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La Prise de Troie sous la direction de François-Xavier Roth au Festival Berlioz 2019 - Une forme d’exemplarité - Compte-rendu
François-Xavier Roth poursuit glorieusement son épopée Berlioz. Cette fois en présentant La Prise de Troie : une grande première au Festival Berlioz ! Ce titre cache les deux premiers actes des Troyens, quand Berlioz fut contraint par les circonstances de scinder son opéra : devant l’attente vaine auprès de l’Opéra de Paris auquel son grand œuvre se destinait par sa forme et ses moyens, et la proposition, finalement acceptée, du Théâtre-Lyrique qui disposait de conditions plus modestes. C’est ainsi que seule la seconde partie, ou les trois derniers actes, fut représentée en 1863 sous le titre Les Troyens à Carthage. La première partie, intitulée La Prise de Troie après une nouvelle édition de la partition, ne sera jamais entendue du vivant de Berlioz. Elle devra attendre 1879 pour être créée à Paris, en version de concert, simultanément aux Concerts Colonne et Pasdeloup.
C’est donc une façon de reprendre ce contexte, que l’auditorium provisoire sis dans la cour du château de La Côte-Saint-André, bourg natal de Berlioz et siège du Festival qui porte son nom, offre avec ses moyens que l’on pense également limités pour cette version de concert. Même si le compositeur tenait à son opéra d’un seul tenant, que la postérité a désormais su entériner.
© Festival Berlioz - Bruno Moussier
La Prise de Troie, comme son nom l’indique, conte la chute de la ville antique assiégée par les Grecs, avec l’apparition du cheval de bois cachant les assiégeants, l’intervention de la prophétesse Cassandre et du héros Énée, une large place faite au chœur de la foule (alors que Les Troyens à Carthage relatent les épisodes carthaginois qui font suite dans cette fresque opératique tirée de l’Énéide de Virgile). Une entrée en matière vibrante d’excitations et de détresse, en prélude à des moments plus sereins où la tendresse aura alors sa part.
La restitution en revient ici, dans le cadre du Festival Berlioz, à une foule de musiciens amateurs galvanisés par la science et direction impérieuse de Roth. Sont ainsi réunis 120 instrumentistes issus du Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz / Isère, orchestre-académie du festival sur instruments et stylistique d’époque fondé par Roth, après un travail préparatoire de près d’un mois. S’ajoutent une centaine de choristes constituées du Chœur européen Hector-Berlioz, préparé par Anass Ismat et autre émanation du festival, ainsi que du Chœur de l’Orchestre de Paris mené par Lionel Sow. Soit un ensemble qui allie ardeur juvénile et enthousiasme, comme le concert le prouvera.
Le plateau vocal n’est pas en reste de conviction, pour une réalisation d’une fervente exemplarité. Car l’exemplarité est aussi dans le respect au plus prés des indications méticuleuses de la partition : entre nuances de subtilités piano et éclats forte, équilibres des pupitres, rigueur des spécifications métronomiques, répartitions et spatialisations (au rebours sur ce plan des approximations d’un Philippe Jordan récemment à l’Opéra de Paris ). C’est ainsi que les passages en coulisses et réapparition sur scène de parties de chœurs et d’orchestres de cuivres, en particulier à la fin du premier acte, surgissent dans toute leur force et leur intervention suggestive (ce que n’avait pas pu réaliser pleinement, en raison de son lieu de concert, John Nelson à Strasbourg en 2017 malgré ses qualités interprétatives). On pourra cependant regretter, en étant tatillon, que le petit « groupe » du chœur de Troyennes dans le second tableau du deuxième acte, ne soit pas davantage mis en évidence spatiale. Autre petite réserve : l’absence de fosse d’orchestre, parfois au détriment de la projection vocale des solistes, dans cet auditorium qui n’est pas un théâtre mais dont l’acoustique s’est nettement améliorée au fil des éditions du festival. On apprécie par ailleurs les surtitres, qui permettent à un public non initié de suivre le déroulement de l’action.
Parmi ces solistes, Isabelle Druet (photo à dr.) offre une Cassandre d’envergure, dans une ligne de chant jamais prise en défaut (malgré un orchestre placé acoustiquement sur le même plan, comme nous disions) et une incarnation éminemment dramatique. Mirko Roschkowski figure un Énée de prestance, bien lancé mais dont on aurait peut-être goûté des aigus plus filés. Thomas Dolié (photo à g.) constitue le grand vainqueur de Chorèbe, d’un beau legato expressif. Excellents petits rôles par les voix bien placées de Vincent Le Texier (Priam), Boris Grappe (Panthée), Damien Pass (Ombre d’Hector, fermement projetée depuis une fenêtre des murs du château) ou Éléonore Pancrazi (Ascagne, qui aussi pâtit parfois d’un orchestre sur le même plan). Et tous, d’une parfaite élocution.
Le chœur répond d’une seule voix, si l’on peut dire, partagé qu’il est dans ses différentes apparitions judicieusement balancées et équilibrées. Et l’orchestre de s’emporter ou de se faire douce brise, au gré de ses évocations sonores changeantes, sous une direction d’une battue acérée et sans répit. Grand moment assurément de cette édition du Festival Berlioz que le public, lourd d’un silence attentif, reçoit au final d’une ovation triomphale debout.
Pierre-René Serna
Festival Berlioz, La Côte-Saint-André, auditorium provisoire du château, 25 août 2019.
Photo ©
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