Journal
Don Carlos de Verdi à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège – Le goût de l’authentique – compte-rendu
Mal aimé dès sa création à l’Opéra de Paris le 11 mars 1867, Don Carlos de Verdi (ouvrage en cinq actes et en français sur un livret de Du Locle & Méry), connaît aujourd’hui une réhabilitation. A Liège, dans un souci d’authenticité, il retrouve toute sa splendeur (voire ses oripeaux d’origine) avec le rétablissement de l’ensemble des coupures effectuées, y compris lors des répétitions à la création parisienne. C’est dire qu’hormis la suppression du ballet, la partition reprend ses couleurs et fait entendre de nombreuses pages écartées jusqu’ici.
© Opéra Royal de Wallonie
Il faut mettre au crédit de Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général de l’Opéra Royal de Wallonie, une résurrection qui témoigne de sa passion pour une composition proche du grand opéra à la Meyerbeer, mais d’une vigueur tout italienne dans l’expression de la passion. Sa mise en scène en tous points historique ne craint pas la surcharge dans des décors d’époque (déplacés à vue) de Gary McCann et des costumes de Fernand Ruiz respectueux de l’étiquette de la cour de Philippe II. Une telle démonstration – y compris dans les scènes de foule, telle celle de l’autodafé – pourrait nuire à la fluidité de l’action, mais se révèle finalement d’une belle lisibilité.
Fin connaisseur de Verdi, Paolo Arrivabeni sait sculpter la pâte sonore et tirer le meilleur parti des solistes de l’excellent Orchestre de l’Opéra Royal qu’il connaît d’expérience (il fut directeur musical à Liège de 2008 à 2017). Capable d’un lyrisme contrôlé (superbe introduction orchestrale à l’acte IV au moment de l’entrée de la reine) mais aussi de mordant, épaulant les chanteurs et les chœurs à la perfection ; il tient le fil du drame avec une énergie qui ne se dément pas. Partie prenante de la tragédie politique et psychologique qui se joue, les chœurs liégeois préparés par Pierre Iodice témoignent d’une ferveur constante sans toujours faire preuve dans leurs interventions de la précision que l’on attendrait.
Le plateau rassemblé à Liège a fait l’objet d’une particulière attention, qu’il s’agisse de la qualité du chant ou du style. Dans le rôle écrasant de Don Carlos, le ténor américain Gregory Kunde (photo) témoigne d’une étonnante santé vocale (à 66 ans !) et dispense des moments d’une rare force dramatique par l’intensité de son intonation et son engagement physique, en particulier dans l’affrontement avec son père le roi d’Espagne.
Kate Aldrich (Eboli) © Opéra Royal de Wallonie
Incarné par Ildebrando d’Arcangelo, le personnage de Philippe II paraît fragile, en proie au doute malgré l’affirmation de son autorité, et le timbre sombre du baryton italien contribue à donner cette impression. Uni à la vie à la mort à Don Carlos, le Rodrigue de Lionel Lhote prend toute sa dimension au fur et à mesure du déroulement du spectacle avec une ligne de chant toujours égale et une diction idéale. L’Inquisiteur de Roberto Scandiuzzi est impressionnant de présence théâtrale et le Moine de Patrick Bolleire mérite tous les éloges.Du côté féminin, l’Elisabeth de Valois de Yolanda Auyanet touche par l’émotion qu’elle dégage et la Princesse Eboli de Kate Aldrich, tour à tour perverse et humaine, fait preuve d’une admirable assurance dans l’art du belcanto.
Une mention toute particulière pour Maxime Melnik (finaliste du Concours Voix Nouvelles en 2018) qui, tour à tour en Comte de Lerme et Héraut royal, se distingue par une présence et une diction dignes de tous les éloges. Parmi les autres seconds rôles, tous très bien distribués, on remarquera le Thibault juvénile de Caroline de Mahieu et la Voix d’en haut de Louise Foor dans sa courte apparition.
Une production de l’Opéra de Liège qui mérite incontestablement le détour. Elle tient l’affiche jusqu’au 14 février ; notez que la dernière représentation sera diffusée en streaming.
Michel Le Naour
Verdi : Don Carlos – Liège, Opéra Royal de Wallonie, 5 février ; prochaines représentations les 8, 11 & 14 février 2020. https://www.operaliege.be/spectacle/don-carlos/
Diffusion en streaming le 14 février (19h) sur francetvinto.fr/culture
Photo © Opéra Royal de Wallonie
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