1862 : cette année-là, Verdi propose La Force du destin, Wagner travaille sur Tristan et Isolde et Meyerbeer passe les dernières heures de sa vie à composer L’Africaine… Quant à Charles Gounod, il accepte les exigences du directeur de  la « grande boutique » (dixit Verdi) qu’est l’Opéra de Paris pour que puisse être créée sa Reine de Saba. Le succès ne sera pas au rendez-vous – quinze représentations seulement… Témoin musical d’une époque où l’orientalisme était à la mode, cette partition est au programme, en version de concert, de la saison de l’Opéra de Marseille où elle a été donnée pour la dernière fois en novembre 1900. C’est dire son attrait … Et au soir de la première marseillaise, on ne peut pas dire que le public se bousculait au portillon pour la découvrir.
 

de g à dr : Cécile Galois, Marie-Ange Todorovitch, Jean-Pierre Furlan, Karine Deshayes © Christian Dresse
 
Il est vrai que Gounod et ses librettistes (Barbier et Carré) n’ont pas fait dans le génie, sacrifiant aux tendances du moment pour tenter d’imposer l’un des derniers exemples du « grand opéra à la française ». Cette Reine de Saba s’apparente à une Aïda made in France, la subtilité de Verdi en moins. L’histoire d’une femme mythique, Balkis, promise à Salomon, devenu Soliman dans l’ouvrage –  peut-être pour soigner les rimes d’un texte désuet – qui tombera amoureuse de l’architecte du palais du roi des Hébreux, Adoniram, ce dernier finissant sous les lames de trois ouvriers qui voulaient connaître le « code » pour devenir « maîtres »… La franc-maçonnerie n’est pas loin. La partition passe du pompier de luxe à quelques divins moments de romantisme exacerbé mais délicat, notamment un somptueux solo de violon livré par Da-Min Kim, super violon solo de l’orchestre de l’Opéra de Marseille, tout en proposant des airs qui méritent d’être appréciés et de très beaux chœurs. Alors oui, il était intéressant de découvrir cette œuvre pour profiter de ces airs, si ce n’est pour parfaire sa culture lyrique.
 

 Victorien Vanoosten © victorienvanoosten.com

Dans le rôle-titre, Karine Deshayes a été conviée par le directeur de l’Opéra, Maurice Xiberras. Un bon choix au demeurant, la mezzo se remémorant les airs de cet opéra chantés jadis par Régine Crespin, son mentor, pour incarner Balkis avec conviction, puissance et clarté ; son médium est superbe et sa diction parfaite. Autant de qualités que l’on retrouve chez Nicolas Courjal dont la tessiture ample lui autorise des graves profonds et des aigus assurés. Jean-Pierre Furlan, Adoniram, est un ténor puissant mais un peu monolithique dans son chant. Autour de ce trio majeur, Marie-Ange Todorovitch se montre très impliquée dans son incarnation vocale de Benoni ; nul doute qu’elle se verrait bien en train de jouer sur cette scène et sa voix, mature et ronde, n’est pas pour déplaire. Les trois « méchants » Amrou, Phanor et Méthousaël sont, respectivement, Eric Huchet, Régis Mengus et Jérôme Boutillier. Leur trio est parfaitement réglé vocalement et tous sont impliqués dans leurs rôles. Cécile Galois, Sarahil, et Eric Martin-Bonnet, Sadoc, complètent idéalement la distribution. Le chœur, préparé par Emmanuel Trenque, et l’orchestre de l’Opéra sont éclatants et tranchants sous la baguette de Victorien Vanoosten qui n’hésite pas à laisser les tutti fortissimo à la limite, parfois, du déséquilibre. Mais sa lecture des parties plus romantiques est idéale comme autant de bouffées d’air frais au sein d’une coulée de lave…
 
Michel Egéa

Gounod : La Reine de Saba (version de concert) – Marseille, Opéra, 22 octobre ; prochaines représentations les 25, 27 et 30 octobre  2019 // opera.marseille.fr/ 
 
 
Photo : (de g à dr) Eric Martin-Bonnet, Nicolas Courjal, Karine Deshayes et Jean-Pierre Furlan © Christian Dresse