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Les Archives du Siècle Romantique (31) – Jacques Offenbach à propos de Madame Favart (Lettre au Figaro du 29 janvier 1879)
Bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach oblige, l’illustre auteur de la Belle Hélène occupe une place de premier plan à l’affiche du 7ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, qui se tiendra en divers lieux du 1er au 30 juin 2019. Reste que, la chose n’étonnera personne, c’est hors des sentiers battus, en furetant du côté des œuvres méconnues, que le Centre de musique romantique française apporte sa contribution à la célébration du « Mozart des Champs-Elysées ».
Dès la soirée inaugurale, le ton est donné avec une version de concert de Maître Péronilla, opéra-bouffe tardif sur un livret de Nuitter et Ferrier, créé le 13 mars 1878 aux Bouffes-Parisiens. Il renaît au Théâtre des Champs-Elysées avec une superbe distribution (où l’on relève les noms de Véronique Gens, Chantal Santon-Jeffery, Anaïs Constans, Antoinette Dennefeld, Eric Huchet, Tassis Christoyannis, etc.) et sous la baguette de Markus Poschner, avec l’Orchestre National de France ( un enregistrement suivra dans la collection PBZ/Opéra Français).
Mais ce n’est là que le début de la fête : le 14 juin aux Bouffes du Nord, Offenbach sera à nouveau programmé, sous son visage instrumental cette fois, avec les archets d’Henri Demarquette et Aurélien Pascal qui enflammeront les trois éblouissants Duos pour violoncelles op.54 (ceux de la lettre F, les plus redoutables techniquement) – ces pages rappellent que le musicien allemand fit ses premiers pas à Paris comme violoncelliste virtuose et fut surnommé « le Liszt du violoncelle ».
Dès le 17 juin, toujours aux Bouffes du Nord, on revient à la voix tout en restant sur le terrain de la rareté avec un récital de Jodie Devos, accompagnée par l’Ensemble Contraste d’Arnaud Thorette. La soprano y reprend nombre d’airs tirés de l’irrésistible récital « Offenbach colorature » qu’elle a enregistré avec l’Orchestre de la Radio de Münich et Laurent Campellone (1)en puisant dans des partitions peu connues (Boule de neige, Ver-Vert, Un mari à la porte, Fantasio, Robinson Crusoé, etc.).
© Fonds Leduc
Quant à Laurent Campellone, il est de la fête offenbachienne lui aussi, mais à l’Opéra-Comique, pour la résurrection, scénique cette fois, de Madame Favart, opéra-comique en trois actes sur un livret de Chivot et Duru, qui suit immédiatement Maître Péronilla dans la chronologie (création le 28 décembre 1878 à Paris, aux Folies-Dramatiques). Anne Kessler signe la mise en scène d’un spectacle (six représentations, du 20 au 30 juin, pour une coproduction réunissant le Comique, l’Opéra de Limoges, le Théâtre de Caen et Bru Zane France) où l’on retrouve des chanteurs rompus à ce répertoire (Marion Lebègue, Christian Helmer, François Rougier, Franck Leguérinel, Anne Catherine Gillet, Eric Huchet, Lionel Peintre et Raphaël Brémard), sous une baguette qui l’est pas moins.
Madame Favart revient à l’affiche ? Laissons Jacques Offenbach nous en parler comme il le faisait avec les lecteurs du Figaro début 1879 par le truchement d’une lettre publiée un mois après la première de l’ouvrage. Un document – extrait de M. Offenbach nous écrit. Lettres au Figaro et autres propos (réunis et présentés par Jean-Claude Yon), disponible dans la collection de poche Actes Sud/Palazzetto Bru Zane – où il est question du « goût sévère et délicat » du public marseillais ...
Alain Cochard
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Le Figaro, 29 janvier 1879, p.7
Nous avons annoncé que Madame Favart, le grand succès des Folies-Dramatiques, allait être jouée au Grand-Théâtre de Marseille. Voici, au sujet de cet ouvrage, la lettre que M. J. Offenbach a adressée à M. Campocasso, et qu’il nous a paru intéressant de publier.
Mon cher directeur,
Madame Favart au Grand-Théâtre, sur la scène où d’habitude votre excellente troupe interprète le grand opéra, voilà certes une entreprise hardie !
Tout autre que vous eût peut-être hésité.
Madame Favart porte, il est vrai, ce titre : opéra-comique, mais avec Hérold, Auber, Boieldieu, Halévy, Adam, et surtout depuis ces grands maîtres, l’opéra-comique s’est à ce point développé qu’il a brisé son cadre et tend de plus en plus à se confondre avec un genre aux plus grandes allures. Depuis le vaudeville, qui fut son berceau, l’opéra-comique a fait du chemin ; la juste balance entre le poète et le musicien a été faussée ; aujourd’hui la symphonie règne dans l’orchestre et le récitatif absorbe le dialogue.
© Fonds Leduc
Madame Favart n’a point de ces hautes visées. Mes prétentions se bornent à l’opéra-comique français, tel que l’ont connu nos pères ; l’opéra-comique qui fit la gloire des Grétry, des Dalayrac, des Monsigny, des Nicolò, pour ne citer que les plus illustres, et la fortune des théâtres qui l’exploitaient.
Et nous avons tant et si bien oublié la tradition, qu’un retour au véritable opéra-comique peut sembler à bien des gens une audacieuse innovation, alors que ce n’est à proprement parler qu’un essai de restauration.
C’est pourquoi, en dépit du succès qu’obtient chaque jour une pièce, malgré la faveur publique qui devrait m’encourager, je ne suis pas sans appréhensions.
Le public marseillais est un juge redoutable, car en matière d’art son goût est sévère et délicat ; je me rassure pourtant en me rappelant que la presse de Marseille s’est toujours montrée fort bienveillante à mon égard, et je me dis aussi que si le Grand-Théâtre est un cadre solennel qui pourrait tromper sur les dimensions de l’œuvre, le titre de mon opéra-comique suffit à en déterminer les véritables proportions.
Mme Favart, en effet, c’était l’incarnation de la chanson française.
Un tel sujet ne pouvait inspirer qu’une comédie à ariettes, agrandie, développée ; c’est ce que j’ai prétendu faire, et je vous serais fort obligé, mon cher directeur, si vous vouliez bien en prévenir nos bons amis de la presse. Votre
Programme complet du 7ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, du 1er au 30 juin 2019 : www.bru-zane.com/fr/festival-palazzetto-bru-zane-a-parigi/
(1) 1 CD Alpha 437
Photo © Fonds Leduc
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