Journal
Don Quichotte de Massenet à Tours – Dépouillement et émotion – compte-rendu
Présenté à Saint-Etienne en janvier dernier, Don Quichotte (1910) selon Louis Désiré offre de la tardive « Comédie héroïque en 5 actes » de Massenet une vision sensible et dépouillée qui trouve toujours l’expression juste tant sur le plan de la mise en scène que de la réalisation musicale.
Aucune couleur locale dans une approche qui inscrit l’œuvre dans un cheminement volontiers austère et non figuratif où le lit à baldaquin sur lequel repose le Chevalier errant – qui peut aussi servir aux ébats érotiques de Dulcinée avec ses amants – se mue en un carrosse au fur et à mesure des déplacements sur le plateau. Les décors de Diego Mendez-Casariego, également créateur des costumes, se réduisent à quelques tentures, des draps, un miroir brisé et une sculpture miniature à la Daumier de Don Quichotte en armes. Les lumières de Patrick Méeüs éclaire un monde plutôt sombre qui s’anime dans la rencontre avec les brigands, la bataille avec les moulins à vent chorégraphiés par quatre figurants aux visages glabres, ou encore dans les scènes de foule.
Julie Robard-Gendre (Dulcinée) et Nicolas Cavallier (Don Quichotte) © Sandra Daveau
Dans le rôle épuisant du Chevalier de la longue figure, Nicolas Cavallier, Christ vêtu d’une simple chemise de nuit blanche, atteint des sommets d’intensité tant par sa présence scénique que sa maîtrise vocale. Puissance contrôlée, émission nuancée et une diction parfaite : sa conception, d’une grande noblesse, atteint in fine une émotion poignante (saisissante mort !). Le Sancho Pança du baryton Pierre-Yves Pruvot est merveilleusement apparié, sorte d’alter-ego réaliste qui manie avec dextérité fantaisie et complicité. Au terme de l’opéra, il se console, éperdu de tristesse, de l’Île des Rêves que lui lègue son maître.
En Dulcinée, Julie Robard-Gendre, magnétique dans le personnage de coquette, se montre sensible à l’idéalisme du Chevalier et témoigne d’une belle prestance, filant ses aigus avec aisance malgré une prononciation parfois approximative qui s’améliore au fil de la représentation. Tout aussi expressifs, les admirateurs de Dulcinée (le Rodriguez de Carl Ghazarossian, le Juan d’Olivier Trommenschlager ou, en travestis, le Pedro de Marie Petit-Despierres et le Garcias de Marielou Jaquard) se montrent à la hauteur de l’enjeu, comme Tenebrun, le chef des bandits incarné non sans humour par Philippe Lebas.
Nicolas Cavallier (Don Quichotte) et Pierre-Yves Pruvot (Sancho Pança) © Sandra Daveau
La direction de Gwennolé Rufet – que l’on avait apprécié dans Les Caprices de Marianne de Sauguet produite par le Centre Français de Production Lyrique – préfère l’efficacité stylistique à la sensualité sans manquer toutefois du sens des contrastes dans les espagnolades (bien qu’au parterre on reçoive les décibels sans ménagement). L’expérimenté Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire Tours possède couleur et souplesse, et les solos (belle intervention du violoncelle lors de l’interlude de l’acte V) manifestent cette qualité des timbres si nécessaire à la musique raffinée de Massenet, tandis que le Chœur de l’Opéra de Tours préparé par Sandrine Abello apporte une contribution vivante et homogène aux ensembles. Un spectacle abouti qui rend à Don Quichotte ses lettres de noblesse.
Changement total de répertoire le mois prochain à Tours avec une nouvelle production de Powder her face de Thomas Adès confiée à Dieter Kaegi (du 3 au 7 avril).
Michel Le Naour
Massenet : Don Quichotte - Opéra de Tours, 8 mars 2020 // www.operadetours.fr/
Photo © Sandra Daveau
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