietta vient coller ses épaules contre les siennes ; la vivante et la morte entament une ronde qui suggère d’admirable façon le passage de la réalité au rêve chez Paul ...
Costumes réussis (signés Cindy Lombardi), belles et expressives lumières de Caty Olive : tout artifice est exclu d’un spectacle qui adhère continûment au mouvement intérieur de la musique. Mus par une même énergie, chanteurs et instrumentistes convient le spectateur à une troublante plongée entre réalité et rêve, entre vie et mort, avec une nudité, une variété, une force et une prégnance des images qui font de cette Tote Stadt un expérience prenante et, de bout en bout, totalement convaincante.
Avec les chanteurs rassemblés à Limoges, Sandrine Anglade disposait il est vrai d’atouts de poids pour mener son projet à un plein aboutissement. Voix longue, riche, parfaitement homogène, aigus faciles et épanouis, la Sud-africaine Johanni Van Oostrum, excellente comédienne se surcroît, offre une Marietta idéale de vie, de jeunesse et de sensualité. Face à elle, le Canadien David Pomeroy possède lui aussi les moyens vocaux et le physique de son rôle, et campe un Paul aussi parfait dans l’ardeur que dans le trouble. Déjà présent sur la scène de Bayreuth, le baryton Daniel Schmutzhard apporte à Frank un instrument d’une rare beauté et signe une incarnation très fouillée de son personnage. Le beau mezzo d’Aline Martin (une ancienne pensionnaire des « Jeunes Voix du Rhin ») s’illustre dans une très humaine Brigitta, tandis que Jennifer Michel (Juliette), Romie Estèves (Lucienne), Loïc Félix (Victorin et voix de Gaston) et Pierre-Antoine Chaumien (le comte Albert) achèvent de faire de la distribution un sans-faute. Belle prestation du Chœur de l’Opéra de Limoges préparé par Adward Ananian-Cooper.
L’Orchestre de l’Opéra de Limoges, qui a fait appel à une bonne quantité de supplémentaires pour atteindre l’important effectif requis par la partition, livre sous la sobre et expressive battue de Pavel Baleff (le chef d’origine bulgare est directeur musical du Kammeroper de Dresde depuis 1998) une prestation remarquable d’équilibre, de relief et de vie intérieure. Outre la sûreté de la baguette qui le conduit, tout dans la mise en scène le pousse dans cette voie.
Deux représentations seulement à Limoges, hélas ... Espérons que très vite, la singulière Ville Morte de Sandrine Anglade trouvera place sur d’autres scènes. Elle en est digne – et de très grandes !
Alain Cochard
Korngold : La Ville Morte – Limoges, Opéra, 25 janvier 2019
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