Journal
L’Orchestre des Jeunes d’Île-de-France à la salle Cortot – Nuits enchaînées – Compte-rendu
Dans les nuits plutôt : D. Molard a en effet imaginé un programme « Nuits d’hiver », composé de la Symphonie de chambre op. 110a de Chostakovitch (l’adaptation pour orchestre à cordes du 8ème Quatuor op. 110 par Rudolf Barshai), du quatuor « Ainsi la Nuit » de Dutilleux et de la Nuit transfigurée de Schoenberg. Exigeante entreprise, qui le devient plus encore dans la mesure où le chef a voulu que les trois œuvres s’enchaînent, formant un continuum, de la nuit des peuples, du totalitarisme, suggérés de si saisissante façon par Chostakovitch, jusqu’à la transfiguration de la nuit au terme de la partition du compositeur autrichien.
Installés sur scène un bon moment avant le début du concert, les instrumentistes font mine de répéter l’Allegro initial de la Petite musique de nuit de Mozart. Prélude badin ; il n’aura que mieux mis en valeur l’effet produit par la Symphonie op. 110a. Impossible de tricher ici ; le chef et ses musicien témoignent d’un engagement émotionnel total. Noirceur, ironie mordante : du 1er violon solo de Léo Belthoise aux contrebasses, chacun vit la musique avec une rare intensité.
Le Largo final meurt dans les ténèbres ... Le chef quitte la scène, s’installe au premier rang (rien de plus commode dans l’intimiste salle Cortot) et les lumières se braquent sur quatre musiciens qui attaque immédiatement le Nocturne introductif d’« Ainsi la nuit ». Aramis Monroy, Marius Mosser (violons), Hans-Ljuben Richard (alto) et Clara Dietlin (violoncelle) sont à l’œuvre. Après l’oppressante atmosphère chostakovienne, place à la grande respiration, à la vibration cosmique d’« Ainsi la nuit » que les interprètes traduisent avec une richesse des couleurs, un sens des caractères, une souplesse dans les enchaînements qui forcent l’admiration – elle croît quand, au sortir du concert, on apprend que les instrumentistes ont monté l’ouvrage de Dutilleux en l’espace de seulement ... un mois !
Temps suspendu s’achève et D. Molard reprend place devant l’orchestre pour la Nuit transfigurée. Sa conception se situe à l’opposé des lectures émollientes dont la partition fait parfois l’objet. Fermeté de ligne, plénitude sonore, tempi allants : l’approche saisit l’auditeur, par son fini instrumental certes, mais d’abord par la force d’une vision portée par un chef et des musiciens, là encore, totalement investis. Chaque note fait sens, et la lumineuse conclusion de l’ouvrage rayonne avec une rare évidence. Magnifique !
Si vous ne l’avez pas encore fait, courrez écouter l’OJIF et son directeur musical : prochain rendez-vous le 7 avril au CRR de Paris avec un programme « Polska ! », d’une rare originalité : Tombeau de Chopin de Tansman, Concerto n° 2 de Chopin (par l’excellent Nathanaël Gouin sur un Pleyel de 1892), Orawa de Kilar et Concerto pour orchestre de Lutoslawski.
Alain Cochard
© Matthieu Joffres
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